Isabelle

Publié le 07 décembre 2014 par Morduedetheatre @_MDT_

Critique de Kinship, de Carey Perloff, vu le 22 novembre 2014 au Théâtre de Paris
Avec Isabelle Adjani, Niels Schneider, et Vittoria Scognamiglio, dans une mise en scène de Dominique Borg

Voici un article quelque peu différent de ceux dont j’ai l’habitude. J’ai eu la chance d’être invitée à une représentation de Kinship au Théâtre de Paris, suivie d’une conférence de presse avec Isabelle Adjani et les comédiens du spectacle ; l’article se divisera donc en quelques points de critiques, et quelques paroles de l’actrice. Pour ne rien vous cacher, ce spectacle, à mes yeux, n’est pas transcendant. Il y manque beaucoup de choses, et tout particulièrement une mise en scène. Mais je suis également loin de le condamner comme l’ont fait la plupart des critiques. Je sais que c’est Adjani, et que tout le monde l’attendait au tournant. Seulement là, elle a mis le mythe, l’actrice reconnue, de côté, pour ne dévoiler que la femme. Elle même justifie ainsi le choix du texte : « J’ai eu envie de jouer la pièce sans trop me poser de questions ; pour parler aux femmes des femmes. »

Pour moi, le principal problème du texte est son américanicité : la société américaine actuelle, bien différente de celle dans laquelle on vit, me parle finalement peu. L’histoire que Carey Perloff met en scène est celle de Elle, journaliste, et de Lui, jeune reporter. Lui est fils de L’Amie, et Elle ne le sait pas. Elle et Lui vivent une courte romance, jusqu’à ce que tous comprennent la vérité. Alors L’Amie rejette Elle, qui a tenté de séduire son fils. C’est cette conséquence là qui ne me parle pas. J’avoue que je ne vois pas le problème dans cette séduction. Mais je n’ai pas été choquée par le texte, en ce sens que j’ai déjà connu des choses pires. Il y a des choses inutiles, comme des commentaires sur l’info participative… Mais les scènes entre Elle et Lui, sans être extraordinaires, sont des scènes de séduction tout à fait honorable, et c’est d’ailleurs ces scènes là qui l’ont particulièrement touchée : « Ce qui m’intéresse c’est la perte, chez cette femme, de tous ses repères : d’un pouvoir qui, socialement, est en place, d’un équilibre familial également en place… finalement, c’est ce qui se joue entre celui qu’elle rencontre, et elle ; et la façon dont les choses continuent à se dérouler hors champ. Il y a beaucoup d’hors champ dans cette pièce, qui fait exister ce qu’on joue frontalement. »

Pour elle, ce texte se présente comme une série américaine : évidemment, ça surprend au premier abord, mais ça se laisse finalement écouter. Si la pièce a été si critiquée, c’est finalement qu’on attendait aussi Isabelle Adjani dans un autre registre, et elle en est consciente. A la question : Comment vivez-vous ce mythe Adjani ?, elle répond : « Je me rends compte de ce que ça constitue comme barrage pour moi : je fais cette pièce alors qu’on voudrait que je fasse Antoine et Cléopâtre, par exemple. C’est comme si je n’avais pas le droit de faire des choses qui me plaisent, comme si j’avais des comptes à rendre… Le mythe, c’est bien quand on est mort, mais quand on est vivant, c’est pas génial. »

Passée la barre du texte, vient celle de la mise en scène, à laquelle est irrémédiablement liée la question du changement de metteur en scène pendant les répétitions. A tous ceux qui se sont empressés de partager la nouvelle en insistant sur le caractère difficile d’Isabelle Adjani (et j’en suis !), elle répond : « Savez-vous combien il y a de pièces dont le metteur en scène change au cours des répétitions ? C’était le cas pour Diplomatie, par exemple. Ce qui est dur, c’est l’hystérie de l’interprétation des aléas du processus artistique ; mais c’est une tentative de déstabilisation qui n’a pas fonctionné sur nous. » Mais il faut reconnaître qu’on aurait souhaité un véritable metteur en scène, plutôt que la costumière, Dominique Borg, car ce qu’elle propose est très minimaliste : pas de décor, pas de déplacement… Comme si le texte pouvait se suffire à lui-même. Mais comme ce n’est malheureusement pas le cas, il aurait fallu un contour plus net, qui l’aide à se déployer. Dommage.

Cependant, peu soutenus par le texte et la mise en scène, les acteurs s’en tirent bien. Vittoria Scognamiglio, qui incarne la mère, est une véritable tornade sur scène, et elle est assurément le contrepoint comique de la pièce. C’est avec plaisir que j’ai retrouvé Niels Schneider, découvert dans le Roméo et Juliette de Nicolas Briançon. L’acteur, que j’avais alors trouvé encore un peu maniéré et hésitant, s’affirme et incarne un Lui tout à fait dans le ton. Tour à tour séducteur et pris de regrets, il semble finalement bien mieux contrôler la situation qu’Elle. Elle paraît si frêle sur la grande scène du Théâtre de Paris. Peut-être parce que je l’ai rencontrée après et que la femme qui nous a parlé n’était pas du tout le mythe auquel je m’attendais. Mais tout semble la protéger du regard extérieur : de ses lunettes de soleil durant son interview aux vêtements bien trop amples qu’elle porte sur scène, l’actrice, dont le métier est pourtant une forme d’exhibition, ne semble pas sereine de ce point de vue. Dommage, car elle étonne et elle convainc sans problème. Mieux encore, les instants où elle dit quelques vers de Phèdre, poésie absolue, sont transcendants. Elle s’est peut-être mise à nu trop brutalement en voulant montrer la femme qu’elle est plus que ce mythe Adjani qui lui colle à la peau. Ce retour après 8 ans loin de la scène n’est probablement pas celui qu’on s’imaginait, mais il marque tout de même les esprits : sur scène, c’est Isabelle Adjani telle qu’on ne l’attendait pas. Mais, et elle le dit elle-même, elle sera bientôt là où on l’attend plus, puisqu’elle parle d’un prochain spectacle avec Luc Bondy. Elle ne semble d’ailleurs plus décidée à quitter la scène, puisqu’elle déclare à propos du théâtre : « Quand j’en fais, ça redevient ma vie. Il n’y a alors de place pour rien d’autre. Si je commence à faire ça, je ne ferai que ça. » Faites, faites, on sera là.

Ce n’est pas le spectacle du siècle, j’en conviens. Mais c’est bien moins pire que ce que tous clament : ce sont de très bons acteurs, mal dirigés, qui défendent honorablement un texte faible. En somme, quelque chose de très fréquent dans les salles parisiennes. ♥