Qu’Allah bénisse la France, prière républicaine

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

On a lu n’importe quoi sur le slam d’Abd Al Malik, certain le juge consensuel, un brin moralisateur. J’ai vu des amateurs de rap tenir ce discours. Ça me tue. Qu’on fait IAM avec Petit frère ou NTM avec Laisse pas traîner ton fils ? Comme si on ne pouvait pas faire le constat d’une situation dramatique sans en dénonçait les causes et les conséquences. Avec Qu’Allah bénisse la France, adapté de son propre roman, Abd Al Malik ne laisse plus de place pour ce genre de doute. Dix-neuf ans après La Haine de Mathieu Kassovitz, Qu’Allah bénisse la France rend hommage à son illustre prédécesseur par sa photographie d’un noir et blanc soignée. Sur les murs de sa chambre, bien en vue, un poster d’Assassin trône.

Régis (Marc Zinga) est un jeune de la cité Neuhof à Strasbourg. Vivant avec ses deux frères et sa mère, il caresse le rêve de devenir rappeur. Pour financer le montage de sa démo, il trafique de petits vols et du trafic de cannabis. Converti à l’Islam, puis au soufisme, accompagné par sa femme, Nawel (Sabrina Ouazani), Régis devient Abd Al Malik.

À 39 ans, difficile de verser dans l’autobiographie sans se perdre dans l’hagiographie. Abd Al Malik réussit l’exercice avec subtilité. Le chanteur ne pose jamais un regard condescendant sur ses compagnons, approfondissant plutôt la réflexion sur son propre parcours. C’est en ce sens Qu’Allah bénisse la France est juste dans la forme comme dans le fond. Le film d’Abd Al Malik ne fait pas l’impasse sur la dure réalité de nos quartiers les plus défavorisés. Son grand frère Bilal (Stéphane Fayette-Mikano) est diplômé mais ne trouve pas de travail. Son petit frère Pascal (Matteo Falkone) est plein de rage, dernier d’une fratrie qu’il perçoit comme vouer à l’échec par un système inégalitaire. Régis devient un petit délinquant mais se pisse dessus la première fois qu’il assiste à une fusillade. Qu’Allah bénisse la France est pétrie de situations de violences policières, de misères économiques et de délinquance par défaut. Une fois la situation posée, rien n’empêche de rêver un peu à un monde meilleur. Et c’est ce que fait Régis, le poète. Il rêve à un monde où les devises de la République ne sont pas de vaines annonces jetées avec mépris sur les frontons de nos bâtiments officiels. Il n’ignore pas que rien est fait en ce sens mais espère que nous trouverons les moyens de vivre ensemble.

Pascal (Matteo Falkone), Samir (Larouci Didi), Mike (Mickaël Nagenraft) et Régis (Marc Zinga)

Alors que les premiers gangstas américains racontaient de véritable tranche de leur vie, autant par égotrip, l’un des fondements du hip-hop, que par acte politique de raconter la vie misérable et dangereuse des ghettos, nous avons aujourd’hui droit à un rap bling-bling représenté par Booba, Maître Gims et les autres pourfendeur de sens porté aux nues par des maisons de disques cynique. Autobiographique et politique, dénonçant les injustices, tout en se mettant au centre du récit, Abd Al Malik avec Qu’Allah bénisse la France répond à deux aspects important de la culture hip-hop, le respect de soi-même et la lutte civique. Il y a une cohérence certaine à vouloir se sortir de la fange par la culture et on préfère largement que notre jeunesse entende ce message plutôt que celui d’une frange toujours plus importante des rappeurs hexagonaux prônant l’argent et les femmes faciles, en un mot, le rêve capitaliste. Alors même que c’est ce dernier qui plonge dans la misère les populations les plus faibles.

Nawel (Sabrina Ouazani) et Régis (Marc Zinga)

Alors oui, Abd Al Malik se pose comme un exemple à suivre et c’est peut-être présomptueux. Oui, n’est pas Malcom X qui veut mais diffuser un message de concorde, de paix et d’amour, c’est aussi un acte nécessaire de nos jours. Avec la dédiabolisation de l’extrême-droite et la diabolisation de l’Islam qui sévit dans tous les médias, entendre une autre voix, c’est déjà une belle victoire. Qu’Allah bénisse la France se clore par un mariage républicain comme une promesse de lendemain plus unis.

Boeringer Rémy

La Bande-Annonce :

Soldat de Plomb, meilleur titre de la bande original :