quand un cocu piège son concurrent

Publié le 26 novembre 2014 par Dubruel

d'après LA PORTE de Maupassant

Lors d’un bal mondain,

J’ai connu un mari d’une espèce rare.

Il s’était défendu de l’accident commun

D’une façon spirituelle et bizarre.

Sa femme était une agitée,

Grande, mince, fort entourée.

Elle me plut par son esprit

Et je crois que je lui plus aussi.

Je lui fis

Une cour insistante

À laquelle elle répondit

Par des provocations évidentes.

J’hésitai cependant,

Comparant

Les agréments

Que je pouvais espérer

Et les inconvénients

Que je devais redouter.

En effet,

Je venais de constater,

Que le mari nous surveillait.

À ma cavalière, j’ai alors murmuré :

-« Votre mari

Nous espionne. » -« Mon mari ? »

-« Oui. » -« Allons donc ! Vous êtes sûr ? »

-« Tout à fait sûr. »

-« Pourtant, il se montre ordinairement

Aimable avec mes amis. »

-« Peut-être, mais il a remarqué…

Que j’avais pour vous un certain penchant. »

-« Allons donc ! Et puis

Vous n’êtes pas le premier !

Toute femme un peu en vue a des soupirants. »

-« Oui, mais moi, je vous aime sincèrement.

-« En admettant que ce soit vrai,

Est-ce qu’un mari le devine jamais ? »

-« Alors, il n’est pas jaloux ? »

-« Je ne me suis jamais aperçue qu’il fût jaloux. »

-« Il ne vous a jamais…jamais surveillée ? »

-« Non, comme je vous le disais,

Il est très aimable avec mes amis. »

Cette femme ne me plaisait guère en fait

C’était …un décor,…pas un logis.

Mais aiguiser la jalousie du mari me tentait.

Le mari s’approcha de moi peu après :

-« Nous partons demain aux Fontaines,

Notre propriété dans les Ardennes.

Accepteriez-vous de venir y passer

Quelques jours. Nous chasserons le sanglier. »

J’acceptai mais restai stupéfait.

Une idée me passait dans l’esprit :

‘’Voyons, qu’est-ce que cela signifie ?

Voilà un mari qui a tant d’égards pour moi

Qu’il m’invite chez lui,

En ayant l’air de de me dire :

‘’Allez, cher ami, allez, la voie est libre.’’

Alors qu’il a remarqué que sa femme et moi

Étions en galanterie.

À mon arrivée aux Fontaines, le dîner

Fut cordial et très gai.

Le lendemain matin, le mari me fit monter

Dans sa chambre pour me montrer

Sa collection de gravures d’eau-forte.

Derrière une large porte,

J’entendais marcher, remuer.

Et soudain le mari

Me dit :

-« Oh ! J’ai une merveille à côté.

Je vais vous la chercher. »

Il ouvrit cette porte à deux battants

Et derrière, dans le boudoir attenant,

Un grand être nu, maigre, dépeigné,

Une jupe froissée à ses pieds

Se retourna, dissimulant, l’air effaré,

Une fausse gorge de coton.

Le mari articula d’un drôle de ton :

-« Voilà une bévue que vraiment

Ma femme ne me pardonnera jamais ! »

Il referma les deux battants.

Et moi, par le premier train, je rentrai.