[NOTRE AVIS] Quand vient la nuit, de Michael R. Roskam, réalisateur de Bullhead

Publié le 25 novembre 2014 par Tempscritiques @tournezcoupez

Avant même la parution de son premier long métrage, Bullhead, Hollywood faisait les yeux doux au cinéaste belge Michael R. Roskam. Le succès public de Bullhead et sa nomination aux Oscars ont fini de convaincre nos amis américains de lui proposer le scénario de Quand vient la nuit.

Le second film d’un cinéaste dont les premiers pas ont été salués est toujours un virage difficile à gérer, et ce de façon plus significative encore quand ce fatidique deuxième film est produit sous les projecteurs d’Hollywood. Après avoir transité entre les mains de plusieurs réalisateurs (dont David Cronenberg), le scénario de Quand vient la nuit a finalement été proposé, à sa vive demande, à Michael R. Roskam. A cette occasion il a pu collaborer avec l’écrivain Dennis Lehane, auteur de grands livres déjà adaptés au cinéma (Mystic River, Shutter Island, Gone Baby Gone, entre autres). Renouant avec une vieille tradition hollywoodienne quasiment perdue à ce jour, les producteurs ont proposé au réalisateur de collaborer avec un écrivain contemporain, comme on le faisait hier avec William Faulkner ou Scott Fitzgerald, par exemple.

A l’instar de l’esthétique de Bullhead, le réalisateur réaffirme son penchant pour la noirceur et l’animalité. Les personnages, plongés dans l’univers de grand banditisme de Brooklyn, se dévoilent tous sous un angle parfois bestial, presque primitif, que la caméra sait révéler notamment par l’utilisation fréquente du gros plan. Le film épouse donc les codes du genre, à savoir ceux du film noir, « à l’américaine », tout en maintenant une identité forte qui en fait un film néanmoins personnel. Les deux bonnes idées principales pour ce faire furent d’exiger sur le plateau la présence du chef opérateur Nicolas Karakatsanis (également sur le plateau de Bullhead). Par un minutieux travail sur les éclairages et les couleurs, ce dernier restitue une ambiance visuelle proche des films de James Gray. Par ailleurs, Matthias Schoenaets, révélé lui aussi dans Bullhead puis dans De rouille et d’os, apporte une autre force au film. Cette masse imposante de muscle et de virilité, teintée d’une touche de folie se trouve opposée à Tom Hardy, étriqué dans la peau d’un barman luttant pour rester intègre et digne dans un milieu mafieux.

Le scénario de Quand vient la nuit avance à petit pas et s’amuse à brouiller les pistes. Roskam dispose ses pions lentement sur l’échiquier, mais parvient à maintenir, au fil des scènes, une tension entre les personnages particulièrement nuancés et étudiés. Entre braquages et règlements de compte, ce débordant étalage de testostérone est placé sous l’œil bienveillant et fragile d’un personnage féminin, endossé par Noomi Rapace. L’héroïne de la trilogie Millenium, y est féline, presque agressive, pour se révéler dans un second temps plus douce et fragile. Quant à Tom Hardy, il livre une interprétation très efficace et réussit, aidé par la caméra de Roskam, à rendre son personnage mystérieux. Le cinéaste choisit de traduire littéralement la psychologie de son personnage en images, et place souvent son comédien de façon à ce qu’il peine à se faire une place dans le cadre et se retrouve ainsi écrasé par la présence des autres acteurs.
Alors que la plupart des thrillers fonctionnent sur le base d’un scénario ou défilent les rebondissements et où le suspens tient en haleine du début à la fin (cf. les films de Michael Mann ou de David Fincher par exemple), Quant vient la nuit, suit plutôt le modèle de Drive ou de Black coal, et insiste bien plus sur la sculpture des personnages et la tonalité sombre du film pour insuffler son énergie. On en redemanderait presque !