Fondu d’informatique dès son plus jeune âge, Pascal Ertanger va traverser l’histoire du numérique en France. Né avec les premiers ordinateurs, l’adolescent va assister aux premiers pas de la France dans la télématique, avec le succès fulgurant du Minitel. Faisant rapidement fortune en créant des messageries “roses”, s’associant au passage avec le gérant d’un sex-shop et séduisant une prostituée, Ertanger voit bientôt le petit monde du Minitel bouleversé par l’arrivée d’Internet. Devenu millionnaire à vingt ans, Etanger décide de créer l’un des premiers fournisseurs d’accès indépendants du pays, Démon. Luttant contre les groupes et France Télécom pour maintenant ses tarifs au plus bas, la société devient rapidement l’un des leaders du marché national. Mais le passé trouble d’Ertanger va bientôt le rattraper, poussant l’homme à remettre en question tout ce qu’il a créé…
La ressemblance du personnage principal du roman avec un certain Xavier Niel, patron du groupe Free, n’est pas tout à fait fortuite. Et Bellanger reconnaît bien volontiers avoir basé les grandes lignes du destin de son personnage sur l’histoire personnelle du charismatique patron. Une parenté à laquelle il ne faut toutefois pas accorder plus d’importance qu’elle n’en a. Car au delà, Bellanger a bien senti, avec raison d’ailleurs, que son sujet était un terreau propice à l’écriture d’un texte total, le développement numérique devenant le prisme à travers lequel l’auteur tente de réécrire le Roman National, tant sur le plan social, politique, économique que celui du destin intime de son personnage principal.
Il n’est donc pas surprenant de découvrir, au fil des pages, une multitude de situations propices à l’intrication des personnages du roman avec de nombreuses personnalités publiques, de Nicolas Sarkozy à Yves Calvi en passant par Jean-Marie Messier et Thierry Breton. Un défi d’écriture aussi séduisant que périlleux, que Bellanger relève avec brio dans la plupart des cas, mais qui est hélas souvent noyé dans le reste du récit. Car Bellanger, ne craignant aucun obstacle qui aurait pu faire reculer un jeune auteur, a construit son texte en mélangeant fiction et document, le livre revenant de la façon la plus précise qui soit sur le développement du numérique de notre pays.
Car ce défaut est souligné encore par la volonté de Bellanger de garder une cohérence dans son style d’écriture. Afin de ne pas déboussoler le lecteur, l’auteur a conservé une écriture similaire entre document et fiction. Mais le passé universitaire de Bellanger se ressent terriblement dans son écriture : si son style détaillé et neutre convient parfaitement pour les données “historiques”, il constitue un point d’achoppement certain lorsque l’on en arrive aux développements de la fiction.
Ainsi, l’auteur n’utilise quasiment jamais, en 500 pages, le dialogue direct entre les personnages, et abuse de formes indirectes qui alourdissent le récit (des formules du type « Il lui dit », « elle répond », « il pense que » sont omniprésentes dans les pages). Cette écriture empêche le lecteur de véritablement “rentrer” dans le texte, et de ressentir de l’empathie envers les personnages, tant il se retrouve spectateur du quotidien d’un monde qui n’a, de toute évidence, pas besoin de lui pour tourner. Cette sensation est encore accentuée par l’inclusion, entre les chapitres, d’extraits d’un article scientifique qui éloignent encore le lecteur, s’il en était besoin, de la dynamique du roman.
Laissant son lecteur sur une curieuse impression d’inachevé pour un roman que l’on imagine énormément travaillé, La théorie de l’information ramène surtout vers le souvenir de la réussite éclatante d’un autre premier roman, également situé dans une époque récente et incluant des personnages inspirés de personnalités réelles, La meilleure part des hommes de Tristan Garcia, dont on regrette que Bellanger ne se soit pas plus inspiré pour dynamiser son propre texte.
« La théorie de l’information » de Aurélien Bellanger, éditions Gallimard, 490 pages, 22,50 €. Parution le 22 août.