Arafat, le terroriste de la paix

Publié le 11 novembre 2014 par Sylvainrakotoarison

« Je viens de créer un pays et un peuple qui, jusque là, n’existaient pas. » (Yasser Arafat, début des années 1970). « Yasser Arafat est le chef d’une bande d’assassins. » (Golda Meir, Premier Ministre israélienne du 17 mars 1969 au 3 juin 1974).

Il y a dix ans, le 11 novembre 2004, le Président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat s’était éteint à 75 ans en France, à l’hôpital militaire de Clamart. Sa mort cérébrale avait été déclarée dès le 4 novembre, après avoir échappé mille fois à la mort au cours de sa terrifiante trajectoire.

Mahmoud Abbas lui a succédé depuis le 15 janvier 2005 (élu le 9 janvier 2005 avec 62,5%). Le Président français Jacques Chirac, qui fut à son chevet un jour avant sa mort, a rendu hommage à celui qui « a pendant un demi-siècle incarné la Palestine, donnant une crédibilité internationale à l’espoir d’un État palestinien, mais sans jamais parvenir à concrétiser cette ambition ni accomplir son rêve de prier à Jérusalem ».

Aujourd’hui encore subsistent des doutes sur les causes réelles de sa mort, au point que le 27 novembre 2012, son corps a été exhumé pour prélever des échantillons dans le but de savoir s’il avait été empoissonné au polonium 210 (comme Alexandre Livitnenko le 1er novembre 2006 à Londres et peut-être Egor Gaïda, le premier Premier Ministre de la Russie postsoviétique, le 24 novembre 2006 aussi à Londres). Les différentes investigations indépendantes ont abouti à des conclusions contradictoires.

Né le 24 août 1929 au Caire (ou à Jérusalem ?), ingénieur des travaux publics, Yasser Arafat a placé toute sa vie dans son engagement pour la cause nationale palestinienne, d’abord dans la clandestinité sous le nom d’Abou Ammar, à partir de 1957, puis en se réfugiant au Koweït, au Liban, en Tunisie… La communauté internationale l’a consacré lors du 7e Sommet arabe du 26 octobre 1974 à Rabat, qui a proclamé l’OLP comme seul et unique représentant légitime du peuple palestinien, ainsi que lors de l’Assemblée générale de l’ONU le 13 novembre 1974 devant laquelle il a pu prononcer son premier discours international.


De toutes les personnes ayant reçu le Prix Nobel de la Paix, Yasser Arafat, qui l’a reçu le 14 octobre 1994 avec les Israéliens Shimon Peres et Yitzhak Rabin, a été le lauréat le plus contesté en raison du sang versé dont il fut responsable lors de nombreux actes terroristes entre 1965 à 1988.

Néanmoins, il n’y a que les belligérants qui peuvent faire la paix. Le Prix Nobel était l’hommage rendu pour la signature des Accords d’Oslo signés le 13 septembre 1993 à Washington entre Palestiniens et Israéliens en présence du Président américain Bill Clinton. Ces accords étaient le premier signe positif de perspective de la paix dans l’un des conflits les plus longs de l’histoire contemporaine (encore malheureusement actuel), puisque le conflit israélo-palestinien a débuté avec la création de l’État d’Israël le 14 mai 1948.

Cette perspective de pacification a eu lieu dès la déclaration de Yasser Arafat le 13 décembre 1988 devant l’Assemblée générale de l’ONU à Genève : il a renoncé au terrorisme, a reconnu le droit d’existence d’Israël et a souhaité une résolution pacifique du conflit. Le Président américain Ronald Reagan accepta alors de discuter avec lui. Le pape Jean-Paul II l’a rencontré le 23 décembre 1988 au Vatican (en tout, le pape l’a rencontré huit fois : « Dieu dans sa miséricorde accueille l’âme de l’illustre défunt et concède la paix à la Terre Sainte, avec deux États indépendants et souverains, pleinement réconciliés entre eux. »). Et le Président français François Mitterrand l’a reçu officiellement le 2 mai 1989 à Paris (où il en profita pour dire à la télévision, en français, que les clauses de la charte de l’OLP sur la destruction d’Israël étaient maintenant « caduques »).


Ces accords d’Oslo étaient historiques, au même titre que les Accords de Camp David signés le 17 septembre 1978 par le Président égyptien Anouar El-Sadate et le Premier Ministre israélien Menahem Begin par l’intermédiaire du Président américain Jimmy Carter. Ces trois derniers hommes d’État ont reçu d’ailleurs, eux aussi, le Prix Nobel de la Paix (séparément pour Jimmy Carter).

Le 1er juillet 1994, Yasser Arafat s’installa à Gaza et fut élu le 20 janvier 1996 à la tête de l’Autorité palestinienne avec 88,2% des voix. Il était président du Fatah depuis le 10 octobre 1959, président de l’OLP depuis le 4 février 1969 et Président de l’Autorité palestinienne depuis le 5 juillet 1994. Le même 20 janvier 1996, les partisans de Yasser Arafat gagnèrent 55 sièges sur les 88 du Conseil législatif palestinien. Ce furent les seules élections palestiniennes du vivant de Yasser Arafat.

Dans ma naïveté de l’époque, j’avais cru que ces accords allaient définitivement enrayer la spirale de la violence et de la vengeance pour faire cohabiter deux États de manière pacifique et durable. On était plongé dans une période assez euphorique avec la chute du mur de Berlin dont on vient de célébrer le vingt-cinquième anniversaire dimanche dernier, l’effondrement de l’Union Soviétique, et également l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela en Afrique du Sud.


Hélas, si le pire n’est jamais sûr, le meilleur non plus. Une série d’événements a rendu le processus de plus en plus précaire, à commencer par l’assassinat d’Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995 et la victoire du Likoud de Benyamin Netanyahou aux élections législatives israéliennes du 29 mai 1996.

Lorsque le successeur de Benyamin Netanyahou, le travailliste Ehud Barak, était disposé à faire des concessions historiques aux Palestiniens lors d’un sommet israélo-palestinien à Camp David du 11 au 25 juillet 2000 (Camp David II, toujours sous la houlette de Bill Clinton qui s’apprêtait à quitter la Maison Blanche), ce fut Yasser Arafat qui refusa d’avancer vers le chemin de la paix, en raison des fortes sollicitations et surenchères de son camp.

Les désaccords portaient en particulier sur les frontières de la Cisjordanie, et aussi sur le statut de Jérusalem Est. Yasser Arafat était très hostile au partage de souveraineté proposé sur les lieux saints de Jérusalem. La responsabilité de l’échec de ce sommet de juillet 2000 a été principalement attribué à Yasser Arafat car ce dernier avait refusé les premières propositions mais n’avait fait aucune contre-proposition pour poursuivre la négociation, notamment sur les frontières. Certains affirmaient que les concessions d’Ehud Barak n’avaient pas non plus été suffisantes.

L’échec de Camp David II a précédé de peu la Seconde Intifada, initiée par la provocation d’Ariel Sharon présent le 28 septembre 2000 sur l’Esplanade des Mosquées qui lui fit gagner les élections du 6 février 2001, victoire qui l’a consacré Premier Ministre avec 62,4%.

La haine d’Ariel Sharon vis-à-vis de Yasser Arafat (il a même refusé de lui serrer la main lors des Accords de Wye Plantation le 23 octobre 1998) conduisit le processus de paix dans l’impasse jusqu’à la mort de Yasser Arafat. Pour Sharon, il lui était impossible de négocier avec un homme qui avait autant de sang sur les mains. Yasser Arafat fut même bloqué dans la Mouqata, au cœur de Ramallah, isolé par l’armée israélienne de 2001 à 2004.

Mais dans les faits, à partir de fin 2004, Ariel Sharon se rapprocha beaucoup plus de la paix, félicitant Mahmoud Abbas lors de son élection à la tête de l’Autorité palestinienne, prenant des positions centristes au point de quitter le Likoud et de créer un parti centriste (Kadima) qu’a rejoint également le travailliste Shimon Peres.

Le pari d’Ariel Shaon était assez simple : il était nécessaire de créer un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël. La solution d’un seul État aurait des conséquences catastrophiques pour les Israéliens pour une simple raison démographique. Ce fut donc avec surprise qu’Ariel Sharon prit la décision unilatérale d’évacuer certaines colonies israéliennes au grand dam de certains extrémistes israéliens.

Là encore, le sort a semblé s’acharner sur la Palestine. Ariel Sharon, qui avait changé complètement de cap, est tombé dans le coma, laissant la place à Ehud Olmert, l’ancien maire de Jérusalem, dont les scandales politico-financiers ont entraîné la deuxième victoire de Benyamin Netanyahou aux élections législatives du 10 février 2009 malgré l’avance d’un siège de Kadima sur le Likoud (à noter que le scrutin proportionnel en Israël fait régulièrement des ravages dans les coalitions gouvernementales souvent otages de quelques extrémistes qui ne représentent pas beaucoup d’électeurs).

Benyamin Netanyahou n’a fait que durcir les positions israéliennes depuis cinq ans en compromettant les perspectives d’une paix durable. Pendant ces deux décennies d’échec des accords d’Oslo, c’est la démagogie et la surenchère qui ont gagné les esprits. Le Hamas s’est même retrouvé à la tête du gouvernement palestinien du 29 mars 2006 au 14 juin 2007 alors que sa charte du 18 août 1988 réclame clairement l’élimination d’Israël, soutient les thèses antisémites et réfute la Shoah. Quant à la vie politique israélienne, les leaders les plus "durs" sont les plus écoutés.


Yasser Arafat avait réussi à franchir une étape historique en signant les Accords d’Oslo, mais il n’a pas poursuivi le processus. Sans aucun doute le manque de personnalités d’excellence, capables courageusement de faire avancer la paix tout en convaincant leur peuple que cette voie serait la seule dans leur intérêt semble être la marque de ce conflit israélo-palestinien.

Si, comme l’écrit la journaliste Mouna Naïm, il « a su imposer la tragédie de son peuple au cœur de l’attention internationale », Yasser Arafat n’a pas répondu aux attentes de son Prix Nobel, tout comme Barack Obama aux attentes du sien, décerné le 9 octobre 2009, alors qu’on aurait pu imaginer que Barack Obama, à l’instar de Jimmy Carter ou de Bill Clinton, ses deux derniers prédécesseurs démocrates, aurait pu consacrer son dernier mandat à cette priorité internationale, prendre une nouvelle initiative de paix pour en finir avec le conflit israélo-palestinien.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 novembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Shimon Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
"Le stratège de la cause palestinienne" (article de Mouna Naïm dans "Le Monde" du 6 novembre 2004).

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/arafat-le-terroriste-de-la-paix-159222