Et si on taxait les fraudeurs plutôt que les familles ?

Publié le 06 octobre 2014 par Blanchemanche


Marisol Touraine, le 29 septembre. Crédits photo : DOMINIQUE FAGET/AFP
FIGAROVOX/TRIBUNE - La ministre des Affaires Sociales, Marisol Touraine, a annoncé lundi une baisse des prestations familiales. Pour Charles Prats, l'Etat se trompe de cible, et devrait plutôt concentrer ses efforts sur la fraude sociale et fiscale.
Charles Prats est magistrat.

À l'heure où de nombreuses personnes, choquées par le rabotage fiscal du quotient familial et les tours de vis sur les prestations familiales pour plus de 2,2 Mds€ en 2015, s'apprêtent à descendre dans la rue dimanche prochain avec La Manif Pour Tous pour protester notamment contre ces mesures, il faut rappeler qu'il existe d'autres moyens plus justes et surtout plus efficaces pour redresser les finances publiques. Outre la rationalisation de la gestion des organismes - c'est-à-dire dépenser mieux l'argent public, donc beaucoup moins - et les nécessaires simplifications et allègements fiscaux et sociaux pour encourager l'activité économique, la lutte contre la fraude est évidemment la vraie solution.
Pourquoi donc prendre 2,2 milliards d'euros aux familles quand les fraudeurs coûtent au moins cinquante fois plus à la France ?
Rappelons que la fraude fiscale représente de 60 à 80 Mds€ par an selon le principal syndicat des agents du fisc. L'Union Européenne évalue le manque à gagner sur la seule TVA à 32 Mds€ pour la France. En matière de fraude sociale, la Cour des comptes vient opportunément de rappeler que la fraude aux cotisations se montait à 25 Mds€ par an. Quant à la fraude aux prestations sociales, grand tabou en France, officiellement considérée comme très faible, elle représenterait en réalité plus de 35 Mds€ par an si l'on applique les taux de fraude moyens relevés par ailleurs (6 à 7 %). La lecture du rapport européen EHFCN qui chiffre la seule fraude à l'assurance maladie à 14 Mds€, ou encore le fait que 1,8 million de numéros de sécurité sociale pourraient avoir été attribués sur la base de faux documents, accréditent malheureusement ce très fort niveau de fraude aux prestations sociales.
Au final lorsque les spécialistes de la lutte contre la fraude tiraient la sonnette d'alarme en expliquant que la France perdait 100 milliards d'euros par an, ils étaient peut-être en deçà d'une triste réalité plus proche des 140 milliards de pertes pour les finances publiques. Pourquoi donc prendre 2,2 milliards d'euros aux familles quand les fraudeurs coûtent au moins cinquante fois plus à la France?
Face à ce fléau qui déstabilise notre pays et qui mine insidieusement le pacte républicain en détruisant le consentement à l'impôt, il existe pourtant des solutions politiques et techniques qui ont été proposées, voire même déjà votées, loin de tout populisme.
Mais malheureusement des mesures efficaces ont été écartées ou n'ont jamais été mises en œuvre. Ainsi fut mise en lumière l'absence de volonté de s'attaquer au point faible de la fraude fiscale et sociale: l'argent liquide. Le maintien du «verrou de Bercy», c'est-à dire l'impossibilité pour la justice de s'autosaisir des dossiers de fraude fiscale, est également très révélateur. L'absence durant très longtemps de mise en place d'un dispositif ultra réactif de lutte contre les escroqueries à la TVA, ce qu'ont fait nos voisins belges il y a de nombreuses années, est peut-être le symptôme le plus significatif.
En matière de lutte contre le travail dissimulé, les agents des corps de contrôle ne peuvent faire qu'à la hauteur des moyens mis à leur disposition. Et il est évident que les fraudeurs ne se sentent guère dissuadés de mal agir eu égard à la faiblesse des sanctions réelles pour les employeurs et à l'impunité des salariés employés «au noir».
Le sentiment d'injustice ressenti par tous ceux qui contribuent et cotisent à ce qui est le fondement même de notre pacte républicain et qui voient prélèvements augmenter et prestations diminuer, est en train de se renforcer et de s'exprimer de plus en plus fort.
Quant à la fraude aux prestations sociales et pour ne prendre que ce seul exemple, la loi votée en décembre 2011 qui prévoit la suspension du paiement des prestations aux fraudeurs qui ont utilisé faux documents et fausses identités pour avoir un numéro de sécurité sociale n'est pas mise en œuvre, alors que notre système social est victime de près de deux millions de fraudes de ce type, c'est-à-dire potentiellement 12 Mds€ de fraude aux prestations sociales chaque année. Plus grave, un projet de loi déposé au parlement est susceptible d'entraîner le démantèlement de cette sanction: au lieu d'une suspension obligatoire du paiement des prestations versées, les organismes sociaux pourraient choisir de simplement prononcer une pénalité dont le minimum légal serait abaissé à une centaine d'euros...
Le sentiment d'injustice ressenti par tous ceux qui contribuent et cotisent à ce qui est le fondement même de notre pacte républicain et qui voient prélèvements augmenter et prestations diminuer, est en train de se renforcer et de s'exprimer de plus en plus fort. Frauder c'est voler ; c'est celui qui fraude qui doit être sanctionné et non pas les familles et les contribuables.