Bancs d'Angoulême : «L'espace public est fait pour être approprié par tous»

Publié le 26 décembre 2014 par Blanchemanche
#Angouleme
SIBYLLE VINCENDON 26 DÉCEMBRE 2014

Alexandre Chemetoff, l'architecte-urbaniste qui a conçu la place d'Angoulême où des bancs ont été grillagés quelques heures, dénonce la réponse brutale du maire à un problème de société.

Architecte, Grand prix de l'Urbanisme en 2000, Alexandre Chemetoff est l'auteur de l'aménagement de la place du Champ de Mars à Angoulême, dont les fameux bancs font partie. Professionnel reconnu tant en France qu'à l'étranger, il donne ici son sentiment sur cette affaire.Que pensez-vous de la réaction du maire d’Angoulême ?J’ai la même réaction que tout le monde qui consiste à penser que c’est sandaleux et inapproprié. Mais quand on est dans la position qui est la mienne, d’avoir conçu un espace public partagé, on est doublement choqué car si l’on place des bancs, c’est pour qu’ils soient utilisés et que l’espace gagne ainsi son qualificatif de public.Pourquoi avez-vous mis ces bancs ?Sur le Champ de Mars, la question consistait à faire à la fois une galerie commerciale et une place. Nous y avons répondu en glissant le centre commercial sous la place afin de restituer un espace public à partir d’un lieu qui était avant un parking et un terminal de bus. Aujourd’hui, la place se trouve en balcon sur la Charente, dans une relation avec le grand paysage. Quand nous avons gagné le concours en 2003, le maire, Philippe Mottet, était UMP lui aussi. Nous avons défendu cette idée d’espace public, notamment pour accueillir le festival de la bande dessinée. L’autre question était d’inscrire véritablement le commerce au coeur de la ville. Les bancs sont tout le symbole de cettre place et de sa fonction.Mais ils n’ont pas été utilisés comme il le faudrait ?L’espace public est fait pour être approprié par tous. La réponse, c’est d’organiser et de permettre ce partage. Il serait paradoxal de rendre les bancs inconfortables pour que les gens ne s’y asseyent pas. Même les gens pauvres. Cette façon d’emprisonner les bancs pour les rendre inaccessibles est un détournement d’une oeuvre qui a été faite, je le rappelle, avec les élus de l’époque. De plus, les socles sont en béton car ils sont aussi destinés à protéger les verrières qui se trouvent derrière et qui sont assez fragiles. Il sont solides et ce n’est fort heureusement pas évident de les démonter. Ils résistent.N’existe-t-il pas quand même des aménagements urbains qui génèrent des usages dévoyés ?On accuse toujours les architectes des dysfonctionnements. C’est parfois vrai mais c’est surtout une manière pour les élus de se défausser car la réponse est profondément politique. Si on est maire, c’est pour administrer la cité, pour le bien de ceux qui y vivent comme de ceux qui y passent. Quand on a conçu un lieu comme celui-là, il est difficile d’imaginer que l’aménagement est responsable des dysfonctionnements de la société. La contre-utilisation de l’espace est une question pour le politique. Pour ma part, je fais en sorte que les bancs soient confortables et solides. Il est terrible qu’avec ses cages et ses galets, le maire fasse une réponse de mauvais architecte. Il me met sur la sellette en laissant penser que c’est le banc qui est à l’origine du problème mais les sans domicile fixe se mettent près des centres commerciaux parce que c’est là qu’il y a du passage et des gens. Cette histoire est vraiment une faillite politique. Quand nous avons gagné ce concours, la discussion portait sur la question de savoir si le lieu le plus sûr était l’espace privé de la galerie commerciale, surveillé par des vigiles, ou l’espace public de la place. Le fait que ce dernier ait été attaqué de cette façon par les autorités municipales dit en creux que le seul espace sûr serait l’espace privé. Et cela, c’est là un véritable aveu d’échec politique.Sibylle VINCENDON

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