Résultats du bac décryptés : le niveau monte ?

Publié le 04 novembre 2014 par Soseducation

Par JEAN-PAUL BRIGHELLI

Il y a des gens qui travaillent au ministère. Non, pas le ministre, pas les conseillers, pas les commissions ad hoc bourrées de copains qui se sont cooptés avec délectation (ainsi le tout récent Conseil supérieur des programmes, où l’on apprend avec intérêt que les seuls enseignants de terrain enrégimentés pour définir les nouveaux programmes sont des « expérimentateurs » ou des retraités). Non, mais les petites mains qui oeuvrent sur les chiffres, dans d’obscures directions centrales, et qui disent la vérité – malgré le ministre, malgré les conseillers. Par exemple, la DEPP, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (si, ça existe !), qui vient de publier les statistiques sur les notes obtenues par les bacheliers sur la période 2008-2013.

La constante macabre

Avant de vous livrer ces résultats, petit rappel de la théorie. Selon André Antibi, un mathématicien toulousain qui est parvenu ainsi à se faire une petite réputation, les enseignants, lorsqu’ils notent, répartissent inconsciemment leurs copies en trois paquets de tailles grossièrement égales – mauvais, moyens, bons. Ce qui doit nous amener à une courbe de Gauss à peu près parfaite à chaque fois. Ce même mathématicien, affirmant qu’être distribué dans le tiers inférieur a pour effet pervers de confiner dans la médiocrité au lieu d’inciter à mieux faire, a donc proposé (et il est entendu au ministère, comme nous l’avons vu) de supprimer les contrôles tels que nous les connaissons encore aujourd’hui et de les remplacer par un système basé sur l’EPCC (évaluation par contrat de confiance – on adore les sigles abscons chez ces gens-là), comme il l’explique au Café pédagogique, la bible internet des nouvelles pédagogies. C’est-à-dire in fine de supprimer les notes – en tout cas, toutes celles encore inférieures à 10. Il a d’ailleurs tout récemment rédigé un livre (pour des élèves heureux en travaillant, éditions Math’Adore, septembre 2014) pour expliquer tout cela et a fondé le MCLCM (Mouvement contre la constante macabre) dont le site n’est pas sans intérêt ethnologique…

C’est en gardant cet a priori en tête qu’il faut consulter le graphique de nos statisticiens du ministère, analysé par Baptiste Coulmont, maître de conférences à Paris-VIII, sur son site.

Un coup d’oeil suffit pour comprendre que la fameuse « constante macabre » qui soi-disant met en coupe réglée la distribution des notes est une fiction : où voyez-vous, dans ce regroupement massif à droite de la moyenne, l’harmonieuse et infamante courbe en cloche prédite par notre mathématicien ? Oui, un coup d’oeil montre l’effarant regroupement sur des moyennes pures, particulièrement à 10, mais aussi à 13, 14, 15, et plus globalement un écrasement des notes entre 10 et 15.

Un second graphique prouve, s’il en était besoin, l’effarant glissement vers le haut de la notation : la notation, pas le niveau !

Année après année, le nombre de très bonnes notes augmente de façon spectaculaire. Étonnez-vous après cela que Sciences Po en ait fini avec sa politique de recrutement systématique à 18 de moyenne. C’est si simple, désormais ! Vous n’avez pas 18 ? Vous n’avez pas honte ?

Pressions et complaisances

Deux hypothèses – mais la première est pour la beauté du raisonnement, pas pour celle de la logique : nos élèves sont tellement bons, tellement bien formés qu’ils se situent « naturellement » du bon côté de la statistique. Seconde hypothèse – mais je n’ose la faire qu’en tremblant : les jurys, répondant à diverses pressions, remonteraient les notes ou, mieux, s’autocensureraient de façon à ne plus noter en dessous de 8 et, si possible, pas en dessous de 10.

Est-ce une hypothèse crédible ? Non, bien sûr, les jurys sont souverains – sauf que les universitaires qui les président (c’est obligatoire, le bac étant le premier diplôme universitaire, mais c’est une corvée – non payée – à laquelle la plupart des enseignants de fac rechignent) avouent, quand ils sont honnêtes, qu’ils sont eux-mêmes victimes de diverses pressions. « Il peut y avoir une pression du lycée sur le président du jury. Je me souviens, il y a quelques années, j’étais président de jury pour la seconde fois de ma vie, et pour la première fois dans une section technologique (cela a été l’unique fois). Avant le jury, le proviseur me dit qu’il faut bien que je comprenne qu’il n’y a que huit places en redoublement dans son lycée, et que l’autre lycée du même département qui assure cette section n’a que cinq places. Il résume donc : « Vous allez avoir une centaine d’élèves dans votre jury, comprenez que si vous en recalez plus de treize, chaque élève supplémentaire sera à la rue l’an prochain. Sachant que dans cette section il y a surtout des élèves issus de couches sociales défavorisées, cela augmente, vous vous en doutez, les problèmes (délinquance, chômage, etc.). »

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