L’interdiction faite aux sages-femmes d’effectuer des accouchements à domicile ne porte pas atteinte à la vie privée des femmes tchèques

Publié le 14 décembre 2014 par Elisa Viganotti @Elisa_Viganotti


Dans son arrêt de chambre1, rendu le 11 décembre 2014 dans l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque (requêtes nos 28859/11 et 28473/12), la Cour européenne des droits de l’homme a dit, à la majorité, qu’il y a eu :
Non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme.

Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), Mesdames D et K se plaignaient que les mères n’eussent pas d’autre choix que d’accoucher à l’hôpital si elles souhaitaient être aidées par un professionnel de la santé.La Cour estime que l’impossibilité pour les deux femmes de se faire assister par une sage-femme en accouchant à domicile s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie privée. Elle tient compte en particulier de la notion large de vie privée au sens de l’article 8, qui englobe le droit à l’autonomie personnelle et à l’intégrité physique et morale. La Cour admet que l’ingérence avait une base légale, puisque les deux femmes pouvaient prévoir que l’assistance d’un professionnel de la santé pour un accouchement à domicile n’était pas autorisée par la loi. De plus, l’ingérence poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la santé et des droits d’autrui au sens de l’article 8. Il n’y a pas lieu de douter que la législation tchèque en question vise à protéger la santé et la sécurité du nouveau-né pendant et après l’accouchement et, indirectement, celles de la mère.Sur la question de savoir si cette ingérence était nécessaire, la Cour remarque en particulier l’absence de consensus européen sur le point de savoir s’il faut ou non autoriser les accouchements à domicile, et dans quelles circonstances. Cette question appelle une évaluation par les autorités nationales de données spécialisées et scientifiques concernant les risques afférents d’un côté à une naissance à l’hôpital et de l’autre à une naissance à domicile. Cette question met également en jeu des considérations de politique générale de l’État en matière socio-économique, notamment l’allocation de ressources financières aux fins de la création d’un système adéquat de gestion des urgences pour les naissances à domicile, qui peut impliquer de retirer des fonds du système général des maternités. Compte tenu de ces éléments, la Cour conclut que les États jouissent d’une ample marge d’appréciation pour réglementer cette question.
 Or, la plupart des travaux de recherche sur la sécurité des accouchements à domicile indiquent qu’il n’y a pas plus de risques que pour une naissance à l’hôpital dès lors que certaines conditions sont remplies, notamment si les naissances à domicile n’ont lieu que dans le cadre de grossesses à faible risque et si une sage-femme qualifiée est présente.
La situation en République tchèque, où les professionnels de la santé n’ont pas le droit d’aider les mères à accoucher à domicile et où il n’y a pas de système d’aide d’urgence spéciale, implique en fait un risque accru pour la vie et la santé de la mère et du nouveau-né. 

De plus, la Cour tient compte également de l’argument du gouvernement tchèque selon lequel, même dans le cadre d’une grossesse apparemment dépourvue de complications particulières, il peut surgir des difficultés inattendues qui exigent des actes médicaux réservés aux hôpitaux.

Partant, la Cour conclut que les mères concernées, notamment Mesdames D et K, n’ont pas eu à supporter une charge disproportionnée et excessive.
 Néanmoins, la Cour estime que les autorités tchèques devraient reconsidérer en permanence les dispositions pertinentes, à la lumière des évolutions médicales, scientifiques et juridiques. Pour aller plus loin:Arrêt DUBSKÁ AND KREJZOVÁ v. THE CZECH REPUBLIC +Viganotti Elisa  Avocat de la famille Internationale