« Une autre vie »

Publié le 05 octobre 2014 par Eclectikgirl

« Ce n’est pas encore pour cette fois-ci », se lamente-t-elle intérieurement.
Elle avait choisi cette vie, bien sûr, mais c’ était parfois difficile à supporter.
Elle aimerait pouvoir décrocher plus tôt, avoir des horaires de bureau, ne pas être importunée au dernier moment par un retardataire…

Mais au fond, elle s’ennuierait dans un cadre de vie trop étriqué, sans imprévu et sans saveur.
Elle n’est pas tout à fait son propre patron, cependant elle gère son temps tel qu’elle l’entend.

Mais ce soir, le client qui vient de faire son apparition ne lui dit rien qui vaille.
L’air renfrogné, buté, comme un gamin qu’on vient de disputer.
L’endroit est déjà suffisamment sordide pour que ce malotru vienne en rajouter.
Il s’assied lourdement sur une chaise, et prend l’air de celui qui attend que ça se passe.
Sous son poids, la chaise manque de riper et de le laisser pantois au sol, mais il se rattrape de justesse…

Elle inspire un grand coup, observe encore une fois le nouveau venu et se dit que plus vite ce sera terminé, mieux ce sera. Tout en l’entretenant brièvement de la suite des événements, Meredith ne peut s’empêcher de repenser à ce qui l’a menée jusqu’ici.
Rien ne la fera jamais regretter son choix.
Bien sûr, c’est éreintant, stressant, parfois dégradant et ça exclu toute vie privée.
Bien entendu, il serait plus stable d’avoir mari, enfant, maison, tablier et balai …

Elle a déjà donné dans ce registre là.
Beaucoup trop donné.
Et ça lui a été rendu, au centuple, mais pas dans le sens espéré.
Des crises de nerf, des pluies de coups, des giclées de sang.
Elle frissonne à cette évocation…

Son hôte hausse un sourcil, se demandant ce qu’il lui prend à cette bonne femme-là.
Il fait bien 25° dans cette piaule et la p’tite dame trouve le moyen d’avoir la chair de poule…

Meredith en a bientôt terminé de toute façon.
Cette fois-ci, c’est le dernier, elle ferme boutique, elle se le promet.

Pour ce soir tout du moins.

Le gaillard, qui n’a plus l’air aussi renfrogné qu’en entrant, lui fait un petit sourire un peu pathétique et enfin elle referme la porte derrière lui.

Elle s’affale sur un fauteuil, se met la main sur les yeux et attend que la migraine passe.
Pendant quelques secondes, ce type lui a rappelé son ex-mari.
Elle ne sais pas ce qu’il est devenu.
Il a du sortir de prison certainement, depuis le temps.
Si par malheur, il la retrouve, elle peut dire adieu au petit pécule qui s’est accumulé un peu partout dans son studio… un peu sous l’évier, un peu sous l’oreiller …

Ce sera elle, ou lui.
Au premier qui éliminera l’autre, elle en est certaine !

La jeune femme le chasse de son esprit, se redresse vivement et décide qu’elle va profiter de ce qui lui reste de soirée pour s’occuper d’elle.
Bain, manucure, musique douce.
Repas léger.
Allongée sur son lit, un livre entre les mains, et une fin de nuit sans sommeil en perspective…

Pourtant, rien ne se déroule comme elle l’entend ce soir.
Un bruit persistant l’empêche de se concentrer sur sa lecture.
Un voisin indélicat qui fait grincer les ressorts…

Elle repose son livre sur ses genoux, pose sa tête contre le mur et ferme les yeux.
Elle se revoit, enfant, courir sur les vastes terre de ses parents …
S’ils savaient qu’aujourd’hui …
Eux aussi, perdus de vu, depuis le procès.
Ils ne l’ont jamais soutenue, la soupçonnant d’avoir inventé cette histoire de femme battue, tout manigancé pour obtenir quelque obscure indemnité…
L’amour filial est parfois très étrange. Ils avaient une telle admiration envers leur gendre, que tout ne pouvait être que de la faute de Meredith…

Elle se voit, parcourir leurs vastes terres, brandissant une pancarte où il est inscrit « Vous auriez dû me croire ! », et le cadavre de leur cher et tendre gendre lamentablement suspendu à une potence…
Meredith se détend, ses muscles se relâchent, un peu de bave coule du coin de ses lèvres … elle est en train de faire un de ses rêve favori …

Elle se réveille en sursaut, toute endolorie de s’être endormie en position quasi-assise. Ses reins lui font mal, ses jambes fourmillent d’avoir été trop longtemps immobiles. Elle s’allonge, remet la couette sur ses épaules et se rendort aussitôt.

Lorsqu’elle ouvre de nouveau les yeux, le jour ne perce pas encore à travers les volets. Mais même en pleine journée, il fait toujours sombre dans le studio. Elle se faufile vers son petit bureau, le seul endroit qu’elle apprécie.
Cette pièce n’est pas accessible à ses clients, seulement séparée par un rideau, mais c’est son domaine réservé, rien qu’à elle.

Elle fouille dans un tiroir, en sort une feuille blanche et se met à noircir la page, l’air très inspirée.
Elle ne sait pas pourquoi elle fait ça, dés le réveil, sans même y avoir jamais réfléchi.
La jeune femme se pensait satisfaite de sa vie, mais cette nuit, un autre rêve étrange, différent de ceux où elle brandit fièrement les restes de son ancienne vie.

Cette fois-ci, c’est elle qu’on exhibait, nue et sans défense, et pas seulement entre les quatre murs de son petit appartement.
Sur un espèce de podium.
Sous elle, des milliers d’hommes, et autant de regards qui la dévorent.
Un défilé sans fin, voilà ce qu’est son quotidien.
Elle ne se souvient pas de leurs visages, encore moins de leurs noms.
Pas même de celui d’hier.

Ce soir, elle n’ouvrira pas sa porte, elle ne répondra pas au téléphone.
C’est la première fois que Meredith ressent un tel ras le bol.
Elle ne veut plus de sa vie d’avant, c’est certain.
Ni de celle-ci, avec cet argent facile et son lot de rencontre éphémère et sordide.

Elle ne se voit pas non plus d’avenir…

Du tiroir encore ouvert, une lueur argentée attire son regard.
Elle le rangeait là, pour le cas où un de ses clients se montrerai dangereux.
L’éclat du métal est chatoyant et pas si glacial.
Ça lui réchauffe même un peu les entrailles.
Son sang est chaud, ça lui dégouline entre les doigts et d’un coup plus rien n’a d’importance…

 

J’ai écrit ce texte il y quelques temps, mais lorsque j’ai lu le thème du mois, pour l’Atelier des Jolis Plumes, j’ai directement pensé à "Une autre vie".

Ce mois ci, le thème était : " "Parfois notre vie ne correspond plus à ce que l’on espère. C’est souvent dans ces moments que naît l’envie d’ailleurs. Mais vers quel ailleurs se rêve votre personnage et… franchira-t-il le pas ?"

Alors, certes, l’ailleurs choisi par mon personnage est radical et fatal.
J’aurai voulu quelque chose de plus … joyeux pour ma première participation, mais après tout …

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Anya