2-Le matériel de l’écrivain déjanté

Publié le 01 novembre 2014 par Lucie Léanne @lucieleanne75

Le matériel que j’utilise pour écrire est assez classique; parfois il pourrait faire peur à certains.

Des outils stupéfiants

20 heures. Rue Marcadet, à quelques pas du quartier Barbès. Peu de monde. Mon contact arrive : Dédé La Perlouze,  un homme maigre, la trentaine, les cheveux bruns hirsutes, habillé d’un survêtement et de baskets Adidas.

rue marcadet ou rue des outils

-Tu as le matériel? demandai-je  ?
L’homme jette un œil discret aux alentours
-Oui, de la Colombienne, du Purple rain…
Il me tend un sac en plastique. Je vérifie rapidement la marchandise.
-Y’a pas les Pouic-pouic ? Où sont les Pouic-pouic ?
-Impossible d’en avoir, le quartier est très surveillé depuis l’arrestation au Fucking Blue Boy  (d’un geste nerveux, il passe la main dans ses cheveux).Les flics sont partout.
-D’accord.
Je lui remets l’argent, attends quelques secondes ;
-Le compte y est, dit-il.
Il passe une nouvelle fois la main dans ses cheveux, me regarde longuement en silence.
-Ce que je t’ai donné, c’est de la pure…
-Je sais. Allez, je dois partir ; salut !
Dédé La Perlouze me fixe, l’air impassible.
-Tu pars aussi, dis-je, rentre chez toi. Sa-lut !
L’homme a compris, s’éloigne d’un pas précipité. Dédé La Perlouze, le Q.I d’une courge.

Je contemple la marchandise sur la table de la cuisine, goutte la Colombienne (excellente !) puis renifle un peu de Purple rain.
Diantre ! Avec ça, je vais carburer toute la nuit. Le cerveau a ses limites ; je vais les défoncer.

Cher lecteur, votre œil frétille, vos sourcils se vexent ; je devine du mépris sur votre visage ou une certaine lassitude. L’écrivain qui se drogue : quel cliché pitoyable!
Primo, je ne suis pas n’importe quel écrivain mais un écrivain déjanté , secundo, la Colombienne et le Purple rain…ne sont pas des stupéfiants, et tertio, vous y avez cru ! Vous avez cru que je me droguais !!!

La Colombienne est le meilleur café que j’ai jamais bu, appelée  « Reina de Colombia » à l’arôme subtil, très fort, hélas introuvable en France. Pareil pour l’autre produit : le Purple rain est de l’argent colloïdal, antibiotique puissant, utilisé sous forme de pulvérisations nasales. Pour trouver ces potions magiques, ces outils, j’appelle souvent Dédé La Perlouze, dont le frère trafique un peu de tout et ce « peu de tout » me ravit.
L’écriture exige une santé solide, une performance constante, surtout la nuit.

Un matériel sacré

Quand j’étais jeune, belle et innocente, au temps des cerises (sans les noyaux), j’ai reçu pour mes dix ans : mon premier stylo plume, un Waterman transparent et rouge. J’étais très fière.

Depuis j’ai toujours écrit au stylo plume ; cet objet représente à mes yeux, le prolongement de mes pensées.

Quelques années plus tard, vers quinze ans, une amie m’a donné une ancienne machine à écrire  dont elle ne voulait plus. Comme j’en avais assez de recopier mes romans sur des cahiers, j’ai décidé de dompter la bête.
Impossible ; chaque fois que je tapais un mot, elle m’amputait d’un doigt.

Alors j’ai repris mes cahiers et mon Waterman jusqu’à la découverte….de l’ordinateur.
Découverte : le terme est juste. A vingt-quatre ans, je ne connaissais absolument rien à l’informatique, ni au logiciel Word, enfin à ce PC que je venais d’acheter qui trônait sur mon bureau avec son gros écran, obligeant mes neurones, contre leur tendance naturelle à fonctionner sur un mode logique.
Un soir alors que je tapais mon texte, soudain la phrase ne s’est plus affichée sur l’écran ; j’ai appuyé sur toutes les touches du clavier : rien. Fatiguée, énervée, j’ai téléphoné à un ami informaticien :
-Malik, il n’y a plus d’encre dans l’ordinateur ; qu’est-ce que je fais ?

Dédé La Perlouze avait peut-être le Q.I d’une courge mais ce soir-là, j’avais celui d’un noyau de cerise.

Aujourd’hui l’ordinateur m’est indispensable. Je tape mes écrits puis les sauvegarde sans difficulté. Cependant j’écris toujours au stylo plume, un Parker, sur des cahiers à une ligne.

Robert, mon Petit Robert, depuis combien de temps sommes-nous ensemble ? Vingt ans

« Bien sûr nous eûmes des orages,
Vingt ans d’amour c’est l’amour fol  »             

Le Petit Robert est mon dictionnaire préféré. Quand j’écris, je l’ai toujours près de moi, pour vérifier l’orthographe d’un mot, chercher des synonymes ou pour le bonheur de lire des pages au hasard.