Flou blues

Publié le 04 octobre 2014 par Sylvainrakotoarison

Après James Foley (40 ans) le 19 août 2014, après Steven Sotloff (31 ans) le 2 septembre 2014, après David Haines (44 ans) le 13 septembre 2014, après Hervé Gourdel (55 ans) le 24 septembre 2014, Alan Henning (47 ans) est le cinquième martyr de la barbarie des terroristes islamistes.

L’horreur est au bout de la nuit. La soirée commençait à peine de s’installer que les dépêches ont fusé comme des hystériques. C’était vendredi 3 octobre 2014, un peu plus tard que dix heures du soir. Un cinquième otage, Alan Henning, qui voulait juste aider des enfants en Syrie. En France, certaines femmes meurent définitivement en joggeuses, encore une dans le Poitou-Charentes. Là, dans les zones sombres du monde islamique, des hommes tombent définitivement en otages.

Le communiqué est assez simple et malheureusement bien rodé. Une vidéo sur Internet. Méthode barbare d’anciens temps mais communication moderne. 3G, ou peut-être 4G. Il y a déjà une vingtaine d’années, les ventes au noir de cassettes de mort réelle (quelle qu’elle soit) faisaient autant de succès que de simples cassettes pornographiques. Alors, une vidéo, et gratuite, disponible, à la Terre entière. Pensée à la famille. Insupportable pensée.

En boucle, iTélé a assuré pendant toute la soirée qu’il n’était pas question de diffuser la vidéo, qu’ils en assumaient le choix… mais ils mettaient bien en vitrine une photographie issue de cette vidéo, deux hommes, un en orange agenouillé, la tête bien floutée, et l’autre, debout, en noir, même la tête, sorte de renouveau d’un Ku-Klux-Klan nouvelle manière, tendant un poignard à l’objectif. On pouvait imaginer la suite.

En bas de l’image, une phrase en arabe, et surtout, le cadre est loin d’être une zone sombre. Sorte de désert. Du sable en bas et un ciel bleu ensoleillé, celui des vacances chaudes, en haut.

Sur la chaîne concurrente, BFM-TV, une autre photographie issue de la vidéo tournait en boucle aussi. Le poignard était là aussi bien visible, mais n’était pas tendu à la caméra. Était juste tenu, sur le flanc. Le visage de la victime était mal flouté et on pouvait voir s’esquisser les principaux traits de la personne. Et puis, quelques minutes plus tard, la photo a été retouchée, est-ce un scrupule de la rédaction ? est-ce un ou des téléspectateurs meurtris qui ont protesté ? Je ne sais pas. Le visage a subi un nouveau coup de flou et n’est plus du tout reconnaissable.

Et ils en ont profité pour flouter également le poignard. Car c’était bien ce poignard que j’avais remarqué en premier. En horreur. Il n’y a pas besoin de voir le sang gicler. Le simple poignard suffisait à traumatiser la planète entière.

La méthode risque même de faire école. Des vidéos d’assassinats en live, voilà la nouvelle terreur que des groupuscules de déséquilibrés veulent imposer aux humains. Beaucoup plus efficace qu’une simple propagande de guerre.

Oui, bien sûr, on pourra toujours dire qu’il n’y a eu que cinq victimes. On connaît hélas le nom de la sixième, dans quelques jours, et il n’y a aucune raison qu’ils s’arrêtent ainsi, ces assassins. Pourtant, le nombre de morts causés par le Daech doit déjà se compter par dizaine de milliers au moins.

Ailleurs aussi, les morts se comptent par milliers. En Ukraine, par exemple. Était-il imaginable que plus de trois mille, peut-être quatre mille morts soient le résultat d’une guerre entre pro-Russes et Ukrainiens ? Comment peut-on aussi rapidement faire surgir une haine qui pourtant, n’existait pratiquement pas au point de tuer, d’assassiner, de se lâcher définitivement en laissant de côté la petite parcelle d’humanité qui devrait résider dans chaque être ? Même réflexion avec les 2 257 morts lors des bombardements israéliens à Gaza du 8 juillet au 26 août 2014.


L’humanité a pourtant d’autres fléaux préoccupants. L’homme n’a pas besoin de sa cruauté pour souffrir. Le virus Ebola a fait au 2 octobre 2014, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), déjà 3 338 morts, surtout en Afrique de l’Ouest, pour 7 178 personnes affectées par l’épidémie. Au 26 août 2014, il y avait 3 069 cas dont 1 552 décès. Le nombre de victimes a plus que doublé en un mois. Au 30 septembre 2014, plus de 3 700 enfants avaient perdu un parent à cause du virus Ebola, selon l’Unicef.

L’horreur est au bout de la nuit.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 octobre 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Pas seulement joggeuse (il y a cinq ans déjà).
Pas seulement otage.

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/flou-blues-157625