La chose artistique #11

Publié le 28 novembre 2014 par Ep2c @jeanclp

Comment définir la vie d’artiste ? Peut-on vivre de son art ? À quoi servent les créateurs en régime démocratique ? Comment évoluent les professions artistiques et culturelles ?

L’artiste se tient à l’écoute du monde et ne cesse de convoquer notre capacité d’étonnement. Pour autant, est-il un travailleur comme un autre ?

L’Observatoire, la revue des politiques culturelles.

N°44 été 2014

Vies et statuts de l'artiste  

L’artiste n’est plus cet individu hors du monde social, figure issue d’une vision réductrice du romantisme, mais il est souvent un travailleur précaire. Pour s’en sortir ou pour créer, il se démultiplie, devient hybride, parfois inclassable, jonglant avec de multiples activités et savoir-faire. L’artiste se tient à l’écoute du monde et ne cesse de convoquer notre capacité d’étonnement. Pour autant, est-il un travailleur comme un autre ?
C’est à cette question qu’est consacré ce dossier qui rassemble les propos d’artistes, de chercheurs et d’acteurs culturels autour des problématiques qui se posent aujourd’hui : comment définir la vie d’artiste ? Peut-on vivre de son art ? À quoi servent les créateurs en régime démocratique ? Comment évoluent les professions artistiques et culturelles ? Quelle place y occupent les artistes femmes ? La figure de l’artiste-entrepreneur dessine-t-elle un nouveau statut de l’artiste ? Quels sont les dispositifs d’accompagnement proposés par les collectivités ? etc.

Deux articles rédigés par des auteurs reconnus ( et par ailleurs, tous deux membres du Comité d'histoire du ministère de la culture et de la communication) ouvrent ce dossier :

L’expansion des professions artistiques et culturelles. Catégorisations et mécanismes

Pierre-Michel Menger

Les effectifs d’actifs classés dans les professions artistiques et culturelles ont connu, dans tous les pays développés, une croissance importante. En France, les professionnels des métiers artistiques sont deux fois plus nombreux en 2009 qu’au début des années 1990. Mesurer une croissance des effectifs suppose de stabiliser le contenu de la nomenclature des professions concernées, ici celle des « métiers artistiques », et de procéder à des mesures répétées de l’évolution des effectifs à l’aide de cette nomenclature stabilisée. La remarque est moins banale qu’il n’y paraît, en raison de la multiplication des définitions et des mesures du poids économique du secteur artistique et culturel et de son contenu en emploi.


 

À quoi servent les créateurs en régime démocratique ?

Nathalie Heinich

La société française post-révolutionnaire se trouve partagée entre des valeurs contradictoires : entre reconnaissance de l’excellence et exaltation de l’égalité, « orgueil aristocratique » et « envie démocratique ». Car l’héritage révolutionnaire ne se mesure pas qu’à un nouveau mode d’exercice du pouvoir, incarné dans la République, mais aussi à un nouveau système de valeurs, instituant liberté et égalité comme conditions natives de tout humain.


 

Sociologie de l'art.

Amoureux fervents et savants austères (Charles Baudelaire, Les chats, les Fleurs du mal), les lecteurs de ce blog souhaiteront peut-être prolonger cette actualité éditoriale par un « dialogue » plus ancien entre les deux sociologues, dialogue qui illustre, s'il en est besoin, le caractère potentiellement polémique des approches scientifiques de la chose artistique.

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Sur le site La vie des idées, en juillet 2009, Nathalie Heinich avait rendu compte du considérable travail de Pierre-Michel Menger Le Travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Paris, Hautes Études - Gallimard/Seuil, 2009

La dame n'était guère tendre avec son collègue.

Extraits

À quelles conditions l’art, la création, le génie sont-ils justiciables de l’analyse sociologique et économique ? La notion d’incertitude, selon Pierre-Michel Menger, est à même de fonder leur statut en raison. Un travail d’une haute densité théorique, mais qui reste parfois à la marge de son sujet spécifique, estime Nathalie Heinich, faute de donner toute sa place au point de vue des acteurs et, notamment, à la question de la reconnaissance.

(...)

Aussi cette approche strictement hypothético-déductive désoriente-t-elle par sa propension à aligner théories sur théories tout en laissant dans l’ombre les caractéristiques les plus spécifiques du monde de l’art. Parmi celles-ci, la question de la singularité – non pas au sens faible de spécificité, mais au sens fort d’originalité, unicité, incommensurabilité – aurait peut-être permis à l’auteur de donner plus d’ampleur à son modèle de l’incertitude, dans la mesure où celle-ci n’en est, à l’évidence, que l’une des conséquences : dès lors que l’originalité, l’innovation, l’irréductibilité aux canons, sont devenus les réquisits de principe de la qualité artistique, comme c’est le cas depuis un siècle et demi environ, l’incertitude du créateur sur son propre talent comme sur ses chances d’être reconnu devient constitutive de son statut, ce qui n’était pas le cas du temps où l’activité artistique s’exerçait dans le régime du métier ou dans celui de la profession. La prise en compte de cette problématique de la singularité aurait aussi permis à Menger de compléter son analyse en y introduisant la construction de l’insubstituabilité, par laquelle les mondes artistiques – tant pour les créateurs que pour les interprètes – offrent aux sciences sociales un terrain d’investigation particulièrement riche.

Lire le compte rendu de Nathalie Heinich

Et, sous le titre La création comme un travail, celui qui devait devenir pau après titulaire de la chaire de Sociologie du travail créateur au Collège de France, n'avait pas manqué de lui répondre.

Cet article est une réponse au compte rendu par Nathalie Heinich du livre de Pierre-Michel Menger, Le Travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Paris, Hautes Études - Gallimard/Seuil, 2009, paru dans  La Vie des idées

Extraits :

Dans la lecture que Nathalie Heinich propose de mon livre, une dimension est à peu près absente, alors que j’en ai fait le centre de mon livre, la question du travail, et la qualification des actes de création comme des actes de travail. C’est donc par là que je voudrais commencer, en rappelant l’argumentation générale du livre, ce qui me permettra ensuite de répondre à quelques-unes des questions et des objections que m’adresse ma collègue. Le titre que j’ai choisi, Le travail créateur, juxtapose deux lexiques qui semblent s’opposer ordinairement. La création est, depuis longtemps, conçue comme une activité dont les résultats les plus admirés incarnent l’émergence du nouveau, mais d’un nouveau significatif, exemplaire. Kant définissait le génie comme une aptitude à produire sans règle déterminée, sauf celle de l’originalité, mais aussi comme la capacité à produire des œuvres qui soient en mesure de constituer des modèles. Et comment caractériser la beauté des œuvres, telle qu’elle résulte d’un jugement de goût ? L’argument kantien bien connu tient dans cette formule énigmatique : « La beauté est la forme de la finalité d’un objet, en tant qu’elle est perçue dans cet objet sans représentation d’une fin ». L’argument peut être déplacé vers l’activité productrice elle-même, comme je le rappelle après Hintikka .

(…)

Au fond, qu’est-ce qui distingue une sociologie analytique du travail comme celle que je propose d’une sociologie compréhensive de l’art, qui met l’accent sur la « singularité » des artistes et la « problématique de la reconnaissance » ? C’est la volonté d’examiner comment agit la compétition dans des mondes de travail où les qualités d’invention sont difficilement détectables et où les gratifications de l’autonomie dans le travail, et l’estime accordée à ceux qui retiennent l’attention, attirent un grand nombre de candidats à la carrière. Un créateur souscrit à une conception expressive du travail en se laissant guider par la motivation pour l’activité plutôt que pour les gains (par la valeur absolue plutôt que relative de son engagement), mais doit apprendre progressivement comment traiter les informations que lui fournit les mises en comparaison de son travail avec celui d’autres, alors que la règle de l’originalité créatrice interdit normalement de définir des standards simples de comparaison. En rester à la notion de singularité, c’est risquer d’être paralysé par l’argument de l’incommensurabilité.

Lire la réponse de Pierre-Michel Menger

La Cité des sens : à propos de la « chose artistique ».

J'ai tenté d'articuler quelques propositions sur ce que je nomme la chose artistiqueà savoir la place faite à l’artistique (et aux artistes) dans les discours et les pratiques sociales contemporaines, en m’intéressant aux situations concrètes, simples voire banales que produit l’habitus des acteurs du "monde culturel".

Il s'agissait de décrire cette chose en la libérant de l’aura exorbitante qui l’entoure surtout auprès de tous ceux qui vivent dans son intense et mystique clarté (politiques, fonctionnaires, directeurs d’institutions, journalistes, etc.). Avec le souci d’être profondément superficiel, c'est à dire d’interroger la surface des propos et des gestes de telle sorte que la question rebondisse sur le questionnement lui-même et produise une altération de la réflexion, une incertitude quant au sens communément admis des catégories logiques, sociales, esthétiques, politiques à l'aide desquelles nous décrivons ordinairement et commentons quotidiennement ce qu'il est convenu de considérer comme « la réalité ».

La chose artistique (un)

La chose artistique (deux)

La chose artistique (trois)

La chose artistique (quatre)

La chose artistique (cinq)

La chose artistique (six)

La chose artistique et le spectacle vivant

Veni creator (la chose artistique – suite)

Travail et création artistique

Le spectacle de l'intermittence.

Voir aussi sur ce blog :Actualités des politiques culturelles

Votre blog a donné lieu à une création de notice bibliographique dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France. Il lui a été attribué un numéro international normalisé (ISSN) :
Titre : La Cité des sens
ISSN : 2270-3586

     

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Titre : La Cité des sens
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