Pump up the cervelet

Publié le 07 octobre 2014 par Teazine
J'ai la chance d'aller à une floppée de concerts et récemment, j'ai remarqué qu'il devenait de plus en plus important pour moi de pouvoir danser sur la musique. C'est une sensation assez cool, on "part" avec sa tête et tout s'efface, au point de ne même plus vraiment savoir ce qui se trame sur scène. C'est exactement ce qui m'est arrivé pendant Unknown Mortal Orchestra, The Horrors, Thee Oh Sees, Warpaint et Solange la Frange au festival Nox Orae à la Tour-de-Peilz. Pourtant, il suffit d'un rapide coup d'oeil sur n'importe quel public pour savoir que s'agiter comme une siphonnée n'est pas la seule manière d'apprécier un concert. En discutant avec quelques ami(e)s aussi assidu(e)s que moi dans la fréquentation de caves et de festivals, il s'est avéré qu'on connait tous ces états de transe, mais qu'on adopte tout aussi régulièrement une posture plus posée, observatrice, sans pour autant passer un mauvais moment. Il y a donc différents types d’effets physiques que peuvent engendrer les concerts. Et ce n'est pas forcément l'absorption de certaines substances qui change la donne. Explications à l'exemple du meilleur week-end de l'été au bord du Léman.

"Nous dans les pogos" par Adriano 

NOX ORAE 29/30 août 2014 La Tour-de-Peilz
Autant vous le dire tout de suite : je n'ai pas de souvenir précis du Nox Orae. Enfin si, mais pas visuellement, au sens de ce qui s'est passé sur scène. Comme suggéré précédemment, les concerts à ce festival, c’était avant tout une sensation, semblable à un plongeon. Le journaliste anglais Jon Savage le décrit plutôt bien: "On oublie la fatigue, on oublie que la personne en face envahit notre espace en agitant ses bras. Et soudain, on y est : pris dans la transe, par l'énergie supérieure". On ne sait pas vraiment à quoi il fait allusion avec son "énergie supérieure" mais pour le reste, c’est parlant : on lâche prise, on oublie tout le reste et on a l’impression que la soirée est passée en dix minutes, sans vraiment être en mesure de raconter pourquoi c’était si chouette par après.
Quoique si, on sait un peu, il suffit pour cela de voir l’affiche ô combien excellente du Nox de cette année (sans conteste leur meilleure mouture à ce jour) :

Une bien belle affiche par Charlotte Correia et Guillaume Denervaud

Unknown Mortal Orchestra, The Horrors, Thee Oh Sees, Warpaint, Solange la Frange (ainsi que ceux qu’on a lamentablement raté : Kassette, MarilouEsben and the Witch) – Que demande le peuple ? L’élément d’anticipation (on savait qu’on allait passer un chouette moment dans un cadre super) est sans doute favorable à ce qu’on se laisse complètement aller ou pas.
Forcément, on fait aussi assez vite le lien avec un certain état d’ébriété ou de transe relatif aux diverses substances illicites qu’il est commun d’absorber dans ce genre de contexte. Mais la science l’a prouvé : la musique en elle-même a sur le cerveau des effets semblables aux drogues. En effet, lorsque l’on écoute un morceau, notre corps produit de la dopamine, une hormone liée au plaisir. Celle-ci est reçue par notre cerveau comme une récompense et ça le rend tellement fier et content qu’il en (re)demande souvent, ce qui explique entre autres pourquoi on développe facilement une dépendance plus ou moins poussée à des activités plutôt cools comme manger du gâteau, baiser, s’exploser la tête en soirée ou justement, écouter de la musique. C’est peut-être un peu abusé mais avec Hélène (Angry Mum), on est assez d’accord sur l’effet adictif de la fréquentation des concerts : "Pour moi [aller voir des concerts] c'est lâcher prise et prendre du plaisir à être dans cette "zone" où tu peux partir en mini transe sans trop de risques physiques et mentaux. (Même si j'ai un genou niqué à force d'avoir trop pogoté). Pour faire ma valesco, je disais il y a quelques années où je sentais que j’avais vraiment besoin de ces sensations que c'était comme pour ceux qui ressentent le besoin de s'éclater à carnaval, comme soupape de sécurité, donc moi je faisais des petits carnas toute l'année pour ne pas péter un câble".
Un bon résumé de la chose :
Donc on peut partir en vrille dans les pogos de Thee Oh Sees sans s’être préalablement explosé la tête et en plus c’est même plutôt sain puisque ça stimule naturellement notre cerveau. Mieux, en fonction de l’attitude que l’on adopte au moment de l’écoute, cela excite différentes zones dans nos teutés : lorsque l’on gigote comme un(e) dératé(e) l’activité neuronale se synchronise avec le rythme de la musique (typiquement, pendant l’électro-pop putassière de Solange la Frange). Si en plus, on se met à scander à tue-tête les paroles d’une chanson ("SOME SAYYYY, WE WALK ALOOOONE..." de la toujours incroyablement magnifiquement superbe "Sea Within A Sea" des Horrors), c’est le cortex prémoteur qui s’allume, responsable de la coordination de nos mouvements. Si en plus, ladite chanson anime des souvenirs de déprime adolescente (toutes les chansons de Primary Colours des Horrors. No emo), le cortex préfrontal, qui stocke ce qui a trait à notre vie perso, s’enclanche. Enfin, si on se contente d’observer (si on admire la clarté et la précision du jeu de Unknown Mortal Orchestra, par exemple) on stimule le lobe pariétal, une zone liée à la concentration.
Mais toute cette neuro-biologie du dimanche ne nous dit pas encore comment ça se fait que, sans vraiment choisir, des fois, on pète une durite et d’autres pas. Et c’est là qu’on commence à faire des suppositions : "Il y a sans doute des critères objectifs, par exemple la générosité ou la sincérité d’un groupe sur scène." relève Laure (Kassette) "Mais même si c’est objectivement réussi, ça peut ne pas nous faire d’effet". Même son de cloche chez Christophe (Bon Pour Les Oreilles) : "Sans doute faut-il séparer les effets objectifs et subjectifs. Par objectif, je pense aux vibrations que l'on ressent dans son corps lorsque le volume est très élevé et qui font, à mon sens, une bonne partie du plaisir ressenti. Et par subjectif, je songe aux papillons dans l'estomac que l'on peut ressentir lorsqu'on est excité ou impatient d'un concert, d'un morceau ou d'un moment. Sans doute qu'à la frontière entre ces deux types de sensations, on trouve le hérissement des poils. Un phénomène assez étrange, comme une réaction physique à un ressenti psychologique". Quant à Hélène, elle relève que c’est aussi une question d’expérience : "Depuis le temps, je me rends compte assez rapidement si un concert va me faire "partir" ou pas. Mais comme je suis devenue moins extrême avec mes goûts musicaux [Nous avons récemment publié un article à ce sujet, ndlr] j'apprécie de partir en vrille avec des groupes qui, sur le papier, ne devraient pas forcément me plaire".
Au final, on est tous d'accord : quel que soit l'état dans lequel il nous met, on ressent physiquement, à différents degrés d'intensité, qu'un concert est réussi. Bien sûr, il y a des astuces, comme le fait d'inclure une dynamique dans le set en alternant les morceaux calmes avec ceux qui explosent. Une sorte de chronologie en forme de vague qui correspond peu ou prou aux mécanismes d'anticipation / récompense, tension / détente qui se passent dans le cerveau quand il secrète de la dopamine. Toutefois, au Nox Orae, on a plutôt eu l'impression d'une déflagration constante, une courbe exponentielle d'hormones en feu d'artifice dans la tête, conclue en bonne et due forme avec une reprise bien torchée de "Pump up the Jam" par Warpaint à la fin du festival : "take your booooooooty on the floor toniiiiight / make my day".