La terre outragee - 6/10

Par Aelezig

Un film de Michale Boganim (2012 - France, Pologne, Ukraine, Allemagne) avec Olga Kurylenko, Andrzej Chyra, Serguei Strelnikov

Flippant... mais pas assez.

L'histoire : Avril 1986. Pripiat, à quelques kilomètres de la centrale de Tchernobyl, Ukraine, alors partie de l'URSS. C'est le printemps, la nature renaît, les pêcheurs investissent le bord de la rivière et Anya se promène en barque avec son amoureux. Le jour de leur mariage, son mari est appelé en urgence à la centrale, sans pouvoir révéler quoi que ce soit. Anya ne le reverra jamais. La pluie est noire, les animaux meurent et bientôt la ville et ses environs sont totalement évacués, sans que les habitants aient le temps de faire la moindre valise... Dix ans plus tard, Anya est devenue guide pour touristes en mal de sensations.

Mon avis : C'est un film qu'il faut voir, pour l'aspect pédagogique... C'est super déprimant et ça vous donne immédiatement envie d'adhérer à Greenpeace !

Rappelons que cette centrale nucléaire a vu fondre l'un de ses réacteurs le 26 avril 1986, entraînant des explosions et l'expulsion dans les airs d'énormes quantités de matières radioactives. Plus de 200 000 personnes ont été évacuées, dont la totalité de Pripiat et Tchernobyl, les villes les plus proches, aujourd'hui cités fantômes. La zone interdite s'étend à trente kilomètres tout autour de la centrale ; elle est gardée par la police. Seuls les ouvriers, qui travaillent encore à la maintenance du site, peuvent y pénétrer et, dans des conditions de sécurité draconiennes, des groupes de touristes, très encadrés. Une seconde zone de sécurité continue sur environ cent kilomètres est interdite aux habitations, mais on sait que de nombreuses personnes y vivent encore. Le film nous montre tout ça, au travers du quotidien d'une jeune femme, qui vivait là et ne peut se résoudre à quitter sa terre.

Mais j'ai trouvé que le film manquait d'émotion. Sans tomber dans le pathos ou le mélo, j'aurais aimé sentir plus de vie - car la vie continue quand même - dans les comportements d'Anya et de ses proches. C'est très froid et on a du mal à s'attacher aux personnages, pourtant bien interprétés.

Et puis ce n'est pas assez factuel sur les conséquences : on voit bien ces villes désertes, où les immeubles sont abandonnés, où la nature reprend ses droits, même fortement contaminée, mais on ne parle pas assez des répercussions sanitaires et environnementales. On estime aujourd'hui que près de 900 000 personnes mourront, ou sont déjà mortes, de divers cancers. Or c'est à peine évoqué dans le film. On voit Anya qui perd des touffes de cheveux, qui porte des perruques, mais aucune explication. Et tous les autres ont l'air d'aller très bien. Rien sur les maladies immédiates, futures, déformations de foetus, stérilités... Aucune question, aucune révolte, tout le monde suit comme des moutons, à part ceux qui veulent absolument rester dans leur maison, par pure naïveté. Bien sûr, c'était l'Union Soviétique, les gens avaient l'habitude de se taire et d'obéir. Mais c'était la perestroïka, des frémissements se faisaient sentir, la presse étrangère est venue, on aurait pu soulever des questions par ce biais-là.

C'est tout de même ennuyeux pour la plus grande catastrophe nucléaire que la planète ait connu, atteignant 7, le niveau le plus élevé, sur l'échelle de gravité correspondante. La réalisatrice d'ailleurs déclare qu'elle a subi des pressions et n'a pas pu tourner exactement ce qu'elle voulait et où elle voulait. Ben c'est dommage, car cela n'a plus beaucoup de poids. Peut-être aurait-il fallu dans ce cas reconstituer des choses en studio.

La mise en scène est très sobre et terne, sans aucun parti pris esthétique. Le sujet ne s'y prête pas, certes, mais, sans parler de délire visuel, des plans et des images plus soignés auraient évité l'aspect téléfilm.

Bouleversant quelque part (j'aime beaucoup le titre), mais pas si pédagogique que ça, car trop de sujets sont survolés. Mieux vaut voir un bon documentaire.

Beaucoup d'excellentes critiques pourtant ; je suis étonnée. Et les arguments ne me convainquent pas ; il semble que seuls le thème et la rigueur de la réalisatrice aient emballé les journalistes. Un commentaire cependant exprime l'ambiguité que j'ai trouvée : "Dans la "Terre outragée" [...] l'accident nucléaire n'est qu'un prétexte pour évoquer sans pathos les exils intérieurs [...] de personnages cramés par un terrible passé, puis lentement contaminés par la solitude." (Libération) ; le film est en effet plus axé sur la vie bousillée d'Anya, qui aurait pu l'être par toute autre catastrophe environnementale ou pas. J'aurais préféré pour ma part un message plus fort contre les conséquences de l'accident, sur les dangers du nucléaire, les errances et les pressions politiques et économiques.

Les spectateurs, eux, n'ont pas été très emballés.

A noter qu'Olga Kurylenko, qui travaille aujourd'hui aux Etats-Unis, est née en Ukraine. Elle est partie à Paris lorsqu'elle est devenue mannequin, puis vit principalement aux Etats-Unis aujourd'hui où elle est actrice. Mais elle s'occupe activement de diverses associations concernant sa terre natale.