Kachôfûgetsu - Thèmes traditionels des beautés de la nature

Par Chroma @Chroma_France

Yukata en accord avec la saison ©

Kachôfûgetsu (花鳥風月, littéralement ce sont les kanji "fleur, oiseau, vent, lune"), la nature comme source d'inspiration. Pour le 300ème article de ce blog, examinons un aspect quelque peu différent de nos thèmes habituels. Ceux qui nous suivent ont déjà remarqué l'importance accordée aux saisons au Japon, que ce soit la cuisine de saison ou la poésie de saison. C'est par exemple l'avancée de la floraison des cerisiers du sud au nord de l'archipel commentée jour après jour dans les médias, menant à cette fête populaire qu'est la contemplation des feuillages à maturité avec pique-nique sur la tombe des ancêtres. D'autres rites saisonniers que nous avons commentés imprègnent les mentalités nippones depuis des temps immémoriaux (voir Matsuri). Ce sont aussi les kimonos aux motifs floraux portés dans les grandes occasions (le kimono doit suivre la saison, par exemple les motifs brodés représentent des fleurs de cerisier au printemps, feux d'artifices en été), les broches à cheveux des geishas et maikos changeant tous les mois, etc...  Dans la correspondance avec des Japonais il est d'usage de commencer par l'évocation d'un événement saisonnier. Les "mots de saison" qu'on appelle kigo, sont une composante essentielle des haïkus, saisissant l'émotion de l'instant et situant la scène dans le temps. A l'origine lors des renga, littéralement "poésie chaînée", passe-temps mondain où on se livrait à une poésie collective à laquelle chaque participant à tour de rôle improvisait un vers, c'était une marque de politesse pour lancer la conversation, généralement par le maître, comme quand on parle du temps qu'il fait dans d'autres civilisations. Le kigo ouvre beaucoup de perspectives car dans la langue japonaise de nombreux symboles parlent d'eux-mêmes (fleur de prunier, de cerisier, la seule évocation de fraîcheur, suzushisa, évoque l'été comme l'ombre d'un arbre, mais peut aussi se concevoir comme un éloge discret pour l'attention d'un hôte qui rafraîchit ses invités en été). La tradition donna naissance à des associations comme la pluie de printemps = humeur rêveuse, celle d'été = mélancolie, la bruine d'hiver étant associée au temps qui s'écoule. Les saisons furent codifiées dans l'inconscient collectif japonais. La lune est ainsi appairée à l'automne car c'est là qu'elle luit le mieux. Le Fuji-San, volcan en sommeil, est associé à la passion couvant dans les cendres. C'est en relation avec la simplicité zen qui irrigue les haïkistes qui ne cessent de chanter la Nature. Ils la contemplent pour la magnifier et s'y accorder. La Nature avec un grand "N". Le poète Issa qui commençait moults haïkus par son mélancolique "vent d'automne", dit un jour : "la couleur des épis de blé est plus émouvante que celle des pivoines". C'est de la même façon que s'exprimait en écho un poète alsacien contemporain que l'auteur de ces lignes a bien connu, André Weckmann, qui aimait « l'ortie plus que la rose »,une métaphore symbolique, les orties poussant partout où on leur laisse le champ libre. La rythmique des cycles saisonniers souligne la brièveté et la finitude d'être humain et doit nous conduire à l'humilité par rapport à notre destin de mortel mais souligne aussi le flux perpétuel. Pour rappel les ancêtres Japonais sont de sensibilité animiste à l'origine, puis la spiritualité bouddhiste s'y est mêlée. Pour eux tous les êtres sont déjà sauvés, il n'y a de paradis autre que sur terre. D'où cet élan vers la Nature comme chemin de la Vérité.