Anabell Guerrero : parole d’artiste

Publié le 01 novembre 2014 par Aicasc @aica_sc

Anabell Guerrero ©
Se Souvenir- coeur créole
Saint – Pierre

« Mon travail artistique part d’une réflexion autour de thèmes tels que l’exil, les migrations, la vie entre deux mondes, la frontière, la mémoire »…

Ces thèmes sont travaillés dans différentes séries : Les Réfugiés, Totems à la frontière, Terre des rêves, Sangatte, Voix du Monde, Frontera, Cité Fragile, Le Tremblement du temps.
Voix du Monde, Les Réfugiés, Sangatte, Le Tremblement du temps sont les projets sur les immigrants, réfugiés ou les personnes en transit.
Totems, à la frontière, Terre de rêves, Frontera sont réalisés à la frontière entre le Venezuela et la Colombie. Frontera est une commande du Centre National de la Photographie du Venezuela, un travail réalisé dans la région du Táchira, à l’occasion d’un parcours photographique sur les pas du Libertador Simón Bolivar dans sa Campagne Admirable pour libérer le Venezuela du pouvoir espagnol.

Anabell Guerrero ©
Se Souvenir
Saint – Pierre

« Dans mon travail photographique, le portrait constitue un élément de référence.
J’ai réalisé beaucoup des portraits d’écrivains, des musiciens, des peintres et en même temps je me suis intéressée à la problématique de l’exil. Les portraits des réfugiés sont les visages de notre temps et dans ce siècle de guerres, un réfugié est une personne qui résiste à la disparition.
J’ai photographié ces êtres en sachant que pour eux un portrait peut être dangereux, c’est pour cela que je ne donne jamais à voir l’intégralité de leur visage. Comment faire le portrait d’un réfugié quand on sait qu’un appareil photo pour un sans papier, cela signifie identification policière avec le risque d’une reconduite à la frontière ?. .. Donc, s’attacher à des détails, fragmenter objets et portraits, jouer sur les plans, les flous
Le moment de la prise de vue est un moment privilégié, parfois très bref, parfois très long tout dépend de la rencontre et de la communication qu’on établit. On ne sait jamais à l’avance ce qui va se passer. Chaque rencontre est différente, si on arrive à avoir une bonne communication, ce sont souvent les moments de silence qui permettent de capter la vérité propre à chaque personne.
Pour moi, réaliser un portrait, c’est s’oublier pour laisser place au sujet, c’est tenter ainsi de capter ce qui émane de la présence de la personne et de l’intensité de l’instant.
A Sangatte, j’ai fait des portraits de très près, en mouvement, en ne cherchant pas à cadrer ces visages mais au contraire à les laisser entrer et sortir du cadre (comme ils entraient et sortaient la nuit du Centre de Sangatte). Les personnes que j’ai photographiées étaient dans leur majorité des Afghans, des Kurdes et des Irakiens. Ils n’étaient pas vraiment des réfugiés parce qu’ils n’en avaient pas le statut, ils étaient des gens sans droit, à la frontière de l’être et du non-être social. On ne pouvait pas dire non plus qu’ils étaient des immigrants, parce qu’ils étaient en transit.
C’étaient surtout des personnes déplacées, sans foyer, sans avenir, sans identité. J’étais accompagnée par une traductrice ce qui m’a permis de communiquer avec eux. J’avais une bonne communication avec les personnes, on parlait beaucoup ils me racontaient l’histoire de leurs voyage, comment ils avaient quitté leurs pays, les passeurs.

Anabell Guerrero
Voix du monde

Pour Voix du monde il y a des mois de rencontres régulières, de l’immersion. J’ai passé un an et demi en résidence à la ville d’Évry. Cela a été une expérience très intéressante ; j’ai rencontré des personnes provenant d’Asie, du Moyen Orient, d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Europe de l’Est…
En 2006, il y avait à Évry, cinquante –quatre nationalités différentes. Cette confluence à Évry de personnes venues d’horizons très divers, c’est une grande richesse. C’est pourquoi j’ai abordé la question de l’immigration avec la réalisation de cinquante-quatre photographies de détails, de fragments de visages, de corps, de mains, de pieds. Selon le même principe de fragmentation et d’étirement de l’image, présent presque toujours dans mon travail, j’ai fait un portrait recomposé à partir de fragments qui fonde une nouvelle identité, plurielle et multiculturelle. Pour moi, il ne s’agit pas de présenter une identité figée qui fait référence à un seul pays ; une seule nation, un seul état. Mais plutôt une identité plurielle.
Totems à la frontière sont des portraits en pied, en cadrages serrés et composés à partir de la fragmentation de l’image, qui prend la forme de triptyques verticaux. Une manière d’obtenir une prolongation de l’image qui veut rompre la perspective et met en évidence les détails de peaux, de robes, de parures… comme autant de fragments de vie de ces femmes qui luttent pour assurer la survie de leur culture. Je propose une dynamique de la verticalité en prenant le parti de l’élévation, afin de surligner la dignité de la personne, de lui donner sa grandeur et pour mieux apprécier l’humilité, et l’autorité, de ces femmes totems qui se dressent dans le désert de La Guajira à la frontière avec la Colombie. Totems à la frontière est un hommage à ces femmes qui tentent à tout prix de maintenir les traditions culturelles et la cohésion familiale au sein de leur communauté. Chaque fragment de ces portraits est une photo. Il n’y a aucune manipulation numérique, ni recadrage. A l’époque où j’ai fait ces photos je travaillais avec un appareil Leica, analogique et avec des négatifs. On ne pouvait pas voir les images tout suite comme maintenant. Après plusieurs mois de prises de vue, je développais les négatifs et alors je pouvais faire mes premières planches de contact. Les premières photos sont apparues dans mes planches de contact comme des portraits en pieds de femmes allongées. En 2014, Les Pierrotines ont été réalisées selon le même principe. A différence de la série Totems ou je travaille des triptyques dans la verticalité pour faire des portraits en pied des femmes indiennes, dans la série Frontera j’ai mis en place des portraits en triptyques qui, à partir de la fragmentation donne une horizontalité à l’image en montrant le rapport de l’homme à son territoire.
Le travail de Voix du Monde est fait également avec un appareil argentique. Pour obtenir la superposition du visage et des cartes, j’ai fait des petits tirages et j’ai travaillé avec des photos et des cartes de portulans que j’ai rendu transparentes. Après j’ai fait la superposition numérique des photos avec l´’ordinateur.

Anabell Guerrero
Voix du Monde

Le principe de fragmentation fait partie de ma démarche plastique. Ce qui me permet d’aller au – delà du cadre formel d’une photo, jouer avec les plans, les perspectives, travailler les détails et faire ainsi des portraits ou des paysages recomposés à partir de fragments.
La thématique de la mémoire traverse plus particulièrement les projets sculpturaux ou photographiques, Souvenances, Œil- miroir, Mémoire Obscure, Se Souvenir.
L’installation Souvenances conçue pour la Savane de Fort – de – France (Martinique), fonctionne comme une métaphore de la mémoire et veut rendre hommage aux héros de la liberté et à leurs résistances au système esclavagiste et colonial. Ce Mémorial souligne par ses dimensions la noblesse et la grandeur humaine des héros de la résistance. Elle est constituée de deux totems bidimensionnels réalisés en granit noir poli dans lesquels seront gravées au laser des photographies en noir et blanc. Sur le premier totem, il y aura deux photographies au recto, des visages de la Martinique ; la partie postérieure de ce totem est réalisée en acier inox sur laquelle seront inscrits les noms d’esclaves, rebelles, insurgés, ainsi que les dates des luttes collectives et des insurrections, hommage aux héros de la liberté. Cette structure en inox fonctionne aussi comme un miroir qui reflète un deuxième totem en granit noir dans lequel il y a au recto un portrait en diptyque d’une femme qui représente l’Afrique en tant que terre-mère. À travers ce portrait, on veut signifier la mémoire de cette Afrique qui persiste dans l’exil : dans les cales des navires négriers, les africains ont emmené avec eux le souvenir des contes et des mythes, des rythmes et des tambours, des danses et des transes, leur âge d’or lorsque l’homme d’Afrique était fier et fort.

Anabell Guerrero ©
Se Souvenir
Saint – Pierre

J’ai également développé un projet photographique intitulé Mémoire Obscure. Ce projet explore la mémoire occultée de certains pays de la région des Caraïbes (Cuba, Martinique, Porto Rico, Venezuela) qui partagent un passé commun d’esclavage. Une partie de ce projet a été déjà exposé à Paris: La Ville des Colonnes (Cuba), Cité Fragile (Venezuela).
Œil Miroir, visible à Saint – Pierre (Martinique) est une installation constituée de neuf totems entre lesquels le spectateur est invité à déambuler. C’est une expérience visuelle qui dialogue et résonne avec l’histoire des habitants de Saint Pierre. Chaque totem est différent, constitué d’une structure métallique surmontée de la photographie d’un œil. L’œil regarde vers la nature mais aussi vers la mémoire et l’histoire de Saint Pierre. Il fonctionne comme un miroir qui nous regarde et dans lequel les habitants peuvent se reconnaître, ces yeux nous observent et en même temps ils reflètent une histoire. Six totems sont habillés par une ou deux photographies transparentes contenues dans des structures qui représentent des hublots de navire, à travers lesquelles on va voir des images de Saint Pierre de 1902 et des images actuelles, mais aussi des images de mains. Les neuf personnages sont installés par groupe de trois, la structure centrale de chaque groupe de trois totems est gravée avec des poèmes d’Aimé Césaire et d’Edouard Glissant. »
Enfin, derniers en date, Les Pierrotines et Se souvenir réalisés en fin 2014 à Saint – Pierre. Pour en savoir davantage, cliquez sur ce lien :
http://aica-sc.net/2014/10/27/les-perrotines-danabell-guerrero/

Anabell Guerrero ©
Les Pierrotines
Marcelle

Anabell Guerrero ©
Les Pierrotines
Mireille