Etienne Daho pour les nuls

Publié le 10 octobre 2014 par Teazine
En juillet dernier, une soirée à la Salle Pleyel à Paris a réuni de jeunes groupes comme La Femme, François & The Atlas Mountains, Lescop, Yan Wagner ou encore The Pirouettes. Des formations aux sons bien différents, mais qu'on peut rassembler, par commodité, sous le terme "nouvelle pop française". Ne me demandez pas si c'était bien, je n'y étais pas et de toute façon, là n'est pas le propos. Ce qui nous intéresse ici, c'est que l'événement, judicieusement baptisé "Tombés pour la France", posait Etienne Daho comme le parrain de toute cette nouvelle vague d'artistes. En plus de trente ans de carrière, Daho est passé de jeune étudiant rennais obsédé par le Velvet Underground au statut d'architecte de la pop à la française. De fan à passeur. L'importance de cet artiste n'est pas à démontrer. Pourtant, beaucoup encore se cantonnent à "Weekend à Rome" ou "Comme un Boomerang" - par ailleurs deux très bons morceaux, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Puisque le bonhomme est actuellement en tournée dans les moindres recoins de l'hexagone et qu'il passera même en Belgique à la fin du mois, c'est l'occasion rêvée de vous proposer une séance de rattrapage. 
1981 : Mythomane Fin des années 70, Etienne Daho est étudiant à Rennes. Grand amateur de musique, qu'il collectionne au fur et à mesure de ses séjours à Londres et Manchester, il a deux amours : le rock (nous sommes en pleine ère punk), et la soul, qu'il a découverte tout petit quand il vivait avec sa famille à Oran en Algérie. Il écrit de la musique depuis qu'il a quinze ans, mais n'ose pas enregistrer et se contente de fréquenter les salles de concerts. Daho devient ami avec Marquis de Sade, alors les rois de Rennes, et les Stinky Toys, le groupe de Jacno et Elli Medeiros qu'il a fait venir jouer en Bretagne. Il finit par se laisser convaincre de se mettre à chanter (il ne joue pas d'instrument) et de jouer aux premières éditions des Transmusicales. La machine est lancée, en 1981, à 25 ans, Etienne Daho sort son premier album, Mythomane, produit par Jacno et avec les musiciens de Marquis de Sade. Un disque entre légèreté apparente et mélancolie, qui finira par devenir culte, mais plus tard. (Je voulais mettre la chanson "Mythomane", qui est tout bonnement sublime, mais impossible de la trouver, checkez sur les plateformes de streaming.)

1984 : La Notte, La Notte Etienne Daho sort "Le Grand Sommeil" en 1982 et rencontre enfin un début de célébrité. Deux ans plus tard sort La Notte, La Notte, dont est extrait l'énorme tube "Weekend à Rome". La machine est lancée, fini les circuits underground. Le breton d'adoption réussit même à remplir l'Olympia, pas mal pour quelqu'un qui n'en est qu'à son deuxième album. Musique à part, La Notte, La Notte, c'est aussi cette superbe pochette avec une photographie de Pierre et Gilles, où Daho pose, l'air rêveur, avec un perroquet (une perruche ? pareil) sur l'épaule. Une image de jeune premier, tendre romantique, qui lui colle encore un peu aujourd'hui, alors qu'on a quand même vu plus sage. Mais c'est vrai qu'il était vraiment beau gosse.


1986 : Pop Satori La sortie du troisième album d'Etienne Daho ne fait que confirmer son succès. On parle de véritable Dahomania envahissant la France, on le pose comme la voix d'une génération, un symbole de la jeunesse (bien que le bonhomme soit maintenant dans sa trentaine). Pop Satori est encore considéré par certains aujourd'hui comme le meilleur album de Daho. Il faut dire qu'il rassemble une poignée de tubes, dont l'irrésistible "Tombé Pour la France" (franchement, qui peut ne pas aimer ce morceau ?), sorti en single et en EP un an plus tôt, et "Epaule Tatoo". Des morceaux qui restent coincés dans la tête, même près de trente ans après. Pop Satori est sûrement l'un des disques de chevet de la nouvelle scène pop française actuelle.



1988 : Pour Nos Vies Martiennes À la fin des années 80, Daho entame en douceur sa métamorphose. Les synthétiseurs sont moins présents et laissent davantage place aux guitares. Mais des guitares mignonnes, le chanteur n'abandonne pas les ballades pour autant. Il a tellement de slows à son compteur qu'il doit être responsable de la naissance de pas mal de gamins depuis le début de sa carrière. Je préférais la période plus synthétique, mais Pour Nos Vies Martiennes a de beaux moments, comme "Bleu Comme Toi", qui n'a rien à envier aux productions anglo-saxonnes de l'époque, et où il arbore un joli chapeau de cow boy dans son clip, parce que monsieur a toujours eu le sens de l'élégance.

1991 : Paris Ailleurs
Les années 80 sont définitivement finies. Alors qu'il est une idole dans l'hexagone, Daho passe de plus en plus de temps à l'étranger, surtout à Londres et à Ibiza (dans la campagne hein, pas dans les clubs). Plutôt que de jouer en terrain connu, Etienne Daho décide d'avancer, expérimenter davantage. Paris Ailleurs, son cinquième album, enregistré à New York, est une sorte de rupture dans la carrière de l'artiste. Un disque plus chanson, plus soul aussi, avec des choeurs et des arrangements de cuivre. On sent qu'il s'est fait plaisir en enregistrant. Un changement qui ne perturbe pas pour autant le public, puisque l'album est disque de platine et la tournée passe par quatorze pays. Le clip du single "Les Voyages Immobiles" a été réalisé par Michel Gondry, et j'en profite pour vous faire remarquer, au cas où vous n'auriez pas bien suivi jusque là, que les vidéos qui accompagnent les morceaux de Daho sont généralement exceptionnelles.


1996 : Eden  Les années 90 commencent à prendre une tournure un peu glauque. Des personnes de son entourage meurent du sida. Daho décide de s'engager en rassemblant divers artistes autour d'un même album pour financer la recherche. Un combat qui lui vaudra une sinistre rumeur : en 1995, certains assurent qu'Etienne Daho est mort, victime du sida. Qu'à cela ne tienne, il sort un EP la même année, intitulé Reserection. Prends ça, la rumeur. Le disque est une collaboration bien sentie avec le groupe Saint Etienne, ce qui donnera donc, sur la pochette encore signée Pierre & Gilles : "St Etienne Daho". Rigolo. D'ailleurs, le plus gros tube des Anglais sera "He's On the Phone", une reprise eurodance de "Week-end à Rome".
Etienne Daho, encore chamboulé par la rumeur sur sa mort, décide de se remettre à l'écriture. Il s'enferme dans un studio et accouche d'Eden. Un album dans lequel il s'est énormément investi et qu'il considère comme le plus abouti de sa carrière, où chaque arrangement a été calculé au millimètre, une sorte de suite à Pop Satori. Pourtant, le succès critique n'est cette fois-ci pas au rendez-vous. Eden déçoit.

2000 : Corps et Armes Etienne Daho a l'impression que son chef d'oeuvre est derrière lui, bien qu'Eden n'ait pas convaincu. Il ne comprend pas la réaction du public. Il expliquera plus tard dans une interview qu'il a "moins besoin d'être aimé que d'être compris". Mais toujours décidé à aller de l'avant, à poursuivre la quête du disque parfait, il retourne enregistrer. Cette fois, il limite le temps en studio, pour ne pas se perdre dans les arrangements. Il dirige d'une main ferme son équipe de musiciens, sait où il veut aller. Débarrassé d'une partie de ses démons, il livre un disque bien plus solaire, Corps et Âmes, et ça marche. Un an plus tard, il fait un grand coup en convaincant Dani de reprendre "Comme un Boomerang", une chanson que Gainsbourg avait écrite pour elle, et jusque là inédite. Leur duo marche à merveille, carton plein.


2003 : Réévolution 
Pour son huitième album, Daho retourne enregistrer à Paris. Réévolution annonce le changement. C'est un disque plus rock, avec de grosses guitares. J'avoue ne pas vraiment aimer Réévolution, donc je vais me contenter de mettre la vidéo du duo avec Charlotte Gainsbourg, "If", écrit par le groupe français Ginger Ale.

2007 : L'Invitation
En 2007, Daho revient avec L'Invitation, et tout le monde répond présent. Disque d'or et Victoire de la musique. Le chanteur se livre comme rarement, allant même jusqu'à proposer une adaptation d'une lettre écrite par son père avant sa mort. L'Invitation se pose comme un album mature, celui d'un homme qui, à 50 ans et sans jamais renier le petit mec de Rennes qu'il était, règle enfin ses problèmes, le tout sur des arrangements purs, sans fioritures.

2013 : Les Chansons de l'Innocence Retrouvée De longues années séparent L'Invitation du tout dernier album d'Etienne Daho. "Après ce disque très introspectif, qui avait été difficile à écrire, je me sentais tellement bien que je me suis demandé si je pourrais réécrire à nouveau", confie-t-il à Magic. À défaut d'écrire des textes originaux, il se lance alors dans une adaptation musicale du poème Le Condamné À Mort, de Jean Genet, avec Jeanne Moreau. Le disque sort en 2010. Il reprend "Amoureux Solitaires" pour l'album hommage à son vieil ami Jacno, et produit Lou Doillon. Alors qu'il travaille enfin sur un nouvel album solo, une banale opération pour se faire enlever l'appendicite se complique et Daho frôle la mort. Un épisode qui fait écho à son disque, Les Chansons de l'Innocence Retrouvée, où la question du renouveau a une place importante. Etienne Daho n'est pas fini, loin de là. "Il faudra me tuer pour que j’arrête de chanter".