Un "vrai" San Martín en Argentine [Disques & Livres]

Publié le 07 janvier 2015 par Jyj9icx6
A la mémoire des victimes de l'attentat d'aujourd'hui contre Charlie Hebdo à Paris, qu'il s'agisse des quatre journalistes-caricaturistes vedettes, d'employés anonymes du magazine ou de fonctionnaires de police
Jusqu'à il y a quelques heures, je pensais que ce serait avec une très grande joie que je parlerai à mes lecteurs de la sortie en Argentine d'un ouvrage authentiquement historique sur José de San Martín et son œuvre politique en Amérique, une œuvre politique consacrée entièrement à ce qu'il appelait l'évangile des droits de l'Homme. Bien entendu, les événements qui se produisent à Paris au moment même où je publie cet article ont transformé cette joie en gravité dans l'épreuve...
Ce grand combattant de la liberté est étudié ici à travers ses valeurs humanistes et éthiques par l'historienne Fabiana Mastrangelo, qui m'avait accompagnée dans mes présentations de San Martín par lui-même et par ses contemporains, à Buenos Aires (1), en septembre (voir mon article du 26 septembre 2014) et encore à Mendoza, où nous nous étions retrouvées toutes deux au Congrès international d'Histoire (voir mon article du 30 août 2014).
L'ouvrage est publié aux Editions Dunken, qui ont un faible évident pour ce daguerrotype fait à Paris en janvier ou février 1848, que pour ma part je ne veux pas du tout utiliser parce qu'il représente le général dans sa vieillesse (2), en un temps où il était encore de très mauvais goût de sourire quand on prenait la pause (3), or de son vivant l'homme était réputé pour son amabilité souriante et sa jeunesse éclatante au moment de l'épopée indépendantiste.
L'analyse dressée par Fabiana Mastrangelo a le mérite de renouveler l'idée, souvent fausse et la plupart du temps très floue, que l'on se fait en Argentine de ce personnage, dont les exploits lui ont valu le titre de Padre de la Patria. Ce livre est, c'est à souligner, une étude d'histoire au sens propre du terme, méthodologiquement conduite, en écartant toute prise de position idéologique, ce qui est encore très rare en Amérique du Sud, comme j'ai eu l'occasion de le répéter plusieurs fois dans mes articles (4). Fabiana appartient à cette nouvelle génération d'historiens qui parvient enfin à séparer la démarche historiographique de la démarche scientifique et Dieu sait si c'est dur pour eux, pour l'effort méthodique que cela existe et dont ils n'ont que peu d'exemple dans la communauté de chercheurs qui les entoure et parce que l'originalité de leur point de vue rend difficile la percée de leurs ouvrages sur le marché, déjà encombré de thèses plus polémiques, qui attirent donc davantage les journalistes, en bien ou en mal.
D'ailleurs, le livre est sorti le 18 décembre, il a le soutien institutionnel de la Province de Mendoza et du Congrès de la Nation et la maison d'édition elle-même n'en a pas encore parlé sur sa page Facebook.

4ème de couverture
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Si vous êtes en Argentine et que vous lisez l'espagnol, achetez-le ! Il est probable qu'il faille le commander au libraire et comme ce sont les vacances d'été et que tout tourne au ralenti, ne tardez pas trop à le faire si vous êtes de passage...
(1) En ce début d'année et pendant ma "pause estivale" (australe), je présenterai moi-même ce personnage que nous ne connaissons pas dans deux conférences, à Cherbourg, le 20 janvier  2015 (conférence tout public d'accès gratuit), puis à Versailles, le 18 février (devant les membres du Lions Club). Ces conférences sont annoncées au fur et à mesure qu'elles sont fixées sur l'agenda de mon site Internet. (2) C'est un phénomène général en Argentine : les éditeurs, celui-ci en particulier, et les infographistes aiment les représentations de San Martín qui le représentent sévère et, souvent, âgé, comme si son œuvre datait de cette époque-là. Quelle étrange coutume ! Les images arrivent parfois à être franchement affreuses (comme c'était le cas sur l'affiche du congrès de Mendoza), ce qui accrédite dans la population l'idée totalement fausse qu'il n'était pas à prendre avec des pincettes. Pourtant les documents historiques nous racontent tout le contraire. (3) Pour une raison toute bête : la farine, même la plus raffinée, contenait beaucoup de sable. Et ce sable gâtait les dents, notamment les incisives, du fait de la grande quantité de pain que l'on consommait dans toutes les couches de la société. Et pourtant on sait par le témoignage de Juan Bautista Alberdi en septembre 1843 que San Martín avait conservé une denture impeccable, entière et très belle, que son sourire, que nous ne connaissons pas, découvrait largement. (4) Bien entendu, aucun historien au monde ne parvient à la parfaite neutralité qui est une vue de l'esprit dans toutes les sciences. Nous sommes toujours un tant soit peu conditionnés par le temps et le lieu où nous vivons. Mais en Argentine, beaucoup d'historiens ne se posent même pas, en tout cas pour eux-mêmes (pour les contradicteurs, si !) la question de ce déterminisme intellectuel et foncent dans des querelles qui ne sont pas celles de l'époque qu'ils étudient. Tant et si bien qu'on peut compter sur les doigts les historiens qui suivent une démarche scientifique cohérente et systématique.