La sélection de la semaine : Bjorn le morphir, Le livre de Piik, Lastman 6, I comb Jesus et autres reportages africains, Jabberwocky, Les heures noires, Léon l’extraterrestre et Camomille et les chevaux

Par Casedepart @_NicolasAlbert

Depuis quelques années maintenant, Case Départ vous propose une plongée éclectique dans l'univers de la Bande Dessinée, à travers des albums grand public, populaires, parfois plus exigeants, des séries jeunesse, des albums d'illustrations, des livres sur des auteurs ou des recueils de dessins de presse.
Chaque semaine, nous sommes heureux de vous partager nos coups de cœurs, nos découvertes et nos désillusions parfois ; pourtant depuis mercredi, le cœur n'y est plus. Comment parler de la richesse de ces univers sans avoir une tendre pensée pour nos amis de Charlie Hebdo.
Avant de vous présenter les albums de la semaine, comme cela était prévu, nous vous proposons quelques citations extraites de Dessinateurs de presse, le recueil d'entretiens de Numa Sadoul, publié par Glénat le 12 février 2014 et dont nous vous avions parlé. Un modeste hommage à ceux tombés pour la liberté : Charb, Cabu, Wolinski, Honoré et Tignous. Cette sélection Case Départ leur est dédiée.
Case Départ continuera avec encore plus de convictions de vous présenter des albums pour la pluralité du 9e art, pour notre culture, pour le bien de tous.

Cabu

Numa Sadoul : On te sent à l'aise dans la caricature.
Cabu : J'aime bien ça. Un homme politique qui arrive, je vais le regarder à la télé pour apprendre à le représenter. Oui, j'aime bien la caricature, mais si tu veux, ça ne suffit pas de faire une caricature. Il faut quand même mettre en scène, ça fait partie des outils du dessinateur.

Numa Sadoul : ça se travaille ? Ça se prépare ? Tu fais des gammes sur les personnages ? Tu fais comme un imitateur qui travaille sa voix ?
Cabu : Oui, tu fais plein d'esquisses. Il faut que tu trouves sa " grimace " naturelle.

Numa Sadoul : Es-tu vraiment comme Duduche, aussi idyllique ? Parce que tu peux être d'une méchanceté...
Cabu : C'est aussi ce que dit Plantu. On me demande toujours : " Pourquoi dans la vie, vous avez l'air normal, alors que dans vos dessins, vous êtes méchants ? ". C'est justement parce qu'on se défoule ! Avec un dessin, tu peux faire des dessins à la Peynet, moi j'ai commencé comme ça. Si tu voyais mes premiers dessins, c'était des dessins tendres...

Numa Sadoul : Et c'est quoi le critère pour faire un bon dessin de presse ? A part la révolte et l'enthousiasme ?
Cabu : Cavanna dit : " Un bon dessin, c'est un coup de poing dans la gueule ! ". Mais il doit faire rire malgré tout. Même si tu prends un sujet dramatique, même si tu traites de Tchernobyl.

Numa Sadoul : [...] Peut-être que ça va changer, depuis l'affaire des caricatures. On va peut-être assister à un retour en arrière ?
Cabu : Sur certains thèmes, c'est possible. Sur les religions notamment. Mais c'est pour ça qu'il faut continuer à faire la critique de toutes les religions. Il faut que les musulmans s'habituent à la caricature.

Charb

Charb : [...] Mais l'autre problème avec les journalistes et la communication en général, je m'en suis rendu compte avec l'affaire des caricatures de Mahommet et toute l'actualité autour de ça, c'est que les gens sortent de l'école en sachant lire et écrire, et même, pour la plupart d'entre eux, analyser un texte. En revanche, l'école ne leur apprend pas à lire et à décrypter un dessin.

Numa Sadoul : Devient-on dessinateur de presse par provocation ou est-ce une spécialisation qui vient après un tronc commun humour/graphisme/BD ?
Charb : Dire, faire, dessiner et écrire des conneries m'a toujours réjoui. Ma passion pour le dessin a fait que j'ai plutôt eu envie de les dessiner, ces conneries. D'abord sous forme de bande dessinée (ce n'était pas convaincant) puis de dessin de presse.

Charb : [...] Mais je n'aime pas que les religieux m'imposent quelque chose, viennent voir comment je vis et me dictent l'organisation de ma vie. Mais je n'aime pas non plus que d'autres, au nom de la laïcité, aillent faire chier les croyants dans leur vie religieuse et intime.

Wolinski

Wolinski : Ensuite on a créé Charlie Mensuel, j'en suis rapidement devenu rédacteur en chef, et puis il y a eu Hara-Kiri Hebdo, qui est devenu Charlie Hebdo après l'interdiction en 1972. En fait, toute ma vie je l'ai passée avec Cavanna. Ça fait presque 50 ans que je travaille avec lui, sauf pendant les dix années d'interruption de Charlie, à partir de 1981. Après l'arrêt du journal, on avait décidé de se revoir un peu de temps en temps avec la vieille équipe. Il y avait Cavanna, Delfeil de Ton... Et puis un jour de 1992, Cabu est arrivé avec Val et il a dit : " On arrête de travailler pour La grosse Bertha car on ne s'entend plus avec le directeur, et on cherche un titre pour un nouveau journal. " Et j'ai proposé de reprendre Charlie Hebdo.

Numa Sadoul : Il y a peu, Cavanna me disait qu'au lieu de travailler dans un journal destiné à des gens qui pensent la même chose que nous, ce serait intéressant d'aller le faire dans un journal lu par ceux qui ne partagent pas nos idées, voire nos adversaires. C'est un peu ce que tu fais, non ?
Wolinski : C'est ce que je fais. Je suis devenu un professionnel. Pour moi, un professionnel est un mec qui garde ses convictions et son éthique, tout en travaillant pour des gens qui ne pensent pas comme lui. Mon dessin peut être lu à deux degré : il y a ceux qui pensent comme moi et ceux qui ne pensent pas comme moi mais que ça fait rire. Moi, je suis de gauche. Ça ne m'empêche pas de me foutre de la gueule des socialistes, s'ils le méritent. Mais je reste fidèle à mes principes et à mes convictions, dans des journaux qui sont des journaux nationaux.

Wolinski : Il faut continuer à être irrespectueux et à défendre la tolérance. Dès que tu es libre, tu suscites des réactions, des intolérances. Dès que tu es intolérant, tu suscites des réactions de liberté. Tout ça est lié : c'est l'homme.

La sélection de la semaine

Bjorn le morphir

Bjorn le morphir est une adaptation dessinée du roman éponyme de Thomas Lavachery. Initialement publiée par Casterman et L'école des loisirs, la trilogie connaît une seconde jeunesse grâce à une réédition Rue de Sèvres. Dans cette fable fantastique, mise en image par Thomas Gilbert, Bjorn, petit garçon craintif et peu débrouillard, se révélera être un morphir (héros nordique) en sauvant sa famille.

Résumé de l'éditeur : La neige est méchante en cet hiver 1065, elle a décidé de s'en prendre aux hommes. Elle envoie ses légions de flocons géants sur le Fizzland, avec pour mission d'engloutir les villages vikings et tous leurs habitants. Afin d'échapper à la Démone blanche, Bjorn et sa famille se claquemurent dans la salle commune de leur maison en rondins. Tous se préparent à supporter un siège qui risque de durer de longs mois. Lors de cette épreuve exceptionnelle, chacun va dévoiler son cœur et son courage. A l'exception de Bjorn. Lui ne se révèle pas, il se métamorphose. Ce jeune garçon timide et craintif, maigre comme un oisillon et pas très doué pour les armes, va brusquement se transformer en un combattant exceptionnel. Par quel miracle ? Bjorn serait-il un " morphir " ? Lui même en doute.


Comment trouver sa place lorsque l'on est petit, craintif dans une famille de valeureux hommes ? C'est le propos de la belle saga fantastique jeunesse d'aventure Bjorn le morphir. Dans la famille, il y a le père qui rédige ses mémoires faites de combats, la mère aimante et Gunnar le fils ainé habile manieur d'épée. Ajouté à cela, Hari le vieux pêcheur, Maga sombrant dans la folie, Drüun le chevalier et surtout Sigrid dont le jeune ado amoureux. Difficile d'exister. Alors qu'il est considéré comme " un faible ", il va se révéler au grand jour comme un vrai morphir.


Le récit de Thomas Lavachery réunit tous les ingrédients pour faire de cette série, un succès : quête personnelle, accomplissement de soi, combats, magie, lieux mythiques et mystérieux, peuples souterrains, dieux et sorts maléfiques. Le romancier, qui adapte lui-même ses cinq écrits, calque l'épopée de Bjorn sur des légendes nordiques. Parfois cela peut sembler un peu confus, pourtant les belles valeurs véhiculées et l'intrigue rondement menée sont formidables.
Quant à la partie graphique, elle est confiée à Thomas Gilbert. Son trait d'une belle lisibilité est dans la veine de Joan Sfar, Clément Oubrerie ou les Kerascoët. Rue de Sèvres a eu le nez creux en rééditant cette belle saga tant elle nous fait voyager et nous accroche.

Le livre de Piik

Piik est un petit garçon dont le père exerce le doux métier de bourreau. Son seul but : échapper à sa future charge. La hache, ce n'est pas pour lui. Ce qu'il aime le plus : les plantes médicinales comme feue sa maman. Le secret de Sallertaine est le premier volet de la belle saga jeunesse Bamboo, Le livre de Piik, signé Christophe Cazenove et Cécile.

Résumé de l'éditeur : Dans le Moyen Âge de la guerre de Cent Ans, avoir dix ans et vouloir apprendre à lire est une vraie bataille ! Piik est certain d'une chose, il ne sera pas bourreau comme son père ! Sa passion à lui, ce sont les plantes médicinales, intérêt que sa mère a tout juste eu le temps de lui transmettre avant d'être brûlée au bûcher des sorcières. Elle lui a aussi laissé une lettre, à lui qui ne sait pas lire ! Piik va devoir grandir plus vite que ses copains, quitter son père et mettre un terme à la longue lignée de bourreaux s'il veut apprendre à lire et découvrir ce que sa mère avait de si important à lui dire pour entourer cette lettre d'autant de secrets...

Habitué de scénarios légers dans les séries Basket Dunk, les Insectes ou les Animaux marins, Christophe Cazenove innove avec une série à histoire longue. Et il faut dire que le premier tome du Livre de Piik est très réussi. Teinté d'un très bel humour, le récit moyen-âgeux du scénariste use des ingrédients que les jeunes lecteurs apprécient : de l'aventure, de l'action, une quête personnelle, de vrais méchants et des héros attachants. Accompagné par son fidèle renard domestique, Piik est un garçon ingénieux et valeureux. Toujours prompt à retenir son père dans sa tâche meurtrière, il use et abuse du pouvoir des plantes (tournenrond) mais aussi des pièges dans lesquels son papa tombe. Epaulé par Mahaut, jeune fille débrouillarde et son ami goinfre un peu bête, Piik se lance dans une quête personnelle originale : apprendre à lire afin de déchiffrer le message que lui a laissé sa maman. Rongé par un lourd secret, son père exerce son métier naturellement comme ont pu le faire ses ancêtres.

En plus de cela, il y a des rebelles qui tentent de récupérer le pouvoir ; le fils de Godric le chef de la rébellion capturé par les hommes (très idiots) de l'infâme seigneur de Baring et le lecteur se laisse rapidement happer par l'histoire. De plus des thématiques transversales sont bien amenées : l'amitié, l'entraide, les liens familiaux, la perte d'un être cher ainsi que l'accomplissement personnel. L'apprenti-lecteur, Piik, ressemble aussi un peu à Robin des Bois.

Dessinatrice de la fabuleuse série jeunesse Lulu et Fred, Cécile livre de nouveau une très belle partition pour cette nouvelle saga d'aventure. C'est la jeune auteure qui a proposé à Cazenove l'idée du garçon, fils de bourreau au Moyen-Age. Et elle a bien fait, tant l'univers graphique qu'elle met en scène est très abouti. Les visages des personnages sont très expressifs. Son trait humoristique rend parfaitement l'ambiance du récit.

Un excellent début pour ce Livre de Piik. Une excellente saga jeunesse à suivre avec grand intérêt !

Lastman 6

Avec le tome 6 de Lastman, Balak, Sanlaville et Vivès referment la première saison de ce fabuleux manga à la française. Marianne et Adrian ont été enlevés et Richard, banni par ses pairs pour cause de trahison, part à leur recherche, accompagné de Cristo, Verkaik et H.

Cet album est nominé dans la Sélection Officielle d'Angoulême 2015.

Retrouvez la fin de la chronique sur Comixtrip, cliquez ici.

I comb Jesus

Deux ans que Jean-Philippe Stassen n'avait pas publié d'album. Le talentueux auteur belge revient avec I comb Jesus et autres reportages africains, un recueil d'histoires réalisées par XXI et La revue dessinée, édité par Futuropolis.
Résumé de l'éditeur : De juillet 2007 à septembre 2013, Jean-Philippe Stassen a réalisé 5 reportages pour XXI et La revue dessinée au Rwanda, au Congo, en Espagne, au Maroc, en Belgique où il est né, en France ainsi qu'en Afrique du Sud. Ce travail " africain " de plusieurs années sur les migrations des victimes de la guerre et de la misère est édité ici sous le titre I comb Jesus (" Je peigne Jésus "). Dans tous ses reportages, Stassen écoute et dialogue avec d'anciens enfants-soldats, des rescapés du génocide rwandais, des congolais installés à Bruxelles, des migrants à Gibraltar ou Johannesburg, mais aussi avec le peintre sud-africain Anton Kannemeyer. Récits incisifs, clairs, intelligents, passionnants, d'une grande beauté graphique, ces reportages dessinés donnent toute la mesure de l'immense talent de Stassen. A sa façon documentaire, I comb Jesus prolonge Déogratias paru il y a 15 ans en mêlant mots et images d'acteurs, de témoins, de victimes des récentes guerres africaines.

Présenté par Dupuis, son ancien éditeur ( Louis le portugais, en 1998 ou Thérèse, en 1999) comme " un raconteur d'histoires, mais aussi un rapporteur de l'Histoire, celle qu'on ne choisit pas mais qui s'impose par ses drames ". C'est de nouveau valable pour I comb Jesus et autres reportages africains, un très bel album, à la fois sombre et très humaniste. L'auteur belge livre sa vision d'un travail de plusieurs années sur les migrations des victimes de la guerre et de la misère.

A travers ces cinq récits à la fois clairs et passionnants, il raconte de très beaux témoignages d'acteurs et de victimes de ces récentes guerres sur le continent africain : Dans Les passages, il décrit les drames humains que vivent les migrants partant des enclaves de Ceuta et de Mellila vers le vieux continent. Comment Solange, chrétienne du Nord Nigéria séparée de son mari, essaiera de le rejoindre. Dans I comb Jesus (je peigne Jésus), il dialogue avec des Congolais installés à Bruxelles. Dans Matonge sur Seine, il décrit le conflit de transition en République Démocratique du Congo, à travers les immigrés de ce pays installés dans un quartier de Bruxelles. Dans A propos des revenants, il dresse le portraits de tutsis rwandais dont les vies seront à jamais bouleversées par le génocide dans leur pays et qui aura des conséquences sur le Zaïre, pays limitrophe. Enfin dans A l'école de l'art, il décrit sa rencontre avec Anton Kannemeyer, un peintre sud-africain.

Récompensé de nombreuses fois pour Le bar du vieux français (Dupuis, 1992) mais aussi pour Déogratias (Dupuis, Prix Goscinny en 2000), Jean-Philippe Stassen parle au lecteur de ce ce qu'il maîtrise le mieux : l'Afrique, ce continent qu'il a appris à connaître et à aimer, à travers ces vies brisées, parfois reconstruites au prix d'efforts immenses. Ces reportages dessinés sont d'une grande sensibilité et touchantes. L'auteur des Enfants (Dupuis, 2004) régale le lecteur de ses magnifiques planches.

Jabberwocky

Glénat publie sa nouvelle saga historico-fantastique Jabberwocky. Ce manga de Masato Hisa met en scène une espionne anglaise aux drôles de mœurs partie éliminer une terroriste russe sur son propre sol.
Résumé de l'éditeur : Dans un univers calqué sur l'Angleterre Victorienne, les dinosaures existent toujours et ont évolué jusqu'à devenir intelligents. Cachés de l'humanité pour survivre, par la peur de leur quasi-extinction, certains ont quand même choisit de rejoindre l'humanité et ont embrassé diverses causes scientifiques, comme l'astronomie, la chimie et la biologie... D'autres, sont obsédés par leur "droit d'aînesse" sur la Terre et tirent les ficelles de la politique dans l'ombre, quand ils ne tentent pas tout simplement de reprendre la domination du monde aux humains. Les deux protagonistes de l'histoire sont Lily et Sabata Van Cleef. La première est une espionne, alcoolique, reniée par sa famille. Le second, pistolero d'exception, est un dinosaure, plus précisément un oviraptor. Après avoir recruté Lily lors d'une mission en Russie, ils travaillent pour Chateau d'If, une organisation secrète spécialisée dans les faits étranges et les exactions de clans sauriens, exactions impliquant en général la révélation de l'existence des dinosaures ou des bouleversements de la religion et de la science.

Jabberwocky détonne dans l'univers manga. Le récit rythmé de Masato Hisa est explosif. Mélangeant habillement l'Histoire, l'espionnage et le fantastique, il accroche le lecteur dès les 20 premières pages. Il faut dire que les situations et les scènes d'action s'enchaînent à vive allure. La toile de fond (l'Europe et la Russie du 19e siècle) permet d'installer une ambiance propice aux histoires d'espionnage (comme chez Conan Doyle). L'empereur russe souhaitant à tout prix protéger l'ambiance l'Orbe, sphère surmontée d'une croix orthodoxe et symbole du pouvoir religieux du tsar. Mais seulement cet " œuf " est aussi convoité par une drôle d'organisation conduite par Maître Dorokhov. Cet homme descendant de dinosaures, qui ont évolué et doués d'intelligence. Ces sauriens mués par la peur de leur disparition, ont infiltré toutes les classes et professions de la société afin de régner sur le monde.
Mais cette société secrète va voir ses plans remis en cause par Lily, espionne anglaise très portée sur l'alcool et aux méthodes musclées. Accompagnée par Sabata Van Cleef, dinosaure et tireur hors-pair, elle est missionnée par le Château d'If pour mettre en lumière les tentatives secrètes des dinosaures.
Le trait fait de grands aplats noirs du mangaka est d'une grande originalité. Influencé par les auteurs américains ( Sin City de Moore et Campbell), il livre des planches d'une grande maîtrise graphique (belles bandes verticales et horizontales).

Les heures noires

Fabien Tillon s'associe au dessinateur Gaël Remise pour raconter une drôle de fable singulière africaine dans l'album Les heures noires. Publiée par la Boîte à Bulles, l'histoire conte l'aventure de quatre voyageurs dans le Kariwaï, entre épidémie et affrontements religieux.

Résumé de l'éditeur : Au Kariwaï, pays souffrant d'une terrible sécheresse et d'épidémies chroniques, l'expédition humanitaire de la D.A.U. parcourt les pistes pour mener à bien sa campagne de vaccination. Dirigée par François Desmords, français d'origine africaine, l'équipe comprend le jeune Alexis de Saint-Propos, venu des Antilles, et le chauffeur kariwaïnais, Abdullah Mag'bé. Ils sont bientôt rejoints par July Bujold, journaliste américaine à la recherche d'un scoop.

Et des scoops, il y en aura ! Coincés au milieu de l'affrontement opposant le Président du Kariwaï, politicien corrompu et narcissique résidant à Frenchtown, et Eugène Tumazi, chef mystique d'une rébellion chrétienne radicale, les quatre voyageurs vont bientôt tomber de trahisons en chausse-trappes, sans pouvoir freiner une spirale de violence qui les aspire toujours plus vite.


En proposant cette fable à mi-chemin entre la réalité et la fantaisie, Fabien Tillon livre un très bel album de 172 pages. En effet, sous couvert d'une fiction très bien maîtrisée, il dénonce des travers de nos sociétés contemporaines et pas uniquement africaine. Les problématiques actuelles sont mises en avant dans cette histoire. Les quatre humanitaires de la DAU (mélanges de plusieurs ONG) font face à de nombreuses difficultés pour mener à bien leur mission : matérielles (peu de vaccins), des laboratoires surpuissants ou des conditions sanitaires déplorables. Entre leurs rêves d'aider leurs prochains et leurs désillusions, ils sont servis. Parfois désabusés, ils tentent tant bien que mal de poursuivre leur campagne de vaccination. Le parallèle avec Ebola ou les autres épidémies est flagrant. En plus de cela, pour noircir son propos, il ajoute la sécheresse et la famine qui menacent.


De plus, le scénariste situe son action au Kariwaï, état africain fictif sous la coupe d'un dictateur. Entre ce président à vie, corrompu, narcissique et qui tient son pays d'une main de fer et Eugène Tumazi, chef des rebelles chrétiens radicaux, leur lutte est croustillante. Le dictateur poursuivant son rival jusqu'aux confins de son territoire. Et au milieu, les humanitaires pris en tenaille entre les combats et leur mission. Les traits d'humour sont caractérisés en la personne du président ; il faut dire que les colères du dictateur sont drôles à souhait. Quant au fanatisme religieux dépeint (ici par des chrétiens), il est criant de vérité.
Gaël Remise, qui avait déjà travaillé avec Fabien Tillon (Les mèches courtes, Vertige Graphique, Prix Tournesol en 2011), reprend ses crayons et ses aquarelles pour cet album. Il livre des planches à large case (entre 2 et 5 par page) afin de restituer au mieux ces ambiances africaines.

Léon l'extraterrestre

Les éditions Sarbacane proposent Léon l'extraterrestre, un album jeunesse amusant de Chris Stygryt et Pau Valls. Au détour d'un chemin, Pierre et Milly découvrent un drôle de personnage tombé sur Terre, un alien doux et gentil.
Résumé de l'éditeur : Petit citadin un brin timoré, Pierre passe ses vacances d'été chez ses grands-parents, au cœur d'une immense forêt. Milly, la jeune voisine débrouillarde et taquine, l'entraîne dans ses activités favorites par les sentiers secrets. Randonnée, pêche, course à vélo, c'est un univers sans limites qui s'offre à eux... Une nuit, un corps céleste éblouissant traverse le ciel et s'écrase dans la montagne. Intrigués, Pierre et Milly se rendent sur les lieux et découvrent... un étrange personnage sans visage : c'est un extraterrestre, aussi silencieux qu'exubérant ! Ils le baptisent Léon. Bientôt, la police et l'armée bou- clent le secteur. Pour Pierre et Milly, pas de doute, elles recherchent Léon !

Scénariste français habitant en Espagne, Chris Stygryt propose une histoire drôle et rafraîchissante. Son récit jeunesse, à la trame assez simple et très (trop?) classique, repose avant tout sur des personnages attachants. Comment ne pas tomber sous le charme de cet extraterrestre, baptisé Léon par les deux enfants ? Grand, sans tête et muet, il découvre avec beaucoup de candeur, les joies de la campagne. Pierre, citadin pas très débrouillard, passe ses vacances chez ses grands-parents. Peu sûr de lui et assez peureux, il se laisse guider par son amie Milly, casse-cou. En plus de cela, les services de l'état (militaires, un peu pieds nickelés) à la poursuite du visiteur de l'espace et le lecteur passera un agréable moment de lecture. D'ailleurs la longue partie de cache-cache entre l'alien et les enfants d'un côté et les adultes de l'autre, est assez amusante.

Si le scénario n'est pas d'une grande originalité et n'exploitant pas tous aspects de Léon, le point fort de l'album réside dans la partie graphique. Le trait élégant et simple de Pau Valls est d'une grande lisibilité. Son dessin composé de simples traits lui permet de livrer des planches très équilibrées.

Camomille et les chevaux

L'univers des centres équestres est de nouveau à l'honneur dans le cinquième tome de Camomille et les chevaux, Une superbe balade. Publié par Hugo BD, la petite série jeunesse, signée Lili Mésange et Stefano Turconi, met en scène les aventures humoristiques de la jeune fille et de son cheval Océan.
Résumé de l'éditeur : Camomille et Océan, c'est une grande histoire d'amour. Avec lui, c'est bien connu, elle ne galope pas, elle vole !... Oui, mais voilà, une vilaine chute, ça arrive même aux meilleures cavalières ! Et si le cheval, c'est comme le vélo, quand on tombe, il faut immédiatement se remettre en selle, avec un plâtre, c'est moins pratique !...
Qu'à cela ne tienne ! Trois semaines, ce n'est pas si long, et franchement, il en faudrait plus pour dissuader Camomille de fréquenter le centre équestre...

Dans les planches, le lecteur découvre que c'esttToujours aussi délicat pour faire prendre sa douche à Océan. Que Camomille aime se balader avec son cheval dans le silence tout relatif de la forêt mais ce qu'elle aime le plus au monde c'est de défier Jean-François, son amoureux secret. A force de rire en le voyant se prendre des branches, elle s'en casse la jambe : plus de cheval, c'est l'ennui assuré ! Pendant sa convalescence, elle prendra même en charge Galette, dont le destin chez le boucher semble scellé.

Anaïs, la sœur de l'héroïne, prend en charge les premiers pas d'Amine au centre équestre : choix du cheval, cours de lasso, visite du musée... Ajouté à cela, Rémi, le palefrenier, qui ne compte pas son temps et on obtient une petite série sympathique et amusante pour les jeunes lecteurs.

Si le précédent opus ne nous avait pas complètement séduit par ses gags, avec le tome 5, Lili Mésange a enfin trouvé son rythme de croisière. Les mini-récits sont plus abordables et font plus souvent mouche. Du côté graphisme, Stefano Turconi livre de nouveau un travail sérieux et de qualité comme pour le quatrième volume : simple, tout en rondeur mais d'une belle efficacité.