Immigration : l’occasion ratée de François Hollande

Publié le 17 décembre 2014 par Sylvainrakotoarison

Manque de souffle, tentation irrésistible de retomber dans la politique politicienne en évoquant le droit de vote des étrangers, le Président de la République n’a pas su réduire les passions et les polémiques sur l’immigration, même s’il a raison quand il conclut : « La réussite de l’intégration déterminera la réussite de notre destin. ».

Le lundi 15 décembre 2014 en fin d’après-midi, le Président de la République François Hollande est venu à la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration, à la Porte Dorée à Paris, pour inaugurer ce musée ouvert pourtant il y a sept ans. Initialement amorcé par le Premier Ministre Lionel Jospin et repris à son compte par le Président Jacques Chirac, ce lieu présidé jusqu’à nomination comme Défenseur des droits par Jacques Toubon n’avait encore jamais été officiellement inauguré.

François Hollande était accompagné entre autres du Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, de la Ministre de la Culture Fleur Pellerin, de la maire de Paris Anne Hidalgo, de Mercedes Erra, présidente du conseil d’administration du musée et de Benjamin Stora, président du conseil d’orientation du musée.

C’était la première fois depuis deux ans et demi que François Hollande a parlé d’immigration et les attentes étaient grandes. Un discours raisonnable et d’envergure sur l’immigration prononcé par un Président de la République française était attendu depuis au moins sept voire quinze ans. Qui puisse rappeler quelques fondamentaux sur les valeurs humanistes et républicaines de la France mais qui puisse aussi reconnaître qu’il existe des problèmes liés à l’immigration et notamment sur l’intégration dans la communauté nationale. On aurait pu ainsi imaginer un discours qui fasse date, référence, sur lequel aurait pu se cristalliser le débat public pour rehausser le niveau actuel.

Hélas, il n’en a rien été. François Hollande n’a fait de ce discours qu’une simple marque pour montrer qu’il était de gauche, pour diluer les critiques de droitisation que ses propres troupes lui font à longueur de journées sur sa politique économique et budgétaire. Pire, au lieu d’être le garant de l’unité nationale, celui qui apaise, celui qui calme, il a, au contraire, attisé les clivages, renforcé les oppositions en évoquant une fois encore le droit de vote des étrangers.

Ce marqueur "à gauche" ne cesse de faire des dégâts dans la classe politique. François Mitterrand l’avait bien compris puisqu’il l’avait utilisé en avril 1988, juste avant le premier tour de l’élection présidentielle, pour renforcer le vote Le Pen. Cette même ficelle a été par la suite réutilisée par le PS, notamment par Martine Aubry lors de ses vœux pour 2010, et enfin, depuis deux ans, François Hollande ne cesse de l’évoquer sans efficacité, puisque, comme il faut réviser la Constitution, il sait qu’il ne pourra jamais obtenir de majorité des trois cinquièmes sur ce sujet.

Pourquoi remettre dans le débat public inutilement un sujet qui remettrait en cause profondément l’idée de citoyenneté qui, à mon sens, doit être intrinsèquement liée à la nationalité ? Même le droit de vote donné aux ressortissants de l’Union Européenne procède de la même philosophie, celle de définir une sorte de citoyenneté européenne particulière.

Non seulement le droit de vote aux étrangers paraît à la fois destructeur de l’idée nationale mais aussi accélérateur de la montée du populisme par réaction, exactement comme l’adoption du mariage gay avait encouragé les (odieux) actes d’homophobie, mais en plus, les arguments donnés par ses thuriféraires ont de quoi choquer.

Comme par exemple le Parti radical de gauche (PRG) qui explique que ce serait normal que des étrangers résidant en France depuis longtemps …et qui paient des impôts puissent voter : sans s’en rendre compte, avec ce parti, on en revient à la Monarchie de Juillet et au suffrage censitaire, où seul le père de famille payant un minimum (important) d’impôt pouvait voter. Se rend-il compte de l’horreur philosophique de l’argumentation ? Cela reviendrait à dire qu’on tolérerait le droit de vote des pauvres, des non imposables, des "sans dents", même s’ils sont nationaux, puisque, étrangers, il ne le mériteraient pas.

Pourtant, comme pour le mariage gay, il n’y a pas de demande nationale. Moins que le mariage gay même. Qui revendique ce vote ? Le pire, c’est surtout qu’il n’y a aucune raison qu’il n’y ait pas de réciprocité avec des ressortissants français dans des pays hors d’Europe, mais même avec réciprocité, c’est remettre en cause profondément le principe de souveraineté nationale et de citoyenneté intimement liée.

Non seulement il n’y a pas de problème sur ce sujet, mais il y a même déjà la solution ! Le résident étranger, vivant depuis longtemps en France, qui voudrait participer aux élections sait très bien quoi faire : il suffit de demander la nationalité française et il n’y aurait aucune raison que la France le lui refuse.

J’ai connu une personne qui est venue jeune en France pour y travailler. Cette personne s’est mariée en France avec une personne française, elle a toujours vécu en France, y a eu des enfants, des petits-enfants et même des arrière-petits-enfants, tous français. Il est mort à 91 ans après avoir vécu au moins soixante-cinq voire soixante-dix ans en France, en payant beaucoup d’impôts, en étant irréprochable sur le plan civique, en ayant enrichi la France, en bénéficiant des protections sociales françaises. Comme un Français. Il n’avait jamais voulu prendre la nationalité française. Pour des raisons d’identité personnelle. Pourquoi aurait-il voulu voter ?

Car on a envie de participer au destin d’un groupe, d’un pays, seulement si l’on s’y sent partie prenante, seulement si sa propre identité s’y réfère. Pourquoi vouloir choisir le destin des autres si on ne se sent pas appartenir à la même entité, à la même destinée, comme un étranger ? Le meilleur moyen de contribuer au destin d’un groupe, c’est d’abord d’y entrer, d’y adhérer, en prenant la nationalité française.


Alors, oui, bien sûr, François Hollande a eu raison de rappeler quelques faits concernant l’immigration. Que la France comme tous les autres pays est une terre d’immigration, et qu’elle s’est enrichie au contact de la diversité humaine. Les Américains sont les premiers à l’avoir compris, pour eux, l’uniformité aboutit à la sclérose et la différence renforce une société à l’affût de toute innovation. Une France repliée sur elle-même n’est plus réaliste d’ailleurs, car aujourd’hui, dans la globalisation des échanges, de la circulation des biens et des personnes, la France ne peut plus grand chose seule. Il suffit de voir les habitudes de consommation et de s’intéresser à l’origine de la plupart des produits consommés. Tout n’est plus qu’interconnexion. L’essentiel, c’est de rendre le vivre ensemble supportable pour tout le monde, sans se réduire à des slogans simplificateurs.

Ainsi, François Hollande a rappelé : « L’instrumentalisation n’est en rien une nouveauté. (…) Dois-je parler de la période noire de la Collaboration ? (…) des années 1960 avec les ratonnades, des années 1970 avec des attentats racistes ? On pourrait se dire que c’est du passé. Mais il y a toujours une récurrence. (…) Les étrangers sont toujours accusés des mêmes maux, qu’ils viennent chercher le travail des Français. Ce sont toujours les mêmes préjugés, les mêmes suspicions (…) dans une période de crise. ».

Ce qui manque, c’est un homme d’État, si possible Président de la République, qui puisse redonner du souffle à la fierté d’être français. On n’a jamais aussi peur des autres que lorsqu’on manque de confiance en soi. Si l’on était confiant en ses propres capacités, en son avenir, en sa force, on ne craindrait jamais l’autre, on se sentirait de taille si jamais l’autre venait à avoir des pensées agressives ou expansionnistes. Le repli sur soi n’est que la traduction d’un véritable mal être d’être français. Parce que depuis une trentaine d’années (au moins), aucun dirigeant n’a vraiment su redonner à la France une vision et une grandeur. Parce que la France n’a cessé d’être plongée dans une crise économique qui accroît les inégalités et qui sécrètent des millions de personnes précaires. Et cette fierté nationale ne reviendra certainement pas dans la dilution du principe de citoyenneté proposée par le chef de l’État.

François Hollande a certes évoqué en quelques phrases ces sujets : « Il y a des doutes sur notre vivre ensemble. (…) Ces vents mauvais soufflent de plus en plus, pas seulement en France, partout en Europe. C’est pourquoi il faut reprendre le combat pour répondre, en montrant la force de l’intégration. (…) Avoir confiance en notre histoire (…) pour ne pas nous laisser nous emporter là où nous ne voulons pas. ». Mais en évoquant de manière très politicienne le droit de vote des étrangers, il s’est rendu inaudible, sans crédit, sans authenticité. Des phrases sont devenues presque des incantations abstraites : « La France doit avoir confiance en la France ! ». Il ne sert à rien de faire des incantations, il faut agir concrètement pour redonner la confiance, et cela ne peut porter que sur l’emploi et les impôts.


Cette post-inauguration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration aurait dû être, pour François Hollande, l’occasion de mettre au clair les Français avec l’immigration. En rappelant les principes humanistes, certes, mais aussi en prenant conscience que si le sujet est si polémique depuis des dizaines d’années, c’est bien parce qu’il y a des problèmes à résoudre (de vrais problèmes, pas des faux comme le vote des étrangers). Les problèmes d’intégration sont nombreux et des mesures concrètes, pour renforcer cette intégration auraient été pertinentes. Comme apprendre la langue française avant l’âge de 6 ans s’il y en a nécessité.

Au lieu de cela, François Hollande s’est réfugié dans le délicat cocon de la gauche caviarde, en n’apportant aucune réponse aux vraies questions qui taraudent le ciment national, qui brise la cohésion nationale, qui émiette le consensus national, qui met en péril le vivre ensemble. Il s’est réfugié dans une confortable approche politicienne, marquant son intérêt pour son aile gauche et agitant une nouvelle fois un chiffon rouge inutile. Comment un Président peut-il être autant pompier et pyromane à la fois ?

Avec des phrases creuses comme celle-ci : « L’immigration aujourd’hui exige de créer pour tous les étrangers légalement arrivés en France un véritable parcours d’intégration. » qui oublie par exemple le cas d’enfants nés en France de parents étrangers. Comme l'institution de la fête de la laïcité le 9 décembre qui ne mange pas de pain...

La journaliste Maryline Baumard a résumé le vrai problème de François Hollande : « Le gouvernement veut apparaître plus humain que la droite au pouvoir entre 2007 et 2012, mais il est terrorisé par l’idée qu’on puisse le qualifier de laxiste sur ce sujet qui hystérise le pays. » ("Le Monde" du 15 décembre 2014). C’est cette terreur qui tétanise l’Élysée sur ce thème.

Alors qu’il aurait dû rassembler les Français autour de quelques idées fortes sur la nation, François Hollande a préféré alimenter encore une fois les polémiques stériles et les divisions claniques. Il pourra toujours s’étonner ensuite qu’il ne soit pas entendu ; il a tout fait pour ce que soit ainsi.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 décembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Discours de François Hollande sur l’immigration le 15 décembre 2014.
Une chance pour la France.
Les valeurs de la République.
Le gaullisme, c’est d’abord des valeurs.
Droit de vote des étrangers.
À propos d’immigration…
Lampedusa.
Changement de paradigme.
Fichiers ethniques.
Le voile et la République.
La burqa et la République.
Stigmatisation ?
L’apparence musulmane.
La copéisation de l’opposition.
La ligne Buisson.
La lepénisation des esprits.
Sauciflard pinard.
Racolage aussi au PS.
Le FN et son idéologie.
La fournée Le Pen.
L’europhobie primaire.
Contrôles d’identité : elle est chouette, ma gueule !
Statistiques ethniques.
La circulaire Guéant du 31 mai 2011.
Tests ADN acceptés avec réticence.
Le principe de filiation en péril avec les tests ADN.

 

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/immigration-l-occasion-ratee-de-160843