juste des jours meilleurs

Publié le 12 octobre 2014 par Pjjp44

INQUISITION
"Les grenouilles de bénitiers ont encore frappé.
En Loire-Atlantique, elles ont adressé un courrier à 1000 chefs d'établissement scolaire du département pour les informer qu'une  "veille active" serait exercée par des parents volontaires sur le déroulement de la scolarité. S'agit-il de vérifier si le bénédicité est bien dit après chaque repas? Si les élèves suivent mâtines et vêpres en début de journée? Si tous les internes portent bien leur ceinture anti-masturbation avant de se coucher?
vous n'y êtes pas:
ce qui est lancé, c'est la chasse à la "théorie du genre".
Ces éminents gardiens de la morale veulent contrôler si les ouvrages scolaires et les livres jeunesse, qu'ils ont mis à l'index, ont été expurgés et si les films ainsi que les associations extérieures qu'ils ont censurés restent bien à la porte.
Cette mise sous surveillance a surtout pour effet d'inciter à bouffer du curé! elle rend éminemment sympathique ces Femen, jugées après être venues, seins nus, fêter le renoncement du pape Benoît XVI en faisant teinter les cloches de la cathédrale notre Dame de Paris.
La justice les a relaxées, condamnant ceux qui les avaient bousculées. 
"Anticlérical fanatique, gros mangeur d'ecclésiastiques, cet aveu me coûte beaucoup, mais ces hommes d'Eglise, hélas! ne sont pas tous des dégueulasses, témoin le curé de chez nous" (la messe au pendu) chantait Brassens. 
le père Gérard Riffard était poursuivi par le tribunal de police de Saint-Etienne pour avoir hébergé des réfugiés dans son église. Le juge l'a finalement relaxé, ayant estimé qu'il n'avait fait que se substituer aux obligations de l'Etat, tenu d'offrir un hébergement à ces réfugiés.
"Et maintenant quand on croasse, nous les païens de sa paroisse, c'est pas lui qu'on veut dépriser. quand on crie "A bas la calotte!" à s'en faire péter la glotte, la sienne n'est jamais visée. quand vous vous goinfrerez un plat de cureton, je vous exhorte, camarades, à faire en sorte que ce ne soit pas celui-là". "
Jacques Trémintin dans "Lien Social" n°1148



Le graffiti
"Rien.
Rien n'occupait la pensée d'Etienne Fusain , professeur de philosophie, en terminale L, lycée Saint-Anselme, Saint-Denis, au soir du 2 novembre 2011.
Plongé en lui-même, il donnait l'impression d'une activité intellectuelle profonde, mais pourtant illusoire. La réalité de son état intérieur était précisément l'absence de toute activité. L'apnée spirituelle.
Un choc puissant avait suspendu la mécanique réglée d'un cerveau qui jusqu'à ce jour avait su lui rester fidèle.
"Voilà"...fut le premier mot qui ressucita dans son esprit.
Assis le dos droit, le visage contrarié, avec cette expression pincée qu'il adoptait devant ses élèves et plus généralement devant toute personne qui lui adressait la parole, occurence assez rare depuis quelques mois, il examinait sans conviction les preuves de la survie de son corps;
Alors que sa pensée reprenait lentement connaissance, une question non résolue le maintenait dans la position qu'il n'avait pas quittée depuis presque une heure sur la chaise de son bureau.
La question était de trouver le mot le plus précisément descriptif de l'homme qu'il était devenu.
il le trouva.
En regardant, par-dessus les toits et par le verre flouté de la fenêtre, le ciel lui apparut comme un poumon sombre encrassé et les nuages, coulant sous le soleil mourant, comme d'épais crachats noirs.
il observa lucidement que son humeur avait déjà été plus positive.
Poussiéreux, était le mot.
A l'image de la salle de cours devant lui, désertée pae ses élèves et la lumière du jour.
Derrière le bureau, couvert de taches d'ombres qui fuitaient de la nuit, il repassait du doigt le graffiti sans relief, gravé au Bic rouge, dans l'après-midi, par un coupable qu'il ne chercherait pas à identifier, s'attardant sur chacun des mots qui entaillaient la surface du bois. Et les répétant en lui-même, avec le secret espoir d'en épuiser la force; Mais les mots étaient d'une simplicité cruelle et la manière de les dire ne changeait pas leur sens:
"Fusain est un con."
A l'extrémité de la salle, une petite mappemonde, dont personne ne se servait plus, perdait doucement des bouts de continent. Fusain observa pour la première fois que le cercle de la terre formait un zéro suspendu dans le vide.
Il chercha une idée réjouissante, comme il le faisait toujours dans l'épreuve. L'idée venait autour d'un mot qu'il aimait. il essaya "Raffinement"; son doigt dessina les lettres sur le graffiti, qui ne se laissa pas recouvrir.
De la façade de l'immeuble voisin, les carrés jaunes des fenêtres lui révélaient l'avancée de la nuit. Leurs rayons formaient des ombres chinoises, comme celles que son père dessinait sur le mur de sa chambre. Des éléphants, avec des trompes mobiles.
Le graffiti le fixait. il le relut encore et découvrit le point qui concluait la phrase. Un point que l'auteur avait pris le temps de marquer en forçant la pointe du stylo, pour signifier le caractère définitif de son jugement.
Ce point aggravait de beaucoup la portée néfaste du message. Bien loin d'être un détail, il était le cinquième mot et le graffiti une main complète, qui tenait entre ses doigts la réalité de son être. Elle projetait ses contours dans l'espace comme une ombre chinoise. Il pivota et vit se dessiner sa forme noire sur le mur.
Lui, à la place des éléphants.
Condillac passa devant la porte et s'étonnant de le trouver encore là, lui demanda s'il allait bien.
-Je vais bien.
sa salle de cours jouxtait la sortie et aucun de ses élèves n'avait fermé la porte. Condillac non plus n'avait pas fermé la porte. Personne ne fermait plus les portes.
.../..."
-Antoine Sénanque- extrait de:" Etienne regrette"-Editions Grasset