7 janvier 2015

Publié le 11 janvier 2015 par Haiyken @JALFDM


Je pense qu'il n'est pas facile de savoir comment réagir après les terribles évènements qui ont frappé la France le 7 janvier. Pour beaucoup, l'indignation a été immédiate, à grand coup de Twitter et de Facebook, tous reprenant en cœur un slogan qui a désormais été tiraillé dans tous les sens, chacun essayant de s'approprier une idée, que ce soit en le dénigrant ou en le détournant. On peut désormais voir le Charlie remplacé par tout et n'importe quoi, faisant de ce cri de guerre un hashtag de plus en plus controversé. Certains clament qu'ils ne sont pas Charlie, alors que d'autres scandent qu'ils sont tout autre chose. Preuve que même au moment où un pays se retrouve sous l'emprise de la terreur on ne peut s'empêcher de se battre pour son individualité, son soucis de rester un "moi" tout en marchant avec la masse.
Lorsque j'ai appris ce qu'il se passait, j'étais en cours à l'université de journalisme de Marseille. Un téléphone a vibré sur le rang de devant, puis le mien posé sur mon bureau. Avant même que je puisse afficher l'alerte info, la voix crispée de ma camarade s'élevait dans la classe. "Il y a eu un attentat à Charlie Hebdo. Ils parlent de 10 morts". Tout le monde s'est figé. Nous n'avons pas forcément réalisé sur le moment ce qu'il venait de se passer. Pour ma part, j'étais bloqué sur l'onde du factuel. 10 morts, c'est énorme. Un attentat ? Une bombe ? Mon cerveau se mettait en marche pendant que les alertes continuaient d'envahir l'écran de mon téléphone. Rapidement, le cours s'est terminé, et à ce moment là, je n'avais pas encore réalisé l'ampleur de ce qu'il venait de se passer. Ce n'est que lorsque je suis arrivé chez moi et que j'ai allumé les informations que le monde s'est rapidement mit à tourner.
Je me souviens encore du 11 septembre 2001. J'avais 12 ans et lorsque les tours se sont effondrées, j'étais en classe d'anglais. A ce moment là, nous ne savions pas ce qu'il venait de se passer et c'est, une fois de plus, lorsque je suis rentré chez moi à midi que j'ai pris conscience que le monde avait changé. Avec beaucoup d'honnêteté j'aime dire que j'ai toujours vécu avec le terrorisme. J'ai très peu de souvenirs de mon enfance, la plupart provoqués par des photos, et j'ai parfois l'impression que ce 11 septembre 2001 a été une sorte de déclencheur. Aussi loin que je m'en souvienne, le monde a été plongé dans la terreur, la menace imminente et pourtant qui n'arrive jamais d'autres attaques, plus violentes encore, plus meurtrières encore. Après, on m'a toujours fait remarqué que j'étais quelqu'un de mature. Je posais des questions et je proposais des réflexions. Cela pouvait prendre les adultes au dépourvu. Pourtant, j'étais dans un monde incompréhensible, un monde où l'on envoie des avions dans des tours.
Si je définit ce 11 septembre comme un déclencheur, je ne peux que penser que ce 7 janvier aura le même effet sur moi. L'attentat de New York était cependant assez loin pour que je ne me sente pas personnellement concerné. A mes yeux, c'était le monde qui avait changé. Aujourd'hui, c'est la France qui a changé. C'est le métier que je veux faire qui a changé. C'est ma vie à moi qui a changée.
Que je sois honnête avec vous d'entrée de jeu : je n'ai jamais lu Charlie Hebdo, et si je l'ai feuilleté un jour, c'est sans vraiment m'en rendre compte ou réaliser en quoi consistait ce journal satirique. Je connaissais un peu, mais sans plus, les différents dessinateurs qui créaient la polémique avec leurs caricatures acides frappant sans distinction. Certains (les moins intelligents) diront donc de moi que ma colère n'est pas légitime. Que je n'ai pas de raison d'être triste de la mort de Cabu, ou de Charb, ou des autres. 
Lorsque je suis rentré chez moi, le 7 janvier, j'ai écouté les informations au fur et à mesure qu'ils annonçaient les noms des morts. Puis, un par un, les visages de ces hommes sont apparus. L'information que j'avais reçu le matin sur mon téléphone n'était plus factuelle. Désormais, ce n'étaient plus de simples morts, c'étaient des hommes et des femmes qui venaient de se faire assassiner. J'étais alors pris d'un malaise profond, d'un terrible sentiment d'injustice et d'une tristesse à laquelle je ne m'attendais pas.
Il n'a fallut que quelques minutes pour qu'arrive sur Twitter un slogan qui m'a profondément touché. Je suis Charlie. Trois mots d'une simplicité frappante. Je n'ai pas réfléchi longtemps avant de décider d'aborder à mon tour cette phrase qui a ensuite fait le tour de la planète. J'ignore si j'ai compris ce slogan de la même façon que le reste de la planète. Tout me prouve que non et cela ne me dérange pas. A mes yeux il répond avec provocation au terroriste qui criait sa joie en sortant du carnage qu'il venait de réaliser. "On a tué Charlie!" "Non, Charlie n'est pas mort. Je suis Charlie moi aussi". Un réveil. Une prise de conscience.
On voit déjà les polémiques pointer le bout de leur nez, à grand coup de hashtag dans un brasier "anti-tout" régulièrement alimenté de politiquement correct hypocrite. Il est désormais impossible, dans notre civilisation connectée, que la moindre parole n'offense pas. Au quatre coins du monde on s'insurge alors contre une phrase, une phrase simple mais qui ne nous représente pas nous, qui ne correspond pas à notre vision du monde. On se bat pour la liberté d'expression en agitant son gros doigt et réprimander l'expression des autres qui ne nous convient pas, après tout. On s'unit sous une même bannière qu'on détourne, déforme, pour servir son discours, tant pis pour la grande cause.
Le 7 janvier 2015 a été un jour tragique, et les suivants ont été tout aussi bouleversants. Je ne sais pas encore comment réagir à ces évènements, et écrire ce billet n'est qu'un premier pas. J'ignore ce que je deviendrais après tout ça, ce qu'il changera en moi, sur le métier que je veux faire, celui de journaliste, mais aussi sur ma vision de mon pays, ma vision du monde.
Tout ce que je sais, pour le moment, c'est que le monde est devenu tout à coup plus sombre.
J.