Quand vient la nuit, de Michael R. Roskam

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 3/5 

Après avoir découvert le jeune réalisateur flamand en 2011 avec le magnifique Bullhead (Rundskop), on attendait beaucoup du prochain film de Michael R. Roskam. Malheureusement, il faut reconnaître que Roskam a peut-être cédé trop vite aux sirènes américaines pour réaliser un décevant second long métrage dont la conception a plutôt été dirigée par un omniprésent Dennis Lehane (romancier, auteur notamment de Mystic River ou encore Gone Baby Gone), à la fois scénariste adaptateur de son propre roman, mais aussi co-producteur du film, plutôt que par un Michael R. Roskam aux libertés trop restreintes pour sauver son œuvre d’un scénario parfois trop stéréotypé.

© Twentieth Century Fox France

The Drop (préférons le titre anglais pour coller plus au sujet du film et à la nouvelle dont il est adapté), adaptation de la nouvelle éponyme de Dennis Lehane, est l’histoire de Bob Saginowski (Tom Hardy). Bob est barman dans le pub de son cousin Marv (James Gandolfini, dont c’est le dernier film) qui sert de dépôt (le fameux « drop » du titre) d’argent sale de tous les trafics de Brooklyn. Alors qu’il essaie, tant bien que mal, de vivre une vie tranquille (il adopte un chien, rencontre Nadia, jouée par Noomi Rapace…), il se retrouve empêtré dans une enquête de police qui, suite à un braquage qui tourne mal, va l’entraîner vers un passé qu’il aurait voulu oublier. 

Qui dit « adaptation de roman noir » dit alors nécessairement « film noir » dans tout ce qu’il a de plus classique, de plus stéréotypé, de moins original. Tous les ingrédients y sont : la femme fatale, le policier, le héros principal trouble et secret… Malheureusement, si l’exercice est bien exécuté, il dépasse rarement ce stade de l’exercice sans aucune originalité, sans aucune « patte » stylistique renouvelant le genre, sans aucune profondeur. Alors que Bullhead brillait par le dépassement du genre (en l’occurrence le film de mafieux) qui se dirigeait vite vers le récit déchirant d’un homme en quête de masculinité et de reconnaissance, The Drop ne transcende jamais le carcan des codes inhérents à ce type de récit et s’avère finalement assez plat, pour n’être qu’une série B bien exécutée mais sans aucun charme.

© Twentieth Century Fox France

Il faut tout de même reconnaître à Roskam le mérite de maîtriser parfaitement ces codes, de diriger à la perfection des acteurs extraordinaires (Tom Hardy joue parfaitement ce rôle d’un homme qui essaie à tout prix de rester calme, de garder sa tranquillité au prix de compromis et qui n’y arrive pas ; Mathias Schonaerts est époustouflant dans son rôle de voyou ultra-violent et complètement désaxé), de rendre compte de cette ambiance lourde et pesante de la vie dans les quartiers malfamés de Brooklyn… Mais malheureusement, on a trop souvent l’impression de voir un réalisateur qui ne demande qu’un peu plus de liberté de manœuvre vis-à-vis d’un patron exigeant qui ne veut qu’un bon travail de transcription de son scénario.

Il n’en aurait pas fallu plus pour rendre le film intéressant, meilleur, et moins attendu, mais, à chaque fois que Roskam est à la limite de passer cette frontière de la transcendance du postulat de film noir, on sent qu’il en est empêché par les impératifs scénaristiques de Lehane. Prenons l’exemple du rôle absolument inutile du policier. Alors que l’on sent l’envie de Roskam de ne pas le traiter avec importance (absence de récit personnel, de réel impact sur le déroulement du film), on voit bien que Lehane a tout de même voulu garder cette figure de père moralisateur dans le récit (il ne sert qu’à dire à Bob, à la fin, qu’il sait très bien qui il est et ce dont il est capable, ce qui, en soi, n’apporte rien au film puisque ce dernier s’achève juste après, affirmant le contraire).

© Twentieth Century Fox France

Trop attendu et stéréotypé, The Drop n’est donc qu’un film noir classique et sympathique qui, s’il est parfois efficace, n’en est pas moins décevant et sans aucune originalité. Et si Roskam ne donne pas l’impression d’avoir réellement été maître de son film, c’est donc avec impatience que l’on attend le prochain long métrage du réalisateur flamand qui, d’après certaines sources, se tournerait en Belgique. Il ne nous reste plus qu’à espérer que son aventure américaine n’aura été qu’une erreur de débutant et qu’il retrouvera la même maestria dont il avait fait preuve avec Bullhead

Simon Bracquemart

Film en salles le 12 novembre 2014.