Wall Street dénonce les inégalités… au nom de la croissance

Publié le 06 octobre 2014 par Blanchemanche
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(Crédit photo : Alan Wu - flickr)  FMI, agences de notation et banques d'affaires américaines défendent-ils subitement la justice sociale ? Non. S'ils dénoncent les inégalités croissantes, c'est qu'elles menacent la croissance. Ouf.  Depuis le début de l’année, la lutte contre les inégalités trouve des avocats insoupçonnés. En février, des experts du Fonds monétaire international (FMI) publiaient un rapport plaidant pour une répartition des revenus accrue, suivi trois semaines plus tard d’une autre note (ici en anglais) reconnaissant les effets néfastes des politiques d’austérité sur le creusement des inégalités. Puis, en août, c’était au tour de l’agence de notation Standard and Poor’s de s’intéresser à la hausse des inégalités de revenus. Cette semaine, une banque d’affaires s’y met : comme le rapporte Marianne, Morgan Stanley, connue pour son rôle dans la crise des subprimes, vient de publier un rapport intitulé « Inégalités et consommation » (ici en pdf).
Ces travaux dressent le même constat : de part et d’autre du globe, les inégalités au sein de mêmes pays se creusent de manière préoccupante. En s’appuyant sur les travaux de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le FMI rappelle par exemple qu’à l’échelle mondiale les revenus des plus modestes ont baissé de 14% entre 2007 et 2010, contre 1% chez les plus aisés. De son côté, Morgan Stanley souligne qu’aux Etats-Unis, le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités, a augmenté de 23% entre 1968 et 2013. La banque déplore au passage la multiplication phénoménale de postes à bas salaires dans le tertiaire.
Si les institutions financières prennent des intonations d’ONG, ce n’est pas par charité. L’explosion des inégalités les préoccupe surtout du fait de son impact sur la croissance. « Notre analyse des données, ainsi que l’abondante recherche en la matière, nous conduisent à conclure que le niveau actuel d’inégalité de revenus aux Etats-Unis freine la croissance du produit intérieur brut », indique au Monde Beth Ann Bovino, chef économiste de Standard and Poor’s . Le rapport Morgan Stanley détaille le mécanisme indiquant que « dans un contexte où les ménages sont réticents à s’endetter pour dépenser, une faible croissance des salaires induit une faible demande intérieure ». La banque regarde la persistance des inégalités comme une des causes majeures d’une « reprise anémique ». A l’inverse, « en dehors de considérations éthiques, politiques ou sociales plus largement, l’égalité qui résulte (des politiques de redistribution, ndlr) semble contribuer à une croissance plus rapide et plus durable », indiquait Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI, reprenant ainsi l’argument d’économistes keynésiens, pourtant prompts à dénoncer l’approche libérale de son institution.
Ce constat partagé, chacun y va de sa solution. La banque Morgan Stanley prône une hausse des salaires mais se garde bien d’évoquer des politiques de redistribution. Standard and Poor’s questionne pour sa part l’efficacité des systèmes de sécurité sociale américain dans la lutte contre les inégalités tout en insistant sur le rôle déterminant de l’éducation. Seuls les travaux du FMI plaident pour plus de redistribution des richesses, voire pour un impôt sur le revenu plus progressif. Mais sa détermination à agir laisse dubitatif : à peine ces rapports publiés, le FMI s’est hâté d’indiquer que leurs conclusions ne reflétaient pas sa doctrine officielle, évitant de justesse une crise d’identité.
Le rédacteur :
Amélie Mougey