Restez calmes et « chevauchez le tigre »

Publié le 08 janvier 2015 par Roman Bernard
Mes remerciements à Simon, qui a traduit mon article publié sur Radix, « Keep Calm and Ride the Tiger ».
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Mercredi matin, en partant au travail, il y avait un colis qui m'attendait chez la concierge.
Il ne faisait pas tic-tac, et ce n'était pas non plus une surprise. Je l'attendais depuis des semaines. Il s'agissait de Soumission, le dernier roman de Michel Houellebecq, qui paraissait le jour-même.
L'intrigue se déroule dans la France de 2022. Après la courte défaite de Marine Le Pen à l'élection présidentielle de 2017, une vaste coalition, incluant tous les partis « républicains » et dirigée par un Français musulman, Mohammed Ben Abbes, plante le dernier clou dans le cercueil du Front national. L'islamisation du pays peut désormais se dérouler sans obstacle. (Pour une fois, je ne donnerai pas mon habituelle– et encore jamais infirmée – interprétation selon laquelle le FN de « Marine » n'est en aucun cas un frein à cette islamisation).
Le synopsis du livre était suffisant pour déclencher pendant des semaines les concerts d'indignation sur le côté possiblement « offensant »et « raciste » de l'ouvrage, sans même en avoir eu une copie entre les mains. Dans notre Âge du Tweet, la controverse littéraire, une de nos vieilles traditions, ne nécessite même plus qu'on fasse l'effort de lire le livre que l'on critique. Il suffit de commenter le sujet, ou, dans ce cas précis, le titre. Comme nous le savons, le mot arabe pour soumission est... Islam.
J'y réfléchissais en me rendant au travail, et j'étais déjà en train de penser à la recension que je publierais sur Radix.
Plus tard dans la matinée, une de mes collègues m'interpelle : « Tu as vu ce qui s'est passé à Charlie Hebdo ? Il y a eu une fusillade. Au moins dix morts. » Le siège du journal n'étant situé qu'à deux kilomètres de mon bureau, ma première réaction a été la surprise. Je n'avais entendu aucune sirène, ni de police ni d'ambulance. Le quartier était calme, du moins autant que peut l'être un quartier parisien.
Une fois que j'ai réalisé ce qui venait d'arriver, une de mes premières pensées fut que l'attaque coïncidait avec la sortie du roman de Houellebecq. Un autre de ses livres, Plateforme, paru seulement quelques jours avant le 11 septembre, se concluait sur un attentat islamique dans une station de tourisme sexuel thaïlandaise.
L'auteur prophétisait que les terroristes islamiques tiendraient leur dernier carré contre la post-modernité occidentale avant que le monde musulman, comme l'Asie du Sud Est, ne soit complètement absorbé et neutralisé au sein de « notre meilleur des mondes ». Quatre ans plus tard, dans La possibilité d'une Île, Houellebecq développait son propos et prédisait que l'islamisme ne serait, tout comme les Beatniks ou le mouvement hippie, qu'une passade rapidement avalée et digérée par la « Modernité ».
Je reste convaincu qu'il a raison à ce sujet, bien que des soubresauts puissent apparaître d'ici-là. C'est ce qui est arrivé mercredi à Charlie Hebdo.Avant d'écrire tout le mal que je pense de ce journal, rappelons quelques évidences :
  • Oui, ce qui est arrivé aujourd'hui est une atrocité ; un Occidental décent ne peut qu'exprimer sa solidarité aux douze victimes et à leurs familles ;
  • Oui, Charlie Hebdo a le droit de critiquer l'islam, quand bien même cela heurterait la sensibilité des terroristes ;
  • Oui, lesdits terroristes devraient être traqués, abattus et transformés en compost afin d'être, malgré tout et finalement, utiles.
Mais ai-je dit quoique ce soit d'intéressant jusque là ? Dois-je me sentir « courageux » pour la seule raison que l'attentat a eu lieu à quelques centaines de mètres de là où j'habite ? Est ce que j'ai besoin d'une cellule psychologique pour m'aider à « surmonter le choc » ?
Face à une telle tragédie, la réaction normale devrait être celle de Walter White. Dans une scène de Breaking bad, série diffusée aux États-Unis sur la chaîne AMC, le professeur de chimie/parrain de la drogue tente sans succès de ramener tout le monde à la raison après la collision de deux avions dans le ciel d'Albuquerque.
Une mauvaise analyse de cette séquence serait que White, étant un sociopathe, manque d'empathie envers les victimes et leurs proches. Pour moi, il faut y voir l'exact opposé. Les vrais sociopathes sont les étudiants et enseignants en manque d'attention qui cherchent à obtenir pour eux la même compassion que les victimes de l'accident.
Je ne suis jamais à l'aise avec les inévitables scènes de deuil public quand de telles tragédies se produisent. La pudeur devrait nous forcer à faire preuve de retenue et de réserve face à la véritable souffrance des proches des victimes.
A là place, nous avons droit à une débauche de sentimentalisme qui, non seulement, obscurcit l'esprit, mais est également irrespectueuse des personnes assassinées. Les larmes de crocodile déversées sur les réseaux sociaux ne sont pas destinées à la mémoire des journalistes et policiers décédés. Les gens qui publient les statuts « Je suis Charlie » veulent être vus en train de pleurer. Suis-je le seul à trouver cela indécent ?
Symétriques à ces épanchements féminins et égocentriques sont les postures faussement viriles et les analyses politiques de bistrot. Sur certains sites identitaires et nationalistes, j'ai vu des internautes, confortablement cachés derrière leurs pseudonymes, fantasmer sur la « guerre civile » alors que les corps étaient toujours chauds.
Piochant des citations dans leur exemplaire de Carl Schmitt pour les nuls, ils appelaient à mettre de côté toutes les différences idéologiques, bien que fondamentales, pour barrer la route à « l'Ennemi commun ». Comme si les analyses de Schmitt s'appliquaient encore dans un monde atomisé, désintégré, où il n'y a pas deux camps mais, au minimum, trois.
Même si chacun se doit d'exprimer de la solidarité envers les victimes, cela ne signifie en aucun cas que nous devions chercher une « alliance » avec le camp de Charlie Hebdo
Pour une caricature critiquant l'Islam, ce sont des douzaines insultant les chrétiens, les Occidentaux, les gens de droite et les hommes qui ont été publiées dans les colonnes du journal. Il est parfaitement possible de défendre le droit de Charlie Hebdode publier de tels dessins sans rêver d'une « union sacrée» contre le terrorisme islamique. En fait, on pourrait même avancer que ce dernier n'est que l'image en négatif de la post-modernité.
Le djihad progresse sur les ruines de la société moderne, et celle-ci a besoin d'ennemis menaçants (Al-Qaida et l'État islamique étant bien plus crédible que la très surestimée « extrême-droite ») pour tenir tout le monde en respect. Nous n'avons à nous engager pour aucun de ces deux camps.
A la place, nous devrions plutôt ranger dans un coin nos manuels Julius Evola pour les nulset commencer à appliquer à nous-mêmes les slogans que nous aimons tant réciter. Nous sommes Au Milieu des ruineset nous voulons Chevaucher le Tigre, n'est ce pas ? Alors regardons l'Occident tel qu'il est : un monceau de ruines au milieu duquel nous devons survivre et dont nous devons surmonter les dangers pour nous créer un futur. Il y aura beaucoup de groupes qui lutteront dans ces ruines. Le temps de la préservation et des grandes alliances est terminé.