J'ai gagné mes places de Timbuktu en surfant sur la page Facebook d'Africultures et répondant rapidement à des questions sur le cinéaste mauritanien. Hier, avec mon épouse, nous sommes allés voir ce film qui a loupé de peu la Palme d'or à Cannes. Quel magnifique film. Naturellement, je vais devoir développer ce propos afin de le justifier. Comme indiquer plus haut, Sissako fait partie de ces personnalités capables de produire un discours sur des sujets extrêmement sensibles sans tomber dans les lieux communs.
Dans Timbuktu, il nous fait toucher du doigt l'occupation par des djihadistes d'une ville aux abords du Sahara qui pourrait être Tombouktou. Le réalisateur a d'ailleurs expliqué que le film a été tourné à Oualata, en Mauritanie, pour des raisons de sécurité. Un homme masqué circule dans la ville avec un haut parleur en posant les nouvelles consignes religieuses du pouvoir en place. Pas de musique, des tenues vestimentaires conformes à leurs préceptes, pas de football, etc. Le ton est donné. Plusieurs personnages vont faire l'objet d'une focale : les leaders djihadistes, une famille touareg vivant dans une tente hors de la ville, un pécheur, des jeunes de la bourgade, l'imam de la cité saharienne, une folle haïtienne... Si l'occupation et la radicalité de son expression s'abattent sur le quotidien d'une population qui a dû mal à en comprendre les ressorts, Abderrahmane Sissako y évoque également des conflits séculiers comme le rapport entre les nomades et les sédentaires, la question de l'exil, le dialogue profond entre musulmans remarquablement mis en scène entre l'imam et les frondeurs djihadistes, la destruction des repères culturels.
Un autre aspect touche aux hommes en armes. Ici, l'absurde est le moyen par lequel Sissako critique cette prise d'otages. L'adhésion au projet collectif est loin d'une évidence. Le sous-bassement de la doctrine est comprise par un cercle restreint dont certains membres ne sont pas investis par les vertus et valeurs qu'ils veulent imposer aux populations qui leurs sont soumises. La vision de ce Tombouktou, au départ étonnante, finit par être littéralement terrifiante.
Le désertOn peut se montrer critique sur le scénario. L'enchaînement de certaines séquences, l'entremêlement des différentes tranches de vie n'est pas l'élément le plus intéressant de ce film. Certaines figures auraient gagné à être plus développées. Mais, ce que je retiendrais de ce film, c'est le désert et cette famille tamashek. Je n'oublierais pas ce petit berger qui n'arrive pas à tenir son troupeau. Scène à la fois cocasse et dramatique. Il y a beaucoup d'amour dans la manière avec laquelle Sissako filme ces deux points. Il nous offre un dépaysement total, introduit une sorte de prise de recul proposé au spectateur. Il y a des tranches de vie très différentes. Mais riches. Il nous laisse aussi sur le désespoir d'une vie lâchée dans le désert. Touchant. Magnifique. Un film qui m'a replongé dans ma récente lecture d'Ousmane Diarra. Un dernier petit mot pour signaler la présente de la chorégraphe haïtienne Kettly Noël. Figure de la place culturelle à Bamako, sa présence, sa force, sa folie traduit bien une volonté de rupture et de résistance.
Lire un interview d'Abderrahmane Sissako pour RFICrédit photo Festival de Cine Africano de Cordoba