Ecol’eau Info Add’Sense#6: quand le monde à soif…

Publié le 26 mai 2008 par Anne-Sophie

La semaine dernière, nous vous parlions de l’eau virtuelle, une notion encore trop peu considérée dans les habitudes de consommation actuelles. Cette semaine, nous poursuivons sur la thématique de l’eau avec un Ecolo-Info Add’Sense assez parlant…

La sécheresse sévit depuis longtemps dans de nombreux pays de par le monde. Mais actuellement c’est tout près de nous, en Espagne, qu’une véritable “guerre de l’eau” est ouverte depuis plusieurs mois : forcément, sans un nuage ni une goutte d’eau tombée du ciel depuis plus d’un an par endroit, les dégâts sur l’éco-système de font durement sentir…

Le cas espagnol : du rôle de l’anticipation concertée et unanime…

Barcelone risque de manquer cruellement d’eau après l’été : manque de pluie et consommation d’eau en forte croissance sont tels que les rétentions du bassin approvisionnant la ville dont tombées à 20,5% de leur capacité, alors que le seuil d’alerte est fixé à 20% (au-dessous d’un seuil de 15%, l’eau n’est pas jugée utilisable car elle brasse le fond vaseux des retenues…). Il est déjà interdit, en Catalogne, d’arroser son jardin ou de laver sa voiture avec de l’eau potable… Les pluies torentielles de la mi-mai ont accordé un répit et légèrement amélioré le niveau du seuil, mais si la situation perdure, la consommation des particuliers (5,5 millions de personnes) pourrait également être restreinte.

Le paysage politique espagnol est en ébullition (!) au sujet des mesures d’urgence à adopter… entre solutions de canalisation venant du Segre ou de l’Ebre apparaît en filigrane un manque de prévoyance flagrant des gouvernements successifs. Les conflits sont tels que la construction des 22 usines de dessalement d’eau de mer prévues a pris du retard. En attendant donc, l’eau qui approvisionne Barcelone vient de Marseille et d’usines de dessalement d’eau de mer de Tarragone (Andalousie) et de Carboneras (Andalousie) en navires-citernes. Elle permet de garantir eau potable et douches quotidiennes aux Barcelonais. Au total, 6 navires d’une capacité de 19.000 a 42.000 m3 vont effectuer 63 voyages mensuels vers Barcelone ces trois prochains mois… Barcelone recevra ainsi un apport mensuel de 1.660.000 m3 d’eau potable, soit 6% de la consommation de son agglomération

AFP/PEDRO ARMESTRE - La retenue de Mediano, dans la province de Huesca (nord-est), à un niveau exceptionnellement bas.

Comme le précise la journaliste Cécile Chambraud dans cet article du Monde, “toutes ces mesures palliatives auront un coût. Le quotidien catalan La Vanguardia a chiffré a 22 millions d’euros par mois le coût de l’approvisionnement par bateaux, sans compter 35 millions d’euros de travaux d’aménagement du port de Barcelone pour le réceptionner”… Question : quelle économie aurait-elle pu être faite si les mesures avaient été mises en place à temps ? D’autant que plus d’un tiers du sol espagnol est menacé de désertification par le réchauffement climatique… Et sans parler des conséquences touristiques pour la région…. source d’angoisse majeure pour de nombreux acteurs économiques locaux!

La dessalinisation de l’eau de mer

Parmi les solutions fréquemment citées pour faire face à la sécheresse, la dessalinisation d’eau de mer. Un marché TRES prometteur même, du fait de l’augmentation démographique dans les villes côtières et de l’accentuation du stress hydrique dans plusieurs régions du globe…

Ainsi, “confrontés à une pénurie des ressources en eau douce due à des pluies trop rares et à des nappes phréatiques en déclin, de plus en plus de pays s’adonnent au dessalement de l’eau de mer. Sur le pourtour de la Méditerranée, plusieurs Etats ont fait des investissements importants dans ce domaine, tels l’Algérie, la Libye, l’Espagne et Israël. C’est aussi le cas des pays du Golfe, de la Chine, de l’Inde, de la Californie et de l’Australie, sans compter de nombreuses îles“, explique Christianne Galus dans le Monde avant de poursuivre : “actuellement, plus de 50 millions de mètres cubes d’eau dessalée, dont 15 % issus de l’eau saumâtre, sont produits tous les jours dans le monde (l’eau de mer contient en moyenne 35 g de sel par litre, contre de 1 à 10 g pour les eaux saumâtres). En 2016, la production devrait doubler et atteindre plus de 109 millions de mètres cubes par jour, soit 109 fois ce que la région parisienne consomme quotidiennement. La croissance pourrait être encore plus rapide que prévu, dans un marché où la capacité des usines ne cesse d’augmenter : des unités produisant 1 million de mètres cubes par jour sont en projet”…

En Algérie par exemple, la station de dessalement d’eau de mer du Hamma est opérationnelle depuis le 24 février dernier. D’une capacité de 200 000 m3/jour, elle a coûté 250 millions de dollars et devrait couvrir les besoins de 1,7 million d’habitants pour un quart de siecle. Treize autres stations de dessalement de l’eau de mer sont également en cours de réalisation. Elles devraient, dès 2009, fournir 2,26 millions de m3/jour. D’ici à 2010, 10 % de l’alimentation en eau potable seront fournis par le dessalement. Sans parler des 13 projets de barrages actuellement en cours de construction afin d’accroître les capacités de mobilisation des eaux superficielles, ni des travaux effectués pour assurer le transfert des eaux souterraines de la nappe albienne du Sahara sur une distance de 750 km, entre Adrar et Tamanrasset. La réhabilitation du réseau d’alimentation en eau potable est aussi en cours (à Alger, par exemple, le taux de deperdition est passe en quelques annees de 40 % a 20 %).

En somme, les usines de dessalement poussent comme des champignons un peu partout dans le monde: “Severn Trent, l’une des dix entreprises privées de gestion de l’eau au Royaume-Uni, assure actuellement la construction d’une de ces installations pour la résidence Maravia Country Club Estates a La Paz, dans le sud de la Basse-Californie, au Mexique. La ville d’El Paso, au Texas, a inauguré en août 2007 la plus grande usine de déssalement a l’intérieur des terres qui existe au monde ; elle alimente essentiellement la base militaire de Fort Bliss, en cours d’agrandissement. En Australie, pays gravement touché par la secheresse, c’est un joint-venture israélien qui batit une centrale, tandis qu’a Bahrein, Etat riche en pétrodollars et connaissant le même boom immobilier que d’autres pays du Moyen-Orient, on examine diverses offres en vue de la construction d’une gigantesque centrale capable de satisfaire ses besoins croissants en eau. L’Inde a quant a elle commandé une etude de faisabilite a General Electric”, rappelle cet article du Courrier International.

Une solution miracle…?

Le procédé de dessalinisation est-il pour autant le plus optimal…? La logique est simple en effet : comme plus de 70 % de notre planète est constituée d’océans, il suffit de retirer le sel de cette eau et de regarder avec délectation nos réservoirs se remplir. Mais cette solution souffre néanmoins de plusieurs limites. Son coût tout d’abord : l’eau en sortie d’usine coûte de 0,4 à 0,8 euro le mètre cube produit par le procédé d’osmose inverse, et de 0,65 à 1,8 euro le mètre cube par la distillation thermique, explique-t-on dans une filiale de Suez Environnement. Un coût difficilement envisageable pour les pays pauvres ou dépourvus de gaz ou de pétrole

Document issu du dossier de Terra Economica n°55 sur l’eau de mer

La meilleure solution reste donc de commencer par une économie des ressources d’eau douce en limitant les pertes dans les canalisations. “Celles-ci peuvent atteindre 50 % dans certains pays, alors qu’en France les bons réseaux affichent de 5 à 10 % de perte. Le traitement des eaux usées pour une réutilisation dans l’irrigation contribue également à une meilleure gestion, l’agriculture étant la principale consommatrice d’eau douce (71 % du total)”, précise l’article de Christianne Galus.

Qui plus est, le procédé est extrémement énergivore: “la consommation d’énergie dans ce domaine a été divisée par quatre en vingt ans, mais les rendements doivent être encore améliorés. Le but de la recherche est d’économiser l’énergie lors du processus de dessalement” explique Michel Dutang, directeur de la recherche et du développement de Veolia Environnement, leader du marché (14,5 %).

D’après Maude Barlow, fondatrice du Blue Planet Project et directrice nationale du groupe de pression Council of Canadians, “même avec les projets actuels, qui visent a tripler la production mondiale, avec notamment des usines de dessalement a énergie nucleaire, cette technologie est incapable de satisfaire la demande en eau douce dans le monde. D’une part parce que le dessalement est une technologie tres coûteuse, ce qui explique qu’on trouve ces usines en Arabie Saoudite et en Israel mais pas en Afrique. Et, d’autre part, parce que l’humanité détruit son patrimoine d’eau douce trop rapidement pour que la technologie puisse compenser. Les gouvernements et les entreprises se jettent sur le dessalement comme si c’etait la panacée. C’est compréhensible de la part du secteur privé : l’or bleu peut generer des bénéfices considérables. En revanche, le fait que les gouvernements ne prennent aucun recul pour examiner de facon plus attentive cette prétendue solution miracle pose un enorme problème.”

Distribution de l’eau sur terre (Source)

Un rapport du WWF paru il y a bientôt un an s’inquiète sérieusement du développement anarchique de cette technologie, pour les raisons citées ci-dessus, mais aussi à cause des effets négatifs provoqués par le rejet des saumures sur le milieu marin. La chimie des eaux côtières risque d’être déstabilisé par cet apport de sel, ce qui aura de nécessaires effets sur la faune et la flore. D’autant que les océans présentent d’ores et déjà un taux d’acidité de 30 % supérieur a celui enregistré au début de la révolution industrielle, et ils absorbent chaque jour 22 tonnes de dioxyde de carbone. D’ici a la fin de ce siècle, ils pourraient etre 150 % plus acides… (Source: Les Blumenthal pour McClatchy Newspapers).

D’après Maud Barlow, “pour chaque unite d’eau douce ainsi produite, c’est une unite equivalente de saumure toxique qu’on rejette dans les oceans. Actuellement, les usines de dessalement produisent 19 millions de métres cubes de déchets chaque jour. On estime que leur production aura triplé d’ici a 2015, et les rejets de saumure et l’acidification des océans seront multipliés d’autant“. En somme, si chaque goutte d’eau est exploitée et désalée, le monde risque de couler sous un océan d’acide!

Au final, les procédés de dessalement ne fournissent aujourd’hui que 1% de l’eau bue dans le monde. Entre 1994 et 2004, les capacités de déssalement installées dans le monde ont plus que doublé, selon l’Association internationale du dessalement. Une croissance qui va indubitablement s’accelèrer… au risque d’acidifier encore plus les océans: “loin de résoudre le problème de la penurie d’eau, le déssalement est une technologie onéreuse qui risque d’avoir de nombreux effets secondaires. Nous serions mieux avisés de chercher a prevenir le mal en cessant de polluer, de détourner et de gaspiller l’eau”, rappelle Wenonah Hauter, de Food and Water Watch.

Même si “les industriels tentent de contrecarrer ces effets en utilisant des diffuseurs qui diluent rapidement la salinité, en tenant compte des flux marins”, ainsi que l’affirme Christiane Galus, il demeure que les gouvernements ne veulent pas voir une certaine réalité… La soif du monde risque de faire couler l’argent à flot… à moins que les gouvernements ne se réveillent quelque peu et arrêtent un processus risquant d’accélérer les effets du réchauffement climatique pour ne subvenir que temporairement aux problèmes actuels… Sans parler des risques qui seront engendrés en cas de manque de coordination et de solutions, comme le rappelle la vidéo qui suit

++ Pour aller plus loin ++

Livres:

  • Maude Barlow, auteur de Blue Covenant: The Global Water Crisis and the Coming Battle for the Right to Water [“Alliance bleue : la crise mondiale de l’eau et la future bataille pour le droit a l’eau”, paru chez New Press en mars 2008], fondatrice du Blue Planet Project et directrice nationale du groupe de pression Council of Canadians. “Je crains que la crise mondiale de l’eau ne balaie la vie de la surface de la Terre si nous ne nous en preoccupons pas tres vite”, confie-t-elle…
  • Barah Mikaïl, “L’eau, source de menaces?”, Iris/Dalloz, 15 mai 2008

Articles:

  • Infographie du Monde sur les risques de pénuries
  • Dessalination : option or distraction for a thirsty world ?, WWF, Juin 2007
  • Sur le cas espagnol : “L’eau en Espagne, c’est chacun pour soi“, Le Monde, 24/04/08 - Cecile Chambraud, Madrid, correspondante
  • L’eau, si precieuse…“, Clicanoo, 28/04/08: la Reunion recoit tous les ans 10 fois plus d’eau qu’elle n’en consomme effectivement, mais les activites humaines, la pression demographique, les deperditions naturelles, font que l’on s’inquiete de la rarefaction de la ressource…
  • Terra Economica, “La mer est-elle ‘avenir de la Terre“, TE n°55, 30/04/08
  • Sécheresse : Barcelone approvisionnee en eau potable par bateaux, AFP, 13/05/08
  • Christiane Galus, Dessalement de l’eau de mer : un marche tres prometteur, Le Monde, 15/05/08
  • Amir Akef, “L’Algerie a lance de grands projets pour 14 milliards de dollars“, Le Monde, 15/05/08
  • Le dessalement n’est pas la solution miracle, Courrier International n°915, 15/05/08
  • Laure Noualhlat, “Appel au bon sens“, 16/05/08 (suite au pillage des données de l’institut Paul Ricard, au sujet notamment des effets de des rejets de saumures sur les éco-systèmes marins.
  • Techniques de dessalinisation

Conférence et ONG

  • Green Cross, avec notamment le programme “Water for Peace”
  • UNESCO, 29 mai 2008, Conférence sur l’eau douce en Méditerranée
  • Cf. aussi les liens dans la barre d’outils (Asso-Eau)

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