Le syndrome du poisson rouge (ou de la truite argentée!)

Publié le 10 novembre 2014 par Lesimparfaites
J'essaie de lâcher-prise avec les devoirs. J'essaie, je vous le jure.
J'essaie de ne pas pogner les nerfs en aidant de temps en temps les enfants dans leurs devoirs. J'essaie, je vous le jure.
J'essaie de ne pas élever le ton; je sais que c'est pédagogiquement non-recommandé. J'essaie, je vous le jure.
J'essaie vraiment de ne pas m'énerver. J'essaie, je vous le jure.
Mais je n'y arrive pas. Ou du moins pas aussi souvent que je le souhaiterais.
Le pire qui puisse arriver, c'est de me buter à un air de poisson rouge, la bouche ouverte, les yeux limite vitreux, l'air totalement à boutte. Vous savez quand rien ne se passe volontairement dans les yeux. Quand il n'y a pas de «Ah ben voyons donc! Je n'y avais pas pensé!», «Oups! Me suis encore trompée!» ou «Euhh, je ne suis pas sûre de comprendre...». Non, l'air de truite argentée (je change la sorte de poisson pour essayer de mettre un peu d'humour question de dédramatiser la situation quand elle chaque fois qu'elle arrive... mais ça aussi, je n'essaie pas assez fort, je crois bien, car ça ne marche pas pantoute!) de MissPuDeLulus me fait totalement sortir de mes gonds. Je le connais cet air-là. C'était le mien que j'offrais à mes propres parents quand ils voulaient m'expliquer un truc, quand ils me montraient quelque chose que j'aurais voulu comprendre du premier coup sans m'éterniser avec les explications... Ça me rendait folle de les voir s'évertuer à tenter de m'apprendre quelque chose. Moi, je voulais que ça aille vite. Pas de temps à perdre. Je ne le savais pas, mais je devais leur présenter le plus bel air de truite aussi.
Bref, la non-réaction me fait capoter. À la fois, l'immobilisme envoie une panoplie de messages contradictoires: c'est idiot ce que je dis (son prof ne l'a pas dit ainsi!), ma méthode semble tellement désuète, je lui fais perdre son temps, je ne vais pas assez vite (ou trop, allez savoir!) ou «Cause toujours, je vais avoir oublier dans deux minutes!». Chaque fois, je sens une boule se former au fond de mon ventre et ça grossit à vue d'oeil. En moins de temps qu'il faut, je suis sur le bord d'exploser et je fantasme à l'idée d'envoyer valser le manuel de maths en plein milieu de la rue. Je vous le jure, je ne me possède plus. Bien souvent, je finis par balancer un «Tu le sais que je fais ça pour t'aider... Moi, je l'ai déjà passé ma sixième année!» avant de tourner les talons. Je sais, je sais. On ne peut pas dire ça, mais ça sort pareil à l'occasion.
Puis, je finis la soirée à me morfondre en me disant que je n'aurais pas dû réagir ainsi. Alors, hier soir, j'ai décidé de changer de tactique et j'ai tout avoué «Bon, bien là, puisque je ne vois rien d'autre que ton air de saumon des îles, je vais aller faire mes trucs.». That's it! Tu veux que je t'aide, pas de problème. Mais je désire au minimum une petite manifestation, un micro-signe que je ne suis pas en train de perdre patience pour rien, quelque chose, un geste n'importe quoi.
Une fois, isolée, toute seule, je me dis que j'ai déjà été un poisson rouge aussi. Pour d'autres. Je reçois certainement le juste retour du balancier. J'essaie de ne pas trop y penser et de ne pas avoir de remords. J'essaie, je vous le jure. Et je me dis qu'un jour, ma fille enfantera à son tour d'un enfant qui sera lui-aussi atteint momentanément du syndrome du poisson rouge.