Jeff Koons : « I’m a fucking genius ! »

Par Jsbg @JSBGblog

Jeff Koons pose avec sa sculpture Michael Jackson and Bubbles (1988) à la Fondation Beyeler, 2012

La grande rétrospective Jeff Koons au Whitney Museum of American Art de New York ferme bientôt ses portes, mais ce n’est qu’un début pour cette exposition qui sera l’événement de l’année culturelle parisienne – ouverture de l’exposition au Centre Pompidou le 26 novembre prochain – et poursuivra son chemin en 2015 vers le Guggenheim de Bilbao.

Je m’étais jurée de ne jamais écrire sur Jeff Koons – parce que trop kitsch, trop vulgaire, trop bling-bling, parce qu’il incarne ce nouveau marché de l’art devenu celui de l’événementiel et du star-system artistique (curateurs comme artistes) et j’en passe et des meilleures – mais voilà, vous savez ce que c’est: il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, et je n’ai pas l’intention de finir taxée d’imbécile! Il faut, en outre, bien le reconnaître, Jeff Koons a l’art – si ce n’est la manière – d’être à chaque décennie le miroir de notre culture contemporaine: société de consommation devenue société du divertissement, culture pop et star-system, culture du luxe et pouvoir médiatique, culte – conscient ou inconscient – du mauvais goût, du désir.

Donc nous y voilà. Jeff Koons (*1955), l’homme de tous les superlatifs, « l’artiste le plus important, influent, populaire et controversé de l’après-guerre », est né en Pennsylvanie et s’établit à New York à l’âge de 22 ans, après des études d’art à Baltimore et Chicago. Il entre au Museum of Modern Art où il est chargé de recruter de nouveaux adhérents – parce qu’alors, il ne vit pas d’art et d’eau fraîche. Dans cette rétrospective chronologique itinérante, le parcours débute logiquement par son premier cycle, The New, dont le point de départ est une vitrine aménagée pour sa première présentation au New Museum of Contemporary Art de New York. Cette série célèbre le « neuf idéal » : série d’aspirateurs et de shampouineuses arrangés dans des cubes de plexiglas illuminés au néon, hymne à l’électroménager, au pop art et au ready-made, esthétisation de la société de consommation. C’est donc par le ready-made que commence la carrière de Jeff Koons – approche qui remonte à l’urinoir de Marchel Duchamp de 1917 qui consiste pour l’artiste à sélectionner un objet manufacturé et à le désigner comme objet d’art. Koons ne se contente pas de répéter le geste de Duchamp, mais il cherche en fait à en exploiter tout le potentiel, faisant ses gammes entre les deux pôles : l’objet inaltéré et la réplique minutieuse. Cette recherche des limites est une marque de fabrique de Jeff Koons; exploiter et épuiser le potentiel des différentes approches de l’art, du marché, de l’exposition.

Jeff Koons, Balloon Dog (Magenta), Installation au Château de Versailles, 2008

Dans la seconde moitié des années 1980, le cycle Banality consacre Jeff Koons au firmament de l’art postmoderne. La légendaire sculpture en porcelaine de Michael Jackson et de son singe, Michael Jackson and Bubbles (1988), peut être considérée comme emblématique de cet ensemble de 20 sculptures, dont le but est, selon les termes de l’artiste, d’« inspirer aux gens un sentiment de sécurité par rapport à leur propre passé, les aider à accepter leur passé. Il s’agit pour l’heure de ma tentative la plus directe pour affirmer que l’art ne devrait pas être cette instance séparatrice, discriminatoire entre les hommes. » Ce qui est remarquable avec ce cycle, c’est la manière dont il a été annoncé, ou plutôt devrais-je dire lancé comme l’on dirait d’une grande production hollywoodienne : non seulement il a été présenté simultanément dans trois galeries, à New York, Cologne et Chicago, mais ces trois expositions ont fait l’objet d’annonces publicitaires dans des revues d’art, annonces conçues par l’artiste lui-même avec l’aide du photographe commercial Greg Gorman… Il s’agit au final d’une promotion de l’artiste plus que de son oeuvre, d’un travail sur la starification de l’artiste…dont le sommet est atteint avec le cycle Made in Heaven (1989-1991). La série explore et expose la relation entre Jeff Koons et Ilona Staller, dite la Cicciolina ; exploration du désir et de l’amour, transformant sa vie privée en métaphore de l’accomplissement personnel. Si cette série est aussi l’apogée de ce jeu de médiatisation, de sa réflexion sur le « star-system », elle a aussi coupé définitivement l’artiste d’un certain milieu artistique pour lequel il est allé trop loin. Il ne sera désormais pas des grands rendez-vous de l’art contemporain comme la Biennale de Venise ou la Documenta de Kassel. Il sera par contre l’icône de ces nouvelles “biennales” de l’ère de l’art au paradis du luxe que sont les foires comme Art Basel. Koons n’est pas le premier à utiliser le système médiatique, à commencer par le mouvement Dada – dont l’histoire débute avec le Cabaret Voltaire à Zurich en 1916 -, mais le discours n’est plus celui de l’avant-garde, d’une forme de guérilla anticonformiste, l’artiste désormais utilise les médias à la seul fin de sa propre glorification….mais que nous le voulions ou non, ce n’est que le reflet du changement fondamental de notre société contemporaine ! Made in Heaven est aussi à postériori une forme de suicide personnel, puisque son mariage avec sa muse finira après deux ans et le séparera de son fils.

Vue de l’exposition « Jeff Koons: A Retrospective » au Whitney Museum of American Art, avec au premier plan Play-Doh, (1994-2014). Photo Fred R. Conrad / New York Times mais encore plus intéressant pour la rétrospective au Whitney, qui inclut Play-Doh et d’autres œuvres: la vidéo du NY Times

C’est justement vers le monde de l’enfance – ours en peluche, figures réalisées en ballons, cakes & co –que se tourne son cycle suivant, Celebration. Et c’est toujours à ce monde-là que fait référence sa dernière œuvre sculpturale, résultat de 20 années de travail et présentée en première à New York : Play Doh (1994-2014). La série Celebration a presque causé la ruine de l’artiste : toujours plus exigeant dans la production de ses œuvres, dont toute trace de manufacture doit disparaître, elles lui coûtent plus cher à produire que leur prix de vente. Il se trouve ainsi en 1997 à licencier presque tout le personnel de son atelier et à arrêter sa production. Bon, d’accord, on ne va pas vraiment le plaindre, car l’aventure Celebration reprend en 1999 et le marché n’a plus abandonné l’artiste depuis. Le fait est cependant assez remarquable pour un artiste phare du marché justement… Finalement, Koons apparaît sous un nouveau jour, comme un aventurier sur le fil du rasoir du système qu’il tente en permanence de récupérer et qu’il finit systématiquement par exploiter au-delà de ses limites.

Avec Koons, l’œuvre d’art est entrée dans une autre dimension… à l’image du monde de l’art. Je ne résiste donc pas à l’envie de citer le critique américain Jerry Saltz à propos de l’exposition new yorkaise (article paru le 30 juin 2014 dans le New York Magazine) : « A Retrospective » confirms that the art world doesn’t belong to the art world anymore. »

Carole Haensler Huguet

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Informations pratiques:

www.jeffkoons.com

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JEFF KOONS: A RETROSPECTIVE.

Whitney Museum of American Art, New York : jusqu’au 19 octobre 2014

Commissariat : Scott Rothkopf

www.whitney.org

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JEFF KOONS. LA RETROSPECTIVE

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris : 26 novembre 2014 – 27 avril 2015

www.centrepompidou.fr

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JEFF KOONS: A RETROSPECTIVE.
Guggenheim Bilbao : 5 juin – 27 septembre 2015

www.guggenheim-bilbao.es

Art Magazine Ads (Art in America) 1988–9 © Jeff Koons