Mandela et moi - ou le carnet de route d'une groupie

Publié le 11 octobre 2014 par Joss Doszen

"Mandela et moi" (Actes Sud, 2010) de Lewis Nkosi s’apparente à une arnaque marketing. Arnaque réussie grâce au titre du livre qui vous donne l’illusion que vous allez lire un puissant récit autour, au minimum du Grand Mandela, ou tout du moins une histoire sur l’apartheid et la souffrance vécu par le peuple Sud-Af. Il n’een est rien. Ou presque. D’apartheid il n’est quasiment jamais question et Mandela, bien que omniprésent, n’est en fait qu’une espèce d’ombre, un fond d’écran Windows que l’on a devant les mirettes sans le voir.

Lewis Nkosi nous introduit dans la vie de Dumisani, jeune zoulou du petit village de Mondi, dès son plus jeune âge. Le livre est un voyage à travers le temps, de la tendre enfance de ce garçon tant espéré par les parents, Mhziwake et Makhize, a ses premiers émois d’adolescent (notamment son initiation à la branlette par son cousin plus âgé ; mythique ! lol), a sa vie d’adulte faite de travail, de fornication, de femmes, de sexage, d’amis et, toujours, de luxure. Et au milieu de tout cela, il y a Mandela. Dumisani est une groupie totale du grand homme. Dès son plus jeune âge Mandela est pour lui l’exemple ultime à suivre, le modèle de courage, de charisme, de masculinité autour duquel le jeune homme, puis l’adulte bâtit sa vie et sa relation aux autres. Surtout sa relation aux femmes.

"Au même âge que lui, pensa Dumisa, Mandela, un xhosa de bonne réputation, avait probablement été initié aux mêmes rites que lui. Mais il se dit avec regret que Mandela avait sans doute été circoncis. Dumisa ne vivrait pas la cérémonie de la circoncision - les zoulous avaient hélas largement perdu cette coutume. C’était sûrement un moment très douloureux, mais Dumisa estimait qu’il était bien dommage que les zoulous se soient affranchis d’une tradition qui l’aurait encore rapprochée de son idole."

Mandela est l’ultime modèle mais il est plus une image, une espèce de personnage super-héros de BD qu’un être personnifié. Dumisa suit les combats de Mandela de loin, via des rumeurs et des journaux bas de gamme. L’apartheid n’est qu’un fond sonore qui rarement impacte ce qui est vraiment ce livre : une plongée dans le réel d’une Afrique de sud noir et des villages. Loin des combattants de la liberté en pleine action, Lewis Nkosi nous rappelle que, au-delà des combats, les sud-africains, en ces temps de durcissement des lois racistes, avaient une vie, des cultures riches, des mœurs éclectiques. Via Dumisa nous rencontrons des personnages hauts en couleur qui tentent de vivre sans se focaliser sur les relations difficiles avec les Boers.


" ’Toutes les nations ont bu du vin de la fureur de sa fornication, et les rois de la terre se sont livrés avec elle à al fornication’, rappela le diacre Malinga à son audience. Mais il assura les fidèles que Dieu tout-puissant aiderait les habitants de Mondi à repousser le mail. Chaque jeudi, il s’agenouillait, et conduisait la prière des femmes. Chaque jeudi, il entrait dans l’église apostolique zouloue par la grande porte, et il en ressortait plusieurs heures plus tard, par la porte de derrière, en compagnie d’une sœur, jamais la même."

Les blancs sont à peine présents dans ce livre, si ce n’est ce prête maitre d’école (Le père Ross) qui nous permet de voir le rôle difficile de l’église et de l’école quand le gouvernement de l’apartheid leur demander d’enseigner le séparatisme aux élèves. Les touristes européens, friands d’exotisme sont les seules figures blanches qui semblent impacter directement le jeune Dumisa, via, surtout dans la façon qu’il a, avec ses amis, de les tourner en ridicule, dans leur dos.

"Des lois avaient été votées et étaient mises en application, visant à obliger les écoles privées, notamment les écoles missionnaires, à enseigner la doctrine du séparatisme. Les missionnaires, dont les pères de l’Eglise écossaise qui dirigeaient l’école de Dumisa, regimbèrent. Les sentiments s’exacerbèrent. Beaucoup d’écoles religieuses menacèrent de fermer, préférant cesser leur activité plutôt que d’enseigner une doctrine basée sur le principe de différences fondamentales et immuables entre les races."

Le point fort de ce livre, est dans le fait de nous faire connaitre mieux ce peuple zoulou des années soixante, et est dans sa chute. J’ai adoré la fin totalement inattendue et jouissive (c’est le cas de le dire) de l’histoire de Dumisani, ex président du "Football Club Mandela", qui a 46 ans a eu la vie des plus extrêmes des groupies, digne des fans les plus barges des Lady GaGa ou autres Britney Spears.

" - regarder un blanc chier ! Dieux de nos pères ! Qu’est-ce que ça veut dire ! Vous finirez aveugles ! Les enfants d’aujourd’hui...
 Comment pouvions-nous savoir qu’il y avait un homme blanc derrière cet arbre ?
 Parce que Mandela est en cavale, idiot, voilà pourquoi.
 C’est qui Mandela ?
 Le Grand homme qui va nous libérer. ils essayent de l’attraper.
 Un blanc doit chier pour attraper Mandela ?
 ’Un blanc doit chier pour attraper Mandela’ ? Mon Dieu, quel enfant ! Quelles questions ! Tu n’as qu’un demi cerveau ou quoi ? Bien sûr que ce blanc doit chier. Pas pour attraper Mandela. mais ’en attendant’ d’attraper Mandela. Mandela fera chier n’importe quel Blanc qui essaye de l’attraper.
 Mais pourquoi il s’enfuit s’il peut faire chier un blanc ?
 ’Pourquoi il s’enfuit s’il peut faire chier un blanc ?’ Seigneur. Quel idiot ce gosse ! Écoute-moi. Mandela s’enfuit, mais il ne s’enfuit pas. Ce que je veux dire, c’est qu’il s’enfuit mais qu’il ne s’enfuit pas réellement. Pas facile à expliquer a un gamin. tu comprends ?
 non."


PALABRES AUTOUR DU ROMAN : "Mandela et moi" de Lewis Nkosi sur Sud Plateau.TV

"Mandela et Moi"

Lewis Nkosi

Éditions Actes Sud, 2010