Emmanuel Barot, l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes !

Par Alaindependant

« À un certain degré de généralité, écrit Emmanuel Barot,en effet les diverses oppositions de gauche, depuis 1918, d’Ossinski en Russie à Luxembourg en Allemagne et aux conseillismes, jusqu’à l’opposition unifiée de 1926 dont Trotsky assura le leadership en réaction au galopant Thermidor soviétique, et les héritiers de tous ces courants, partagent tous la norme fondatrice de l’Association Internationale des Travailleurs en 1864 qui reste,par-delà les destins des IIe et IIIe internationales, l’aiguillon de la reconstruction à mener. « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » : ce qui compte donc c’est la reconnaissance de la centralité de l’autoorganisation du prolétariat, et de l’existence d’une seule et unique boussole pour la lutte des classes : qu’est-ce qui unifie et renforce durablement, ou non, et comment, les travailleurs, et accroit leur conscience de leur position et de leur force ? »

Avec Emmanuel Barot nous sommes là au centre d'un débat central.

Michel Peyret


Pour un cours nouveau du communisme révolutionnaire

Emmanuel Barot [1]

Article publié originellement en espagnol dans le premier numéro de la revue "Ideas de Izquierda (http://ideasdeizquierda.org/), en Argentine.

« Il n’y a chose à traiter plus pénible, à réussir plus douteuse, ni à manier plus dangereuse que de s’aventurer à introduire de nouvelles institutions ; car celui qui les a introduit a pour ennemis tous ceux qui profitent de l’ordre ancien, et n’a que des défenseurs bien tièdes en ceux qui profiteraient du nouveau. Cette tiédeur vient en partie de la peur des adversaires qui ont les lois pour eux, en partie aussi de l’incrédulité des hommes qui ne croient point véritablement aux choses nouvelles s’ils n‘en voient déjà réalisée une expérience sûre. »
Machiavel, Le Prince, 1513

On le croyait définitivement enterré avec le mur de Berlin, et pourtant, à la faveur d’une conflictualité sociale proportionnée aux effets de la crise du capitalisme mondial, le « communisme » a fait retour ces toutes dernières années sur la scène publique, emblématiquement sous le visage de cette « Idée » autour de laquelle, depuis une ambitieuse « Conférence de Londres » en 2008, s’agitent quelques grands noms de la « gauche de la gauche » européenne (Badiou, Zizek, Negri, Balibar, etc.).

Fort plastique, cette Idée a profité de l’essoufflement de l’altermondialisme en recombinant certaines de ses illusions majeures : sur ces « multitudes » censées faire la révolution dans un Empire acéphale, par les réseaux sociaux et « sans prendre le pouvoir », ou encore sur les vertus salvatrices d’« Evénements » court-circuitant miraculeusement la prosaïque pesanteur historique, illusions qui toutes germèrent de la décomposition supposée du « Sujet » prolétarien de l’histoire.

Mais le grand récit idéologique du postmodernisme a jeté le masque, et le postmarxisme de l’Idée se fracasse contre les expériences contemporaines d’autogestion et de contrôle ouvriers, et plus largement contre ces contagieuses indignations et semi-révolutions qui, depuis 2011, manifestent chaque fois un peu plus que derrière la convergence des aspirations de ces peuples en révoltes, jusque et y compris dans les contrastes lisibles à même leurs formes spontanées, continue de se jouer en dernière instance le drame historique des classes en luttes.

Certes, dans un capitalisme plus décomplexé que jamais, ce retour de l’Idée a marqué un pas dans la sortie de l’autocensure et de la culpabilité historique associées au stalinisme et à ses avortons, et dans la lettre, alimenté cet « art stratégique » pour lequel Bensaïd milita jusqu’au bout (bien que cela n’ait pas toujours suffi à le dissocier clairement de ces prosateurs à la mode). Mais à quel prix, en vérité ? De la lettre à l’esprit, et de l’esprit à l’action, le fossé est immense, peut-être infranchissable.

1. Au son de « l’Idée », sur l’air du « marxien », des communismes sans socialisme et sans politique

Le « communisme » comme partage et mise en commun des principaux moyens matériels d’existence (la terre avant tout) a été le lot transitoire, sous des formes relativement rudimentaires, de certaines sociétés primitives. Puis il est devenu, parfois croisées avec le christianisme, et sous formes de cités idéales depuis l’antique république de Platon jusqu’à l’Icarie de Cabet en passant par l’île d’Utopie de More, une aspiration essentiellement morale. Il ne s’est énoncé comme véritable projet politique qu’au XIXe siècle, dans le sillage de 1789 : spectre de la destitution du capitalisme en essor, refus offensif du destin atroce que celui-ci infligeait à son « secret honteux », source surexploitée de sa richesse et de son développement planétaire, le prolétariat, né d’un « peuple » qui naguère avait amalgamé contre le féodalisme des forces sociales au contours incertains, dorénavant clivé en classes absolument antagoniques. Voilà pourquoi Engels dans les Principes du communismeen 1848 le définissait comme la « négation » du pouvoir bourgeois et, positivement, comme la « théorie des conditions de la libération du prolétariat », résumant ainsi le contenu du nouveau « Parti » historique à prendre dont Marx et lui écrivaient alors le Manifeste.

Entre les années 1830-40 de genèse de leur contenu politique, et les débats de la première Internationale puis de la social-démocratie allemande, ils usèrent des deux termes de « communisme » et de « socialisme » de façon parfois synonyme, ou en faisant varier le sens de leur distinction, voire en n’utilisant qu’un des deux. Face aux modèles industrialo-coopérativistes des Owen et Saint-Simon, aux phalanstères de Fourier, s’imposa peu à peu l’emblématique « socialisme scientifique » dont L’idéologie allemande, avait cependant déjà fixé l’essentiel sous le terme de « communisme », alors posé comme synonyme de « matérialisme pratique », et comme n’étant « ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler », mais au contraire le « mouvement réel qui abolit l’état actuel », dont les « conditions » « résultent des prémisses actuellement existantes. »

Mais mouvement orienté par les prolétaires conformément à but conscientun objectif, une fin, fût-elle approximative : une nouvelle association d’hommes désaliénés, libérés de la propriété privée et de la marchandisation de leur être personnel et social, fondée sur un nouveau mode de production rationnellement planifié ayant aboli les classes et l’Etat. Ce n’est qu’avec Lénine dans L’Etat et la révolution que le « socialisme » est formellement homologué (et dans le double contexte bien particulierde la situation russe et de l’été 1917) avec la phase transitoire de la dictature du prolétariat, prélude « inférieur », économico-étatiste, au communisme considéré comme sa « phase supérieure ».

La distinction a été canonisée et instrumentalisée ensuite par le contre-révolutionnaire « socialisme dans un seul pays », qui finalement s’est effondré avant le passage prévu au stade final. Dès lors, quand un Badiou parle du communisme authentique en suggérant qu’il n’a rien à voir avec l’histoire de ce « socialisme » réduite au stalinisme, que fait-il d’autre, sinon reconduire la même antidialectique ? Lui se dit postmarxiste, cependant que d’autres se disent maintenant « marxiens » et prétendent séparer le bon grain de l’ivraie, retrouver Marx tout en tirant, opération analogue, un trait sur l’histoire continuée, sans majuscule, du mouvement ouvrier, sur laquelle seule, en ses échecs comme ses errances, et malgré la violence de ses heurts, le communisme peut aujourd’hui être ré-assis dans sa profondeur historique.

On ne confondra pas, cependant, ces autoproclamés « marxiens » tard venus, parfumés plus ou moins fortement au néo-stalinisme, avec deux autres catégories usant du même vocable. D’autres « marxiens » actuels n’ont pas les mêmes casseroles, et se contentent d’exprimer par là qu’ils défendent Marx et le communisme, tout en restant très à distance du mouvement ouvrier, de ses partis, de ses syndicats, non par mémoire sélective, mais parce qu’ils n’ont pas ou ont perdu le sens de ce que faire de la politique implique – par quoi ils poursuivent, en partage avec les glosateurs de l’Idée, le repli dans le concept que, naguère, Anderson avait schématiquement identifié comme marque de fabrique du « marxisme occidental ».

La troisième catégorie de « marxiens » est largement antérieure à 1989. Héritière des premières oppositions de gauche, elles s’opposa dès l’après-guerre, refusant autant le capitalisme que le stalinisme, à ce « marxisme » (décliné en « léninisme », puis en « maoïsme », etc.) qui s’était dès les années 1920 objectivement constitué aussi en idéologie au service de la contre-révolution. Cette tradition accusa souvent le trotskysme d’avoir tenté de combattre le stalinisme en lui laissant à tort le choix des armes, donc en participant de l’intérieur de sa contre-révolution. A l’inverse on put lui reprocher sa prétention au ni Moscou-ni Washington, position qui fut effectivement confortable pour certains (qui d’ailleurs se droitisèrent et abandonnèrent Marx, participant finalement, de l’extérieur cette, fois à la contre-révolution), mais sur le fil du rasoir, exigeante à tenir voire funeste pour d’autres (qui furent attaqués de tout bord, voire engloutis dans la répression).

Cette configuration contrastée du « marxien », et l’usage ânonné à n’en plus finir de ce « je ne suis pas marxiste » prononcé une fois par Marx, n’autorise donc aucune interprétation unilatérale. Pour éviter de s’y noyer, une seule boussole : le communisme était en 1848 la théorieet la praxis « des conditions de la libération du prolétariat », il sera aujourd’hui celles des prolétaires, qu’ils soient nouveaux ou anciens, du XXIe siècle : les travailleurs exploités, précarisés, plus ou moins opprimés par surcroît pour leur genre sexuel ou ethnique, par la classe capitaliste, ses contremaîtres étatiques ou ses alliés réactionnaires. Actuellement employés ou au chômage, étudiants ou retraités, ils ont fait, font ou feront tourner par leur force de travail les différents secteurs de la production et de la reproduction sociales, et composent cette vaste armée industrielle d’active ou de réservedont le capital a toujours eu besoin. Que faire, donc, pour que l’Idée ne se ré-empare des masses – c’est-à-dire que ces masses ne se ré-emparent d’elle, lui fasse perdre sa majuscule et redevenir une force matérielle ?

2. Stratégie dialectique et nécessité historique

La dualité entre « fins visées » et « mouvement réel », les oscillations du lien socialisme-communisme, et plus largement l’absence de théorie unifiée du communisme chez Marx expriment le caractère radicalement dialectique et historique du concept. Seule une vision antidialectique et anhistorique peut proposer une théorie achevée d’une société qui n’existe pas encore (où le « mouvement réel » disparaît), de même que simultanément, l’absence totale d’anticipation rationnelle conduit à naviguer à vue, de façon purement pragmatique et logiquement opportuniste (toute « fin » cette fois s’évanouissant). Marx voulut éviter ces écueils : la dialectique solidarise organiquement l’analyse scientifique de l’état de chose existant, et le mouvement prospectif vers l’état de chose possible et souhaitable.

Elle est cette pensée négative, disait Marcuse dans sa Préface de 1954 à Raison et révolution, capable de penser ce qui est, dans les termes de ce qui n’est pas. Les normes et les possibles imprègnent les faits, et cette négativité qui les travaillent de l’intérieur est ce dont la dialectique rend raison, voilà pourquoi elle pour Marx « dans son essence, critique et révolutionnaire ». Parce que « dans l’intelligence positive de l’état de choses existant elle inclut du même coup l’intelligence de sa négation, de sa destruction nécessaire, parce qu’elle sait toute forme faite dans le flux du mouvement et donc aussi sous son aspect périssable » (Préface de 1873 au Livre I du Capital).

Aux antipodes de toute inéluctabilité de l’écroulement du capitalisme et de la révolution prolétarienne, cettestratégie dialectique n’incluait, en matière de théorie des conditions de la transition révolutionnaire du capitalisme au communisme, aucun a priori mécanique sur la nature du rythme, des « étapes » que les sociétés et leurs prolétariats à l’échelle mondiale seraient censés suivre,ni n’a déposé de brevet sur le nom à donner à cette période de transition– leçon dont la principale héritière est la loi trotskyste du développement inégal et combiné. Marx et Engels ont inféré des contradictions du capitalisme une tendance objective à la radicalisation explosive de la lutte des classes, mais, lucides sur les contre-tendances simultanément à l’œuvre, ils savaient bien que le capitalisme n’est ni naturel ni indépassable, pas plus que qu’à l’image d’une loi de la nature la révolution n’est écrite d’avance.

Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le refus du « nécessitarisme » et des eschatologies. Pourtant il y a bien une nécessité à l’œuvre : le capitalisme ne sera aboli qu’en vertu du poids de ses contradictions internes, et non grâce à un pouvoir extérieur, transcendant, miraculeux, quel qu’il soit. Mais dire que s’il périt, c’est nécessairement de ses contradictions internes, ce n’est pas dire que le capitalisme périra nécessairement. Bref, il ne faut pas se tromper de « nécessité » : la seule rationnellement défendable – hypothèse d’une apocalypse nucléaire mise à part – c’est celle d’une destruction volontaire et organisée du capitalisme accomplie par un prolétariat qui aurait réussi à se réunifier. Si hétérogène et divisé que celui-ci soit dans chaque pays et à l’échelle des cinq continents, on ne saurait décréter d’avance qu’il n’en sera pas capable : les hommes font leur histoire sur la base de conditions antérieures, et aucune colonisation du futurn’est légitime. Il faut donc toujours se préparer à tout, en particulier le répétait Lénine, à l’improbable.

3. Communisme, gauchisme : l’autocritique pour l’autoorganisation

« Les révolutions ne se font pas par des lois. », Le Capital, Livre I, ch. XXIV

La différence est donc majeure entre scander de façon idéaliste ou mécanique des étapes abstraitement définies, et dire que la révolution se fera progressivement, donc par définition par étapes, tout en précisant que ces étapes ou rythmes, et les mots d’ordre transitoires qui les susciteront ou les orienteront, suivront les singularités et les priorités des contextes géopolitiques. Faite de traits anciens et nouveaux, instable, hybride, contradictoire, toute expérience révolutionnaire a illustré et illustrera l’évidente nécessité de toujours devoir tout prendre en charge, sans pour autant pouvoir le régler, tout de suite.

La dictature du prolétariat reste aujourd’hui la traduction la plus consciente de cette hybridité, donc un concept stratégique majeur, pour une première raison, simple : elle est imposée par la permanence de la dictature du capital, quelle que soit la couleur de l’écran de fumée sur fond duquel celle-ci agite périodiquement, grelots réformistes au diapason, ses nouveaux costumes.

Ensuite, sans parler des flous affectant les multiples « indignations » nationales, elle le reste parce que le « socialisme du XXIe siècle » à la Chavez par exemple, reconduit ces illusions dangereuses dont Marx était pourtant définitivement revenu avec la généralisation de la contre-révolution en Europe après 1848, tirant la conclusion que la destruction de l’Etat bourgeois était un élément cardinal de la transition révolutionnaire. Pour autant, les épreuves du XXe siècle imposent, pour la crédibilité de toute invocation de la dictature du prolétariat, qu’absolument tout soit mobilisé pour que son contenu réel ne soit, comme fin et comme moyen, l’auto-organisation maximale du prolétariat, par laquelle seule du reste celui-ci pourra reconquérir non seulement sa conscience de soi, mais surtout, sa confiance en soi. La compréhension aussi renouvelée soit-elle du « siècle soviétique » exige donc en complément une autocritiqueradicale, dont une voie consistera à ré-explorer la polémique entre communisme et gauchisme à laquelle Lénine donne ses lettres de noblesse en 1918-1920.

Etre communiste c’était jadis devoir éviter autant – même si les deux n’étaient pas de même nature – les déviations de droite (opportunistes) que celles, puristes, de gauche (gauchisme), alors puisque. Or s’il nous faut re-calibrer le « communisme » à la mesure XXIe siècle, alors ce qui, derrière ce terme de « gauchisme », a été ensuite réprimé par le stalinisme, mais aussi minoré dans les trotskysmes, doit faire l’objet d’un bilan et d’une évaluation méthodiques : la tension communisme-gauchisme fut une tension mouvante, dialectique et historique,il nous appartient donc de la re-dialectiser et la ré-historiciser. La pire erreur pour un marxiste consiste à graver dans le marbre ce qui ne s’écrit que dans la terre.

D’un côté on reconnaîtra avec certains ultragauches qu’effectivement des dilutions et abdications funestes, depuis 1945, ont été commises au nom du « front unique », et pourraient l’être encore. De l’autre on reconduira ce que Paul Valéry disait de la morale kantienne : qu’elle a les mains propres parce qu’elle n’a pas de mains – que certaines postures oppositionnelles ont, de loin, par trop dédialectisé et décontextualisé le rapport des fins et des moyens. Ces écartèlements sont solidaires de désaccords sur le statut et les effets de l’étatisation en URSS (« collectivisme bureaucratique » vs « capitalisme d’Etat » vs « état ouvrier bureaucratiquement dégénéré »…), sur la nature du rôle du parti et des directions révolutionnaires, ou encore sur la conception de l’avant-garde des travailleurs.

Ces désaccords persistent, empêchent de tirer un bilan pleinement commun et donc d’élaborer une stratégie commune. Mais cela n’a rien de gênant, une unité pour l’unité œcuménique n’est pas plus féconde en théorie qu’en politique que si elle était tyrannique, et le pluralisme conflictuel de la démocratie ouvrière n’a jamais été un frein à l’action rationnelle : ce qui importe, c’est ce qu’il est politiquement juste de défendre. Or si d’une part il est juste que certains compromis historiques ne se dépassent qu’avec l’oubli : ce que fut le stalinisme interdit absolument toute bienveillance avec les néo-stalinismes – et il faudra longtemps –, en revanche il est d’autres litiges (sur 1917-1924 naturellement) pour lesquels une telle attente serait erronée, parce qu’un terrain suffisant existe pour des négociations qui, à défaut de s’entendre sur le début, pourraient au moins le tenter opérationnellement sur la fin. 

À un certain degré de généralité en effet les diverses oppositions de gauche, depuis 1918, d’Ossinski en Russie à Luxembourg en Allemagne et aux conseillismes, jusqu’à l’opposition unifiée de 1926 dont Trotsky assura le leadership en réaction au galopant Thermidor soviétique, et les héritiers de tous ces courants, partagent tous la norme fondatrice de l’Association Internationale des Travailleurs en 1864 qui reste,par-delà les destins des IIe et IIIe internationales, l’aiguillon de la reconstruction à mener. « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » : ce qui compte donc c’est la reconnaissance de la centralité de l’autoorganisation du prolétariat, et de l’existence d’une seule et unique boussole pour la lutte des classes : qu’est-ce qui unifie et renforce durablement, ou non, et comment, les travailleurs, et accroit leur conscience de leur position et de leur force ?

Sartre a dit : « à chaque fois que je me suis trompé, c’est que je n’ai pas été assez radical ». Notre responsabilité est de faire vivre le marxisme avec cette radicalité par laquelle il est capable de comprendre et digérer sa propre histoire, puis d’en renaître. Trotsky s’attaqua de cette façon, sans concession, en 1923 dans Cours nouveau, contre cette bureaucratie qui tentaculairement séparait déjà le parti des masses. Mais d’autres l’avaient précédé. A notre tour, revendiquer avec force la théorie de la révolution permanente, et remonter, contre lui et Lénine au besoin, à certaines précoces leçons des « gauchismes » qui n’ont pas encore été assez entendues, ne sont aucunement choses incompatibles. Assumer frontalement aujourd’hui qu’aucune majuscule ne méritera jamais le sacrifice des prolétaires en lutte serait une expression, une parmi d’autres certes, mais une particulièrement enthousiasmante et offensive, d’un cours nouveau du communisme révolutionnaire.

[1] Emmanuel Barot est enseignant chercheur en philosophie à l’université du Mirail à Toulouse. Animateur du séminaire "Marx au XXième siècle", il est l’auteur notamment de "Révolution dans l’université. Quelques leçons théoriques et lignes tactiques tirées de l’échec du printemps 2009", Montreuil, La Ville Brûle, 2010 et de "Marx au pays des soviets ou les deux visages du communisme", Montreuil, la Ville Brûle, 2011. Il a en outre coordonné le livre "Sartre et le Marxisme", Paris, La Dispute, 2011