"Bovary, pièce de province" / chronique dessinée

Publié le 10 décembre 2014 par Lifeproof @CcilLifeproof

Madame Bovary de Gustave Flaubert, roman mythique, dans lequel l'auteur nous conte la vie d’Emma Bovary, femme au foyer, qui s'ennuie dans sa vie, son mariage et va donc chercher à s'occuper, finissant par commettre l'adultère. Mathias Moritz avec sa compagnie La Dinoponera / Howl Factory revisite ce classique et en propose une vision différente et contemporaine. Déjà jouée à La Filature à Mulhouse, elle se joue au Maillon / Hautepierre les 11, 12 et 13 décembre à 19h30.

C'est dans une ambiance décontractée que nous sommes arrivés avec Jean-Charles. Derniers préparatifs, tests micro, bottes qui descendent du plafond, puis une lampe, ronflement dans un coin (il convient de se reposer avant, afin de donner le maximum de soi-même), une actrice arrive dans un costume "tapisserie" (ce n'est pas moi qui le dit... Elle jouera Madame Bovary, mère castratrice), une autre avec un nez bizarre vient lui parler, à y regarder de plus près c'est un attribut supplémentaire qui fait partie de son déguisement (il s’agira de la première épouse de Charles Bovary, Héloïse)... 

Moins 29 minutes, le chiffre est lancé. C'est le temps qu'il reste avant le début de la répétition. Les acteurs, les techniciens échangent sur divers points : quels objets à intégrer à quels moments, quels éléments de décors à ajouter quand au fur et à mesure de la pièce, relire, vérifier, échanger, etc. Progressivement, ils sont de plus en plus à arriver costumés, la culotte courte semble être à nouveau à la mode... Des instants de détente aussi, des chansons, une façon comme une autre de faire baisser la pression. 10 minutes. Le temps s'égrène. 9 minutes.  

La machine à fumer commence son office, l'espace est plongé progressivement dans un épais brouillard (dans lequel se trouve Jean-Charles, d'ailleurs). 3 minutes avant le début. « Je répète, il y a un aspirateur sur le plateau » (bon, a priori, il n’est pas sensé y être).

Ambiance orageuse... Tant d'un point de vue sonore que d'un point de vue visuel. Sifflements. Chaque personnage porte un masque sur  la tête. Des écoliers. Ils sont appelés par leurs noms et répondent lorsqu'ils sont appelés par leur professeur d'histoire. Charles Bovary n'arrive pas à se présenter. Il va devoir écrire son nom 100 fois. Son entrée dans la vie commence mal, il semble avoir des difficultés à s’intégrer. Le professeur : « disparaissez ! », ambiance… « Je l'ai toujours su, les autres parlent, moi, j'exécute ». Charles Bovary est présenté comme quelqu'un de soumis, il n'est pas celui qui porte la culotte, il suit le mouvement, et pourtant…

La relation qu'il entretient avec ses parents n'est pas évidente non plus, il est jugé, chacun veut quelque chose de lui, chacun étant persuadé qu'il fera ce qu'ils attendent de lui, la mère essentiellement, le père est plutôt présenté comme un soiffard. Mais: « J’ai réfléchi, je serai médecin », ils doutent de sa capacité à réussir, sa mère surtout. Cette dernière est très importante et occupe une place prépondérante dans cette mise en scène de Mathias Moritz. Elle intervient souvent, essaie de tout régenter, etc. Elle manie le fouet avec fougue et c’est avec ce dernier qu’elle le pousse à apprendre ses leçons de médecine...une fois qu'il a réussi, il FAUT alors qu'il trouve une femme. Elle lui en trouve une, elle vend son fils à cette femme, Héloïse, lui en vante les mérites et ce, même s'il n'est pas médecin mais officier de santé. Mais il pourra opérer un jour, voyons... La pression sociale est là, au 19è siècle il fallait convoler en juste noces, cela permettait de s'insérer socialement. Est-ce que c'est réellement différent de nos jours?

S’ensuivent les épousailles avec Héloïse, l’arrivée du lit, la nuit de noces. « Tu es content ? », lui demande-t-elle. Pas de réponse.

Elle se sent rejetée, pas aimée, elle pense qu'il ne l'aime plus. Il rentre tard, il ne la touche pas, elle essaie mais il refuse. Elle pense qu'il la trompe, elle ne se sent pas bien et crie sa frustration. La mère Bovary intervient alors, il n'y a pas de dot, fin d'Héloïse Bovary donc, exit la première Madame Bovary. Entre alors en scène Emma.

Après la pièce montée et la nuit de noces, « il est gentil », dit-elle, tandis qu'il se lance des fleurs. Elle lit Musset. Il lui offre une levrette (pas sûre que la femelle du lévrier s’appelle comme ça mais c’est tellement plus drôle), elle semble être sa seule amie.

Le rythme de la pièce est effréné… On passe d’une scène à une autre, de rencontres en découvertes. Charles a des patients, il rentre et retrouve sa douce. D’Héloïse à Emma, son attitude a changé, il se fait plus amant, amoureux, désireux mais malgré cela, avec son tempérament plein de fougue, Emma s’ennuie : « tout va mal dans mon amour, je suis seule.... », chante-t-elle ! Mais de rencontres en marivaudages, ça s’encanaille, danse, flirte, fait la fête... Bovary revisité en version techno/disco party où l’on rencontre même Queen mais en VF ! On découvre une Emma Bovary en joyeuse fêtarde et un Charles Bovary à l’exact opposé, il ne sait pas s’amuser, il pense ne pas l’aimer assez…

En s’attaquant à l’adaptation de Madame Bovary de Flaubert, Mathias Moritz nous convie dans un univers dense où les rebondissements sont nombreux et le rythme, intense. Charles est quelqu’un de plutôt ennuyeux, ou peu aventureux du moins, tandis qu’Emma rêve d’une vie faite de plaisirs, de fêtes, de découvertes et d’aventure, d’une vie romanesque bien loin de son quotidien de femme puis de mère au foyer. Prendre un amant ? Elle flirte avec un premier homme puis s’éprend d’un second qui causera sa perte (enfin… le début de sa perte).

De périodes de crises en moment raisonnables, on découvre une Madame Bovary instable, sujette à des crises où la folie l'emporte, où sa solitude l'insupporte, elle est insatisfaite, ne finit pas ce qu'elle commence, s'abreuve d'eau de vie...

« Je vais la foutre à mort » (dixit le futur amant, charmant… En même temps, il n’est question d’amour que pour elle). « Je suis folle de vous.... », « Moi aussi, Emma, je suis folle de vous... », puis copulation sous un air de Placebo. Les amants se retrouvent dès qu’ils peuvent… Mais, Rodolphe, cet amant qu’elle aimait, part sans elle et l’abandonne, seule face au scandale médical provoqué par son époux qui n’avait pas le droit d’opérer… Et ce n'est qu'une partie des péripéties qui viennent rythmer la vie de Charles et Emma Bovary que nous suivrons tout au long de cette pièce.

Avec Madame Bovary, Flaubert a défrayé la chronique en 1857. Mettre en scène une femme mariée, oui. Mais qui trompe son mari, non. En créant ce Bovary, pièce de province, Mathias Moritz et la compagnie Dinoponera ne font pas que simplement proposer une lecture de Madame Bovary mais ils replacent ce classique de la littérature française dans notre monde et démontre à quel point ce livre et les problématiques soulevées par Flaubert à l'époque restent actuelles. Parfois, on est confrontés au point de vue de Charles, à d'autres moments, c'est Emma qui devient le personnage principal, néanmoins à tout instant, c'est d'amour, de relations humaines, d'incompréhensions, d'acceptations, de positions sociales, de politique qu'il est question. « L'amour est la pièce du monde où les actes sont les plus courts et les entractes les plus longs. », telle est la conclusion de la première partie de cette pièce, à méditer, à tout point de vue, le reste aussi: sommes-nous, au 21ième siècle, différents de Charles et Emma Bovary? Sommes-nous différents de ceux qui ont intenté un procès à Flaubert pour outrage au bonnes mœurs après la publication de Madame Bovary?

Jean-Charles et Cécile.

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _

Bovary, pièce de province

D’après Gustave Flaubert, adaptation et mise en scène Mathias Moritz, Dinoponera / Howl Factory

Maillon / au Théâtre de hautepierre

jeu 11 + ven 12

+ sam 13 décembre

19h30 (attention ! horaire modifié)

Durée (entracte inclus) : 3H30

http://www.maillon.eu/

www.dinoponera.com