2015, triste fanfare

Publié le 09 janvier 2015 par Hartzine
A peine le temps de vider une boîte mails regorgeant de vœux plus ou moins honnêtes que 2015 se pare d’une coloration bien plus saumâtre que n’a été pénible à déglutir la fin d’année écoulée. Inutile de palabrer sur les événements tragiques qui ont eu lieu avant-hier, peu ou prou à l’heure où le point final de cet édito a été signé, chacun est assez ébranlé pour se retrouver, seul, dans la nuit du doute et de l’incertitude. Même s’il est malaisé de se sortir la disparition de Frédéric Boisseau, Franck Brinsolaro, Cabu, Elsa Cayat, Charb, Honoré, Bernard Maris, Ahmed Merabet, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, Tignous et Georges Wolinski de la tête, la pudeur nous résout au silence et la raison au discernement. Et, malheur relatif s’il en est, la litanie de mauvaises nouvelles est plus que légion en ce début d’année. Car si le vivier de micro-labels fleurissant aux quatre coins de l’hexagone et prospérant à l’ombre d’une crise du disque chaque jour plus difficile à appréhender dans sa globalité – lesdites petites structures ne sortant plus des disques pour gagner de l’argent mais pour a minima couvrir les frais de production et rétribuer autant que faire se peut les artistes par le biais de concerts en support des sorties – permettait de passer outre le fait qu’en France plus qu’ailleurs, il y a une prime commerciale à la médiocrité – oui, le top 10 des ventes compte en 2014 une ribambelle de tocards devant l’éternel -, la fin de la récré semble désormais avoir sonné par le biais de deux modifications, indépendantes l’une de l’autre, mais qui, applicables toutes deux au 1er janvier de cette année, va considérablement freiner une émulation pour le moins nécessaire à notre hygiène culturelle. S’agissant des fichiers digitaux d’abord, toutes les ventes seront désormais assujetties à la TVA, que cela soit via un site dédié ou une plateforme de téléchargement. Histoire de complexifier la chose, l’imposition se fait au taux de TVA en vigueur dans l’État membre où l’acheteur est domicilié. Même si un guichet unique pour ce type de vente a été créé sur le site du Ministère des Finances – chaque trimestre le label doit déposer une déclaration de TVA et l’acquitter via le mini guichet -, et même si les Bandcamp ou BigCartel détermineront automatiquement si l’acheteur se situe dans un pays de l’UE, calculant de facto le montant de la TVA en l’ajoutant au prix final, inutile de préciser l’effet d’une telle mesure obligeant les labels soit à répercuter à la hausse cette taxe sur les prix des fichiers, soit à s’asseoir dessus malgré une marge déjà bien faible. S’agissant des disques physiques ensuite, c’est la Poste française qui emboîte le pas à celle américaine l’année dernière avec la suppression pure et simple du paquet prioritaire international pour ne laisser comme alternative que le Colissimo. Soit une hausse grosso merdo de 185% des frais d’envoi, quand on sait que nos amis artisans du disque vendent – et c’est regrettable – la plupart de leur production hors des frontières de l’Hexagone. Pris en tenaille par ces deux mesures contestées et contestables – une pétition relative à la seconde est à signer d’urgence par ici -, nul doute que certains vont se décourager, jetant l’éponge, las de couvrir sur leurs propres deniers les fruits déjà dispendieux de leur engagement. Et qui s’en plaindra ? Sûrement pas ceux n’ayant nullement cillé à l’annonce du hiatus d’une année en 2015 du Festival MoFo, plus petit des grands festival qu’on se plaisait à couvrir chaque début d’année. Non. Le climat est délétère et, au risque de passer pour de vulgaires poujadistes des cultures souterraines, il devient évident que des mondes parallèles se superposent pour ne plus se rejoindre. A l’un la promesse d’une indifférence dédaigneuse et d’une invitation à la résignation silencieuse, à l’autre tous les égards. En prenant la culture tel un prisme, il s’avère que face au grand bond en arrière intellectuel auquel on assiste – plus que désemparé -, à la primeur avant tout donnée à l’hédonisme et au divertissement. Si celui-ci est vital, il n’est en rien une obligation de tout instant. Or, l’air du temps fait que les grosses machines économiques des professionnels du spectacle s’enquièrent avec brio de cette hystérie collective seyant parfaitement à la réduction des musiciens au statut d’auto-entrepreneurs ayant plus une renommée bankable qu’un univers musical forçant à la curiosité : le quidam accepte de se faire saigner pour dodeliner de la tête trois jours durant dans des halls sans âme tout en rechignant à lâcher quelques euros pour le moindre disque – et qu’importe l’omniprésence médiatique de certains – souvent support de cet amusement. D’ailleurs, comme on pouvait s’y attendre, la nuit est loin de mourir, elle se recompose, tandis que la dimension culturelle, elle, s’effiloche sur l’autel du fric : la musique n’est plus qu’une composante parmi d’autres pour atteindre un chiffre. Le désenchantement gerbe d’un calendrier sans cesse alourdi, sans cesse implacable : Pitchfork Festival, Primavera, Festival des Inrocks, et j’en passe, toutes ces coquilles vides ne se remplissent qu’en fonction d’une thermométrie de tendances et non d’une véritable direction artistique. Les groupes sont interchangeables, devenus de simples variables d’ajustement, et ce, sur des sentiers ultra-balisés. 2015, donc. Plus que jamais on louera l’irrévérence, l’indépendance et le courage de la différence. Comme un symbole, la Villette Sonique fêtera cette année ses dix ans, jonglant encore et toujours entre exigence des choix et succès populaire. A notre niveau, on tentera de donner un sens, une importance, à ce qui nous aide à nous lever chaque matin. En ce sens, et dès janvier, on vous parlera longuement des vingt piges de Prohibited Records.