décès suspects au lycée de Meudon

Publié le 28 novembre 2014 par Dubruel

d'après MOIRON de Maupassant

Sous l’Empire, M. François Duval,

Procureur Général,

Me conta l’affaire Moiron,

Un instituteur de Meudon :

« Moiron avait eu trois enfants,

Morts de la poitrine successivement.

Il semblait reporter

Sur ses élèves toute sa tendresse cachée.

Il leur achetait des joujoux, des sucreries,

Les gavait de bonbons et de pâtisseries.

Or subitement, cinq élèves mouraient

On chercha les causes. On ne les découvrit jamais.

Un mois plus tard, cinq élèves se plaignaient

De douleurs au ventre.

Ils ne mangeaient plus. Diantre !

Ils traînaient un peu, puis expiraient

Au milieu de souffrances de damnés.

On les autopsia

Sans rien trouver.

Pendant un an, aucun autre cas

De maladie ne fut signalé.

Mais au mois de janvier,

Deux petits garçons,

Les meilleurs élèves de Moiron,

Expiraient encore.

L’examen des corps

Fut prescrit

Et, dans leurs organes, on découvrit

Du verre pilé.

On conclut qu’ils avaient dû manger

Quelque aliment mal lavé.

L’affaire allait être classée

Quand la servante de l’instituteur

Ne s’était, elle aussi, plainte de douleurs.

Elle appela

Le médecin qui constata

Les mêmes symptômes que chez les gamins

Précédemment atteints.

Un des policiers

Obtint, de cette servante, l’aveu

Qu’elle avait mangé un bonbon trouvé

Dans le buffet. –« Hum ! Fâcheux !... »

Dit l’agent. Sur un ordre du parquet,

L’école fut fouillée.

Dans un buffet,

On découvrit des jouets,

Et des friandises destinées aux enfants.

Or, tous ces aliments

Contenaient du verre pilé

Et des aiguilles très finement cassées.

Moiron aussitôt arrêté

Parut tellement indigné et stupéfait

Des soupçons pesant sur lui

Qu’on faillit le relâcher.

Cependant les indices de sa culpabilité

Venaient combattre en mon esprit

Ma conviction première, basée

Sur son excellente réputation.

Pourquoi cet homme religieux et bon,

Aurait-il tué des enfants

Qu’il gâtait

Au point d’y engloutir la moitié

De son traitement ?

Il fallait conclure à la folie !

Or, Moiron

Semblait si plein de raison

Que la folie chez lui

Paraissait impossible à prouver.

Pourtant, certains indices existaient !

On ne trouva aucun bris de verre

Là où le maître achetait ses provisions,

Gâteaux, bonbons…

Il prétendit qu’on avait ouvert

Son buffet avec une fausse clef

Pour le faire accuser, lui.

C’était possible. Il paraissait désolé

Et nous l’aurions acquitté,

Malgré les charges relevées contre lui,

Si une découverte probante et nette

N’avait été faite :

Un policier a perquisitionné

Chez lui,

Et ouvrit sa tabatière. Elle était remplie

De verre pilé !

Moiron expliqua ainsi cette trouvaille :

-« C’est une ruse de l’inconnu suspect. »

Puis un jour, un mercier de Versailles

A raconté

Qu’un client était venu acheter

Des aiguilles très fines. Il les cassait

Pour voir si elles lui plaisaient.

Ce marchand reconnut formellement

L’instituteur Moiron

Convoqué chez le juge d’instruction.

Je passe les dépositions des enfants

Relatives à la façon

Dont Moiron

Les contraignait à manger devant lui

Différentes gâteries.

Moiron fut condamné à mort en mai.

Il fit appel. Sa demande fut rejetée.

Et le recours en grâce ne fut pas accordé.

Or, un matin, je travaillais dans mon cabinet

Quand on m’annonça la visite de l’aumônier

De la maison d’arrêt.

L’ecclésiastique paraissait troublé,

Gêné, inquiet.

Il me dit brusquement :

’’ Si Moiron est décapité, vous aurez laissé

Exécuter un innocent.’’

Je me sentis le jouet

D’un criminel rusé

Qui avait employé,

Comme moyen de défense ultime,

Le biais de sa confession auprès d’un abbé

Qui, par nature, obéit à la loi divine.

J’allai néanmoins voir le condamné

Qui m’a raconté :

-« C’est à vous que je veux me confesser…

Je vous dois la vérité. Les enfants, je les ai tués

…pour me venger.

Écoutez.

J’étais honnête. J’adorais le bon Dieu

Le Dieu qu’on apprend à aimer Et non ce Dieu

Voleur et faux,

Ce bourreau

Qui gouverne la terre.

J’étais un homme droit et sincère.

Mes enfants moururent tous trois !

Pourquoi ?

Pourquoi avait-Il tué mes enfants ?

J’en ai déduit que Dieu était méchant.

Et j’ai saisi qu’Il aimait tuer, oui, monsieur.

Tous les jours, il Lui faut des morts, monsieur.

Des morts de toutes sortes pour …s’amuser.

Il a inventé les accidents, les maladies…

Pour se divertir à longueur d’années ;

S’Il a un moment d’ennui,

Il crée les épidémies, la peste, le choléra…

Et comme ça ne lui suffit pas,

Il se paie de temps en temps des guerres.

Deux cent mille soldats gisent par terre,

Morts ou horriblement blessés,

Les jambes et les bras arrachés,

Les têtes cassées,

Baignant dans le sang et dans la fange.

Ça, ça Lui plait.

Mais ce n’est pas tout.

Il a fait des hommes

Qui s’entre-mangent.

Il a fait des animaux que les hommes

Chassent pour se nourrir. Ce n’est pas tout.

Il a fait par milliards

Les petites bêtes, fourmis, mouches, cafards,

Qui s’entre-agressent,

Et s’entre-dévorent sans cesse.

Alors moi aussi,

J’ai tué. Ce n’est pas Lui,

C’est moi. Et j’aurais tué encore si

Vous ne m’aviez pas pris.

Maintenant je vais mourir guillotiné.

Voilà, je viens de me confesser.

Maintenant, c’est fini

Et je n’ai pas peur de Lui. »

-« La peine de mort de Moiron fut commuée

En travaux forcés.

Et plus tard, j’appris que Moiron,

Grâce à sa bonne conduite en prison

Fut employé

Comme serviteur

Par le directeur

De l’établissement pénitencier.