Les Ganuchaud, une famille au service du patrimoine architectural – I : le Père

Par Artetvia

Artetvia a le plaisir de vous faire découvrir un pan de l’art jusqu’ici peu abordé, du moins directement : l’architecture. Je vous propose un double entretien : avec Marc Ganuchaud, architecte du patrimoine puis avec son fils Joachim, également architecte du patrimoine, eux-mêmes fils et petit-fils d’un grand architecte de la région nantaise, Georges Ganuchaud.

Bonjour Marc, question rituelle, comment devient-on architecte, et qui plus est, architecte du patrimoine ?

C’est une longue histoire car elle remonte à mon enfance. Je vois deux origines au choix de ce métier.

La première, l’exemple familial. Mon père était architecte, l’un de ses cousins était premier grand prix de Rome en architecture. Je baigne donc dans ce milieu depuis ma naissance. J’ai notamment deux souvenirs bien précis qui ont orienté mon choix : le jeudi, la grande récompense était d’accompagner mon père sur les chantiers. J’étais très fier de lui, de voir qu’il pouvait imaginer et construire de beaux bâtiments. Ensuite, si le travail de réalisation et de démarchage commercial s’effectuait la semaine, mon père créait le week-end. Je le vois encore le dimanche après-midi à sa table à dessin, mes frères et moi en train de dessiner à ses côtés tout en écoutant des opérettes. Evidemment, cela m’a donné le goût du métier.

Par ailleurs, j’aimais dessiner et, sans fausse modestie, je me débrouillais bien : en primaire, j’ai gagné le concours de dessin et au collège, je dessinais pendant les cours (surtout les cours d’allemand : du coup, je ne sais pas parler allemand), notamment les épisodes des personnages du manuel, ce qui occasionnait l’indulgence du professeur. Dès ces années, j’ai su que je voulais être architecte.

Les études d’architecte sont longues, n’est-ce-pas ?

Six ans ! Après un bac littéraire – j’étais nul en maths – je suis entré à l’école d’architecture de Nantes : à cette époque, le bac suffisait. Le concours n’avait lieu qu’après la première année. J’ai achevé mes second et troisième cycles à Paris. A l’époque, je ne m’intéressais pas trop au patrimoine. Le premier « accroc » est venu pendant la réalisation de mon mémoire de fin d’étude : ayant été choqué par la manière dont la côte vendéenne avait été massacrée (à Saint Jean de Monts par exemple), j’avais proposé la construction d’un VVF, démontable après l’été. Une utopie de jeune architecte…

J’ai travaillé ensuite chez André Chatelin (prix de Rome en 1943), une personne remarquable. Et l’un de mes premiers chantiers fut la construction de l’hôpital du Val de Grâce : on construisait du moderne à côté de superbes bâtiments classiques. Comment marier les deux architectures ? A ce moment a germé l’idée d’intégration d’un bâtiment dans son environnement.

On ne le faisait pas avant ?

Ce n’était pas la priorité. On ne nous l’apprenait pas à l’école. De toute manière, on ne faisait de l’histoire de l’art qu’en première année. Encore maintenant, les grands architectes peuvent concevoir de très beaux ouvrages, mais absolument pas conçus pour leur environnement. On a fait des progrès dans ce domaine bien entendu, mais ce n’est pas systématique. La deuxième secousse a été un projet de bâtiment de l’INPI à Bordeaux. Là aussi, il fallait construire du neuf dans un quartier ancien. N’y tenant plus, j’ai voulu approfondir ce domaine, j’ai décidé alors de passer un diplôme d’urbaniste, tout en continuant à travailler en cabinet d’architecture.

J’ai ensuite travaillé au CAUE du Loiret. En bref, le CAUE est un service départemental venant en aide aux petites communes pour les aider à améliorer l’urbanisme et l’architecture de leur commune. C’était passionnant : j’ai été confronté à la réalité du patrimoine.

Et après, vous êtes devenu architecte de la ville de Saumur.

C’est exact ! En 1984, le nouveau maire cherchait un architecte qui soit sensibilisé au patrimoine. Il faut dire que la ville compte 55 monuments historiques. Vous le savez, il y a 500 mètres de protection autour d’un monument historique… ce qui fait que 80% du territoire de la commune est protégé.

Et que fait un architecte pour une ville ?

Il est principalement en charge du suivi de la conception des nouveaux projets et des permis de construire. Il travaille avec l’Architecte des Bâtiments de France, qui est le « bras armé » du Préfet dans ce domaine. Mon rôle consiste à défendre l’intérêt de la mairie, l’ABF celui de l’Etat. Ce n’était pas toujours évident, surtout quand il est question d’esthétique. Qu’avait-il de plus que moi ? Nous étions tous les deux architectes. Ah, si, il avait fait Chaillot ! Pas moi.

Chaillot ?

L’école s’appelait auparavant « Centre d’études supérieures d’histoire et de conservation des monuments anciens ». Après un concours, il y a deux ans d’études à temps partiel – la plupart des « élèves » étant des architectes continuent à travailler. C’est une formation très exigeante et passionnante. A la sortie, on est architecte du patrimoine (Marc ne le dit pas mais il a eu la meilleure note sur plusieurs exercices importants – Note d’Artetvia). Ca y est, je me suis mis à parler le même langage que l’ABF et tout s’est mieux passé. Certains lauréats peuvent ensuite passer le concours d’architecte des Monuments Historiques. J’avais passé la limite d’âge. Avant 2008, l’Etat leur confiait en exclusivité les grandes opérations sur les Monuments Historiques. Une belle rente… Depuis, un architecte du patrimoine peut aussi concourir pour des opérations sur des monuments historiques, hors domaines appartenant à l’Etat, toujours réservés aux architectes en chef des monuments historiques.

Un architecte d’une ville travaille aussi avec eux lorsque ils interviennent… sur les monuments historiques de la ville, c’est-à-dire souvent pour Saumur. Malgré des caractères « variés », ils sont toujours très compétents. Et j’avoue qu’en ce moment, cela se passe très bien. J’ai donc participé à la restauration du château de Saumur, de plusieurs églises, etc…

Certains craignent une « muséification » des villes historiques…

C’est l’un des dangers en effet. A mon sens, le bâti n’a d’intérêt que s’il vit. S’il ne vit pas, c’est une source de charges, et c’est tout. Deuxième point, les monuments anciens ont perdu leur fonction première : par exemple, le château de Saumur, avec ses remparts et ses tours, n’a aucun rôle militaire à l’heure actuelle. Il faut trouver une autre fonction qui soit cohérente avec les contraintes d’architecture. Et il faut adapter a minima le monument à ces nouvelles fonctions. Un exemple tout bête, personne n’imagine des bureaux sans sanitaires.

Mon rôle est justement de trouver la meilleure adéquation entre un usage nouveau, l’histoire du bâtiment et son environnement. C’est un travail très enrichissant et très stimulant intellectuellement. Après plus de 35 ans de métier, je ne regrette absolument pas d’avoir choisi cette voie exigeante et passionnante !

Merci Marc !

Rendez-vous avec Joachim Ganuchaud dans le prochain entretien d’Artetvia !

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