Vive le Batman libre!

Publié le 13 janvier 2015 par _nicolas @BranchezVous
Exclusif

Que la propriété intellectuelle soit protégée par le droit d’auteur, c’est bien – tant que cette protection bénéficie aux auteurs. Mais le système actuel va beaucoup plus loin. Trop loin. Et la situation ne fait qu’empirer.

Cet univers parallèle, c’est celui où le Congrès américain n’a pas décidé, en 1998, d’ajouter rétroactivement 20 ans à la durée du copyright sur les films, les livres, et la musique.

Il existe un univers parallèle dans lequel Batman appartient au domaine public depuis le 1er janvier dernier. Dans cet univers parallèle, votre alter ego a maintenant le droit d’écrire et de publier ses propres aventures du Chevalier Noir : en bande dessinée, au cinéma, en podcast, n’importe où. Personne ne peut l’en empêcher ni n’exiger qu’il ou elle lui verse une rançon exorbitante, à condition que son œuvre ne touche pas aux éléments de scénario et aux personnages qui ont fait leur apparition dans le monde de Batman il y a moins de 75 ans.

Cet univers parallèle, c’est celui où le Congrès américain n’a pas décidé, en 1998, d’ajouter rétroactivement 20 ans à la durée du copyright sur les films, les livres, et la musique. Pour rien, simplement parce que des lobbyistes des diverses industries impliquées le lui ont demandé. Ce qui a fait passer la durée de la protection sur les œuvres de 75 à 95 ans.

Long longtemps

C’est long, 95 ans. À moins d’être à la fois extraordinairement précoce et extraordinairement «pas tuable», un auteur ne risque pas beaucoup d’être encore en vie au moment où le copyright sur son œuvre viendra à échéance. Mais, techniquement, ça pourrait arriver.

Ce qui n’est pas le cas pour certaines catégories d’œuvres privilégiées qui sont protégées pendant toute la vie de l’auteur, plus 50 ans au Canada, et encore plus longtemps aux États-Unis et en Europe. Par exemple, la chanson Happy Birthday to You est encore sous copyright jusqu’en 2030 chez les voisins d’en bas, même si les deux sœurs qui ont composé la toune (et qui n’ont pas eu besoin de se forcer bien longtemps, vous en conviendrez) ont rendu l’âme en 1916 et en 1946.

«[Les ayants droit] viennent te chercher [toi qui viole le droit d'auteur]!» (Séquence tirée du film Night of the Living Dead).

Et ça, c’est quand personne ne réussit à trouver un tour de passe-passe pour garder une propriété intellectuelle sous clé encore plus longtemps. Pour un Night of the Living Dead qui entre dans le domaine public à l’avance parce que quelqu’un, quelque part, a oublié d’enregistrer le copyright avant de distribuer les bandes originales, combien de Mickey Mouse deviennent des marques de commerce protégées indéfiniment par les lointains descendants corporatifs d’un créateur depuis longtemps mort en surgelé?

À quand le copyright éternel pour des «créateurs» corporatifs immortels?

Même Houdini n’aurait pas pu échapper à 12 000 verrous

La manière dont notre société traite le droit d’auteur est une catastrophe sur toute la ligne.

Parmi les œuvres qui auraient dû se joindre au domaine public ces dernières années, on retrouve Le Magicien d’Oz, Les Raisins de la Colère de John Steinbeck, et Autant en emporte le vent.

Nous avons déjà abondamment parlé des problèmes du système de brevet; un article de Wired disait récemment que des entreprises font bien attention de ne jamais se mettre dans une position où quelqu’un pourrait les accuser d’avoir connu l’existence d’une technologie brevetée, de peur de devoir payer des fortunes – ce qui fait que la plupart des inventions brevetées ne servent jamais à personne.

Pour les médicaments, la durée normale d’un brevet est de 20 ans, mais l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne pourrait ajouter deux années supplémentaires – et ainsi contribuer à l’explosion des coûts du système de santé en retardant l’arrivée de médicaments génériques sur le marché.

Pour revenir au cas qui nous intéresse : parmi les œuvres qui auraient dû se joindre au domaine public au cours des dernières années, selon l’article de Vox qui a inspiré cette réflexion et profondément perturbé mes célébrations du nouvel an, il y a non seulement le personnage du Chevalier Noir, mais aussi Le Magicien d’Oz, Les Raisins de la Colère de John Steinbeck, et Autant en emporte le vent. Or, grâce à la loi de 1998 et à ses équivalents un peu partout dans le monde, presque rien n’est devenu public au cours des 15 dernières années.

Image tirée du film The Dark Knight Rises (Photo : Warner Bros).

Et vous pouvez parier votre dernière chemise qu’une armée de lobbyistes tentera de faire allonger le copyright encore un coup d’ici 2018.

Une protection pour qui?

Le droit d’auteur a été inventé pour protéger les auteurs, pas les arrières-petits-enfants de leurs imprimeurs. Les créateurs de Batman sont morts depuis longtemps. Vive le Batman libre!

Voici ce que je ferais avec les droits d’auteur si j’étais le roi du monde :

  1. Les créateurs d’une œuvre ont le droit d’en profiter pendant toute leur vie.
  2. Si le créateur meurt moins de 40 ans après la publication de son œuvre, ses héritiers directs (conjoints et enfants) pourront bénéficier des royautés pour le solde de cette période. Personne d’autre.
  3. Tout ce qui n’est pas couvert par les clauses nos 1 et 2 tombe immédiatement dans le domaine public.
  4. Les mashups comme ceux que l’on retrouve dans RIP : A Remix Manifesto ne causent de préjudice à personne puisqu’on ne peut confondre une œuvre pour l’autre; ils sont donc permis sans aucune restriction.
  5. Les corporations n’ont pas le droit de détenir de la propriété intellectuelle, seulement les individus.

Le droit d’auteur a été inventé pour protéger les auteurs, pas les arrières-petits-enfants de leurs imprimeurs. Le système actuel est une perversion qui nuit à la créativité et qu’il faut abattre au plus vite.

Les créateurs de Batman sont morts depuis longtemps. Vive le Batman libre!