Paquita, une exquise redécouverte du Ballet national bavarois, avec une Daria Sukhorukova impériale!

Publié le 16 décembre 2014 par Luc-Henri Roger @munichandco

Vue de Saragosse sur le rideau d'avant-scène.

La reconstitution minutieuse par le Bayerisches Staatsballett de la Paquita revue par Marius Petipa nous donne l´occasion de redécouvrir à la fois le ballet romantique parisien de 1848 sur la musique de Edouard Marie-Ernest  Deldevez et la version revue par Marius  Petipa en 1881 avec les ajouts musicaux de Ludwig Minkus. C'est en fait l'occasion d'une double découverte et, pour les amateurs des ballets romantique et classique, un double enchantement, avec tout le charme d'une reconstitution historique réalisée dans les règles de l'art, réalisée par une équipe menée par le chorégraphe Alexei Ratmansky, qui a livré un travail des plus remarquables.

Paquita devant la stèle commémorative

Le bonheur commence dès qu'on pénètre dans la grande salle du Théâtre national où un rideau d'avant-scène nous accueille avec la reproduction à l'échelle du rideau de la vue de Saragosse que réalisa le peintre Juan Bautista Martínez del Mazo en 1647. La Saragosse occupée par les troupes napoléoniennes n'en devait pas beaucoup différer. Pendant l'ouverture, une main invisible calligraphie un texte sur le rideau à l'allemande qui évoque les circonstances de la cérémonie à laquelle on va assister. Le rideau se lève sur le décor réalisé par Jérome Kaplan, à qui on doit aussi la reconstitution des admirables costumes. Nous sommes dans la Valle del toro, un espace pittoresque près de Saragosse que l'on apercoit au loin à l'horizon, dans l'encadremenent de la grande arche qui forme le fond du décor. C´est en ce lieu que va être inaugurée la stèle commémorative érigée à la mémoire du général d´Hervilly, lâchement assassiné avec sa femme et sa petite fille, une stèle remarquablement reconstituée par les soins du décorateur qui a su en rendre le marbre, et les dorures de l'inscription surmontée d'une couronne dorée décorée d'un grand noeud de ruban de style Louis XVI. La grande arche de pierre supporte un chemin qui servira d'accès aux gitans, qui arriveront pour les festivités qui doivent succéder à la cérémonie d'hommage aux défunts.

Le Pas des manteaux

L'action est mimée avant d'être dansée, dans la tradition des ballets pantomimes romantiques. Ce type de ballet, qui recourt également aux danses folklotiques, exige une triple compétence de la part des danseurs du corps de ballet: il s'agit bien sûr qu'ils soient rompus à l'art de la danse classique, mais aussi qu'ils excellent dans l'expressivité très théâtralisée du mime et qu'ils puissent rendre châtoyante la couleur locale es danses populaires. Les danseurs du Ballet national de Bavière excellent à rendre les trois mondes qui se côtoyent dans ce ballet: celui des dignitaires de l'Empire français installés en territoire conquis, et le monde espagnol, tant celui des aristocrates que celui des gitans. Trois codes de société très distincts que la seule expression corporelle peut exprimer dans le ballet. L'héroïne du récit appartient à deux de ces mondes, ce qui rend d'autant plus difficile le défi à relever par la danseuse étoile, l'incomparable Daria Sukhorukova qui l'incarne en cette soirée de première, et qui doit passer du rôle de vedette gitane espagnole  de la danse à celui d'une jeune aristocrate française enfin réunie à sa famille de sang. On vit une soirée avec de belles variations sur diverses formes de danses, françaises et espagnoles, nobles ou populaires. La couleur locale est également rendue par le recours aux instruments de musique du terroir, pour l'Espagne ce sont bien sûr les inévitables castagnettes. 
Côté français, le premier acte connaît son apothéose dans le fameux Pas de trois, un pas dans lequel Javier Amo s'est montré excellentissime à la fois par le nombre de ses entrechats exécutés d'une volée et par la hauteur qu'il atteint pour les exécuter. Côté espagnol, on apprécie le pas des manteaux, exécuté par douze paires de danseuses, la moitié d'entre elles travesties en hommes qui dansent des parties toréées, avec un final de capes tenues à bras tendus qui forment comme une chenille au-dessus des couples. Le pas des manteaux est suivi du Pas des sept bohémiens, connu également comme Pas de Carlotta, avec Paquita/Sukhorukova en numéro étoilé. On assiste pendant tout cet acte à la démonstration de l'art du costumier qui a restitué les robes des femmes de la noblesse d'Empire, avec leur spencers et le cintrage sous la poitrine qui donne tant d'élégance aux longues retombées des robes, et un ensemble de costumes d'officiers impériaux, costumes de général d'Empire, de hussards, d'officiers d'infanterie, de dragons ou de lanciers. Les costumes des bohémiennes sont également de toute beauté, avec les jupes superposées, avec d'harmonieuses combinaisons de couleurs.
Si le premier acte met en place les éléments de l'action, le deuxième acte acte relève du pur roman noir à l'anglaise, ce type de littérature qui a tellement influencé le 19ème siècle français avec ses topiques d'assassinat, d'enlèvement d'enfants, de complots et de vengeances, de banditisme organisé, et, plus tard, de reconnaissance. Le décor souligne le côté de sombre dangerosité: la taverne est creusée dans le rocher dont le côté pesant est accentué.

La mazurka des enfants


Enfin le dernier acte se déroule dans le palais du commandant français de Saragosse, un palais dont les arcades sont ouvertes sur le panorama de la ville, avec ses colonnades en faux marbre et ses décorations marbrées sur les murs. Le commandant donne un bal où est conviée la noblesse française et la noblesse espagnole dont les femmes portent mantilles. On y danse des danses françaises comme la contredanse et la gavotte. Suit ensuite la très charmante mazurka des enfants, avec vingt petits rats des deux sexes qui exécutent leur numéro d'ensemble à la perfection, devant un public attendri et ravi. Après leur danse très applaudie, les enfants vont se placer dans la galerie de l'étage du palais, pour observer la danse de leurs aînés. Ce sera notamment le fameux Grand pas, avec ses six variations, les deux dernières variations étant celles des premiers solistes, la variation de Lucien d'Hervilly dansée par Tigran Mikayelyan et le couronnement de la variation de Paquita, dansée par la reine de la soirée, Daria Sukhorukova.
Daria Sukhorukova atteint au sublime avec le rôle de Paquita, qu'elle nourrit de sa fraîcheur et de son charme, et plus encore de l'excellence de son art. Elle allie la finesse de l'expression dans le jeu mimé à la souplesse, l'élégance, la précision et l'exquise légèreté de sa danse. Un pur bonheur!
Avec Paquita, le Bayerisches Staatsballett a apporté une contribution significative à la recherche et l'histoire du ballet et ajoute une pièce maîtresse à son répertoire qui ravira les amateurs de ballet classique.
Agenda

Alexei Ratmansky / Marius Petipa
Paquita
Les 16, 18 et 30 décembre 2014.
Les 2, 8, 9 et 11 janvier 2015
Le 25 avril 2015
Les 16 et 23 mai 2015
Et le 4 juillet 2015.
au Théâtre national de Munich.
Le 11 janvier, la représentation sera retransmise gratuitement sur internet sur la
STAATSOPER.TV
Réservations en ligne: cliquer ici puis sur 'Karten' en regard de la date choisie.
Crédit photographique: Wilfried Hösl
Post de présentation: cliquer ici