la jeune femme d'un vieux colonel

Publié le 25 novembre 2014 par Dubruel

d'après L’ORDONNANCE de Maupassant

Le cimetière était rempli d’officiers.

On venait d’enterrer

La femme du colonel Dubreuil.

Elle s’était noyée deux jours avant

Dans le lac Léman..

Le colonel, un homme déjà âgé,

Restait près du cercueil.

Il avait épousé

La fille d’un camarade décédé,

Le colonel Michel Bourdet.

S’approchant de Dubreuil, le général Carel

Saisit le bras du colonel

Et l’entraina :

-« Allons, il ne faut pas demeurer là.

C’est fini. Le clergé est parti. »

Le colonel obéit et rentra chez lui.

Alors qu’il ouvrait son portail,

Sa servante se précipitait :

-« On vient de vous apporter un pli.

Je l’ai posé dans votre cabinet,

Sur votre table de travail. »

Le colonel l’ouvrit :

Père,

Permettez-moi

De vous appeler encore père,

Comme autrefois.

Un jour, comme vous m’embrassiez,

Je vous ai appelé malgré moi ‘’Père’’.

Vous étiez pour moi un vrai père.

Vous avez ri

Et vous m’avez dit :

’’ Appelle-moi toujours ainsi, Elvire.

Cela me fait plaisir.’’

Cette lettre, quand vous la recevrez,

Je serai enterrée.

Je vais vous dire avec sincérité

Pourquoi je me suis tuée.

Alors peut-être pourrez-vous me pardonner.

Vous m’avez épousée par générosité

Et je vous ai aimé.

Puis un jour, je vous ai trompé.

J’étais devenue une femme perdue.

(Vous ne devinerez pas qui est ’’ lui ’’.

Je suis bien tranquille là-dessus)

Un jour, j’étais avec ’’ lui ’’

Quand nous avons été surpris

Par votre ordonnance, Henri.

Je me suis enfuie et je suis rentrée.

Une heure après,

Dans l’entrée,

Henri me proposait :

-« Je ’’ lui ’’ transmettrai

Toutes les lettres que vous me confierez. »

Alors j’ai compris que ’’ lui ’’.

Avait acheté son silence.

Je remettais donc à Henri

Ma tendre correspondance.

J’eus confiance en lui

Jusqu’au jour où il m’a avertie

Qu’il allait me dénoncer

Si je ne lui cédais pas.

Il me menaçait de vous remettre

Une partie des lettres

Qu’il avait vilainement gardées

J’ai eu peur pour Henri.

(Vous l’auriez tué, n’est-ce pas ?)

J’ai cru l’acheter en me donnant à lui.

Je ne cherche pas à m’excuser.

Ce que j’aurais dû prévoir est arrivé.

Il m’a aimée. Il m’a prise

Et reprise.

Il fut mon amant, comme ’’ lui ’’.

’’Je dois mourir’’, me suis-je dit.

Vivante, je n’aurais pu vous confesser

Pareille indignité.

Je vais aller nager. Je ne reviendrai pas.

Adieu, papa !

Faites ce que vous voudrez

Et veuillez me pardonner. ‘’

Le colonel fit aussitôt appeler

Son ordonnance :

-« Henri, as-tu conservé

Des correspondances

Écrites par ma femme à son amant ? »

Et, le menaçant

De son pistolet, lui ordonna :

-« Rends-les-moi

Et donne-moi

Son nom. » -« Mais, mon colonel,…

Je ne peux pas ! » -« Vite, je ne plaisante pas. »

-« Eh bien !...C’est le capitaine Loisel. »

À l’énoncé de ce nom,

Dubreuil se tira une balle au milieu du front.