Oiseaux-Tempête l’interview

Publié le 15 janvier 2015 par Hartzine
Photos © Stéphane C. Si la musique d’Oiseaux-Tempête est aussi évocatrice pour l’imagination – sur scène où le trio est plus qu’à l’aise, ou lors d’écoutes immersives et répétées à satiété – la clé de l’énigme est en partie à rechercher dans la composition originelle du groupe et la présence parmi les multi-instrumentistes que sont Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul – que l’on retrouve entres autres au sein de FareWell Poetry et Le Réveil des Tropiques (lire) – et du batteur Ben McConnell, du photographe et vidéaste Stéphane C. Mais un tel constat réduirait considérablement le prisme quant à l’appréhension d’une écriture ne se nourrissant du rock, de ses structures et de field recordings additionnels que pour inviter au voyage, au dépaysement, à la rupture concrète entre l’expérience visuelle et sensorielle d’une part et ses répercussions physiques d’autre part. En d’autres termes, Oiseaux-Tempête résonne comme un abandon de soi sur l’autel d’un post-rock qui s’ignore, revigoré et transfiguré, se jouant autant des silences inquiets que des bruits assourdissants. De la sorte, leur premier album éponyme, paru en novembre 2013 sur Sub Rosa et aujourd’hui épuisé, s’est retrouvé à la lisière de la canonisation par la relecture des morceaux qui en ont été faite sur l’album Reworks sorti en avril 2014 avec Scanner, Saåad, Dag Rosenqvist et Harris Underwater de Do Make Say Think en têtes de liste. Alors que leur second album prévu pour 2015 est en cours de fignolage, nous leur avons posé quelques questions embrassant aussi bien la genèse que le futur de ce projet à la voilure grandissante. Entretien avec Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul Photos © Michael Ackerman En préambule, pouvez-vous revenir sur l’histoire autour d’Oiseaux-Tempête, d’où le projet est parti et comment il a évolué ? Frédéric D. Oberland : C’est parti de voyages en Grèce que j’ai entrepris avec Stéphane C., photographe et vidéaste, en 2011 et 2012. L’objet était encore totalement non-identifié quant à sa/ses formes possible et on imaginait que ce pourrait être autant un album de musique qu’un film-essai, des installations, des performances, etc. Entre deux voyages j’ai convié Stéphane Pigneul à se joindre à l’aventure, Ben est arrivé à la batterie dans les semaines qui ont suivi, on a commencé à répéter en formule trio, fait très vite un concert à l’arrache et sans nom. La magie était dans l’air et on a décidé de frapper à la porte du studio de notre pote Benoît Bel, Mikrokosm à Lyon, pour capter tout ça live, dans l’urgence. C’est sur ce cristal-ci que les contours du groupe se sont dessinés, et que Oiseaux-Tempête est né. On a construit le disque en incluant volontairement à nos sessions musicales des field recordings que nous avions enregistré en Grèce pendant nos voyages, et en expérimentant parfois avec des rushes hi8 ou des photos que Stéphane C nous projetait en studio. L’idée d’esquisser une bande sonore en prise avec notre quotidien, hallucinée mais ancrée dans le réel et ses enjeux, avec un grand lâcher-prise, une réelle empathie et de grandes espérances. Stéphane Pigneul : Fred m’avait parlé de ce projet quelques mois avant, le décrivant plus comme une sorte de manifeste politico-poétique, ce qui m’avait réellement interpellé. A ce stade, il s’agissait plus de penser à une bande-son d’un éventuel film qu’il ferait avec Stéphane C. Tout cela est resté assez vague jusqu’à notre première répétition avec Ben, le batteur. Mais ce jour-là, les cartes ont été redistribuées d’une manière totalement inattendue. Il s’est passé quelque chose en studio. La banale jam s’est muée en improvisation quasi magique. Les fondations de notre musique ont été jetées en moins de trois heures. Hallucinant. Nous tenions quelque chose. Le groupe est né ce jour-là. Ça a eu, disons, pas mal de conséquences sur le projet. Le nom du groupe fait-il référence à la perception que le public doit avoir de votre musique, à la fois création sonore et œuvre visuelle ? F : Disons que Oiseaux-Tempête est notre nom-totem, notre nom d’indiens. Un vrai oiseau pélagique que l’on ne voit que lorsque la tempête arrive et menace les navires voguant en haute mer. Sur le registre poétique, Marie Richeux nous a récemment trouvé d’autres définitions d’oiseaux qu’on aime bien : “Ce peut être le vol de l’oiseau avant la tempête. Ou l’oiseau qui est une tempête. Ce peut être une nouvelle chose dont le nom s’invente, et prend le costume de deux mots que l’on croyait connaître, et qu’en fait on découvre. Comme on atteste de l’existence d’un nouvel être.” S : Oui merciiii Mariiiiie ! Votre musique est très cinématographique – la participation de Stéphane C. n’est d’ailleurs pas étrangère à cela. Pensez-vous, au moment de les composer, à une possible traduction vidéo de vos morceaux ? F : Pas vraiment. C’est beaucoup plus simple et naturel que ça. Le fait de travailler autour de longues plages musicales, d’être à chacun à l’écoute d’un tempo commun, de jouer avec les vagues, les bruits, les silences, implique déjà nécessairement dans la musique elle-même une dimension d’étirement du temps, propice à la rêverie et aux images mentales. La puissance d’évocation du son, l’envie de créer une bulle. Plus spécifiquement, évidemment que les photos et les rushes hi8 que nous a projetés Stéphane C. en studio nous ont inspirés pour la création de notre premier album. On a fait sens et tête communes. De même pour l’utilisation des field recordings, ambiances, interviews qu’on avait capté là-bas ; il s’agit d’instantanés, de polaroïds sonores déjà chargé d’images: des bruits de ville, d’éléments, de manifestations, de processions, des sons du quotidien, des confessions personnelles ou publiques… qu’on a incorporés à nos improvisations musicales. On avait envie d’un album clairement cinématographique où l’auditeur voyage de territoires en territoires bien plus que de morceaux en morceaux. Et d’une forme de narration, subtile, avec un début, un milieu, une fin, fondée sur l’émotion générale, la fragilité, le sens. S : L’idée originelle étant de composer une bande-son, et on pourrait croire que tout a été pensé dans ce but. Mais en fait pas du tout. On vient tous du rock, on partage  pas mal de groupes ensemble, notamment FareWell Poetry dont la majeure partie du répertoire est  composé de bandes originales pour les films de Jayne Amara Ross. Donc, je pense plus que notre façon de percevoir la musique en tant que couleurs, trames, images, ou du moins d’en créer, est plutôt inscrite dans notre ADN musical. Ce n’est pas du tout pensé. C’est instinctif. D’un point de vue stylistique, ce serait faire injure à votre travail que de le réduire à la case vide post-rock. Entre improvisation rock et field recording, comment caractérisez-vous avec vos mots votre travail ?  F : Evidemment que ce que l’on aime est au-delà des étiquettes, des niches, et des genres griffonnés sur des bacs vinyles, CD, ou discogs. Jamais facile de décrire son travail mais pour ma part, plus que d’abuser de préfixes, je dirais qu’on fait juste du rock, libre, instrumental, en jetant des seaux d’eau au ciel pour en faire descendre de la pluie. S : C’est avant tout beaucoup de plaisir. La liberté doit être à ce prix j’imagine. La musique d’un groupe tient à son alchimie. C’est assez fragile en fait. Tire sur un fil et il se peut qu’il ne reste rien. C‘est exactement comme ça qu’on joue. Avec cette image en tête. Beaucoup de danger mais immensément de fun. Sorti en novembre 2013, votre disque est instrumental – hormis certains extraits de discours non anodins – mais semble suggérer avec une certaine mélancolie l’écroulement d’un monde. Quelle est votre vision de celui-ci ? Est-elle essentiellement pessimiste ? F : Partir en Grèce, c’était pour au final témoigner plus largement de ce que l’on connaît mieux. L’écroulement d’un certain monde, oui, ses fêlures, sa colère, ses interstices. En parler mais avec des mots qui n’en sont pas : des sons glanés, notre musique, les images de Stéphane C. Les contours de notre premier album étaient dans cet équilibre-là, entre ces éléments-ci. Alors, mélancolie, sans doute, mais avec beaucoup de lumière aussi, et la volonté de témoigner d’un espoir, de tenter une brèche, tout comme certaines personnes au grand cœur qu’on a rencontrés là-bas : sous le choc, dans le brouillard, mais avec le désir de s’en sortir, et par le haut. Plus largement, ce qu’on expérimente par chez nous est tout aussi flippant et on se dit qu’il y a nécessairement quelque chose d’autre derrière ce vieux monde qui agonise, non ? Quelque chose d’autre que des banques, des cures d’austérité, des fous de Dieu, des relents d’années 30 et la baston générale ? S : Tu peux ouvrir n’importe quel Noise Mag à la page que tu veux, tu trouveras toujours un tas de crétins qui philosopheront sur la situation du monde dans la langue de Pif Gadget. C’est assez insultant pour les lecteurs, je trouve. Tu connais beaucoup de thésards avec une guitare électrique ? Moi bof, pas trop. On tente juste de retranscrire ce que l’on ressent avec nos mots à nous. Photos © Stéphane C. Vous avez chacun deux ou trois projets parallèles. L’art, la création, sont-ils un refuge, une antre solitaire ? Ou au contraire un vecteur d’émancipation pour essayer de changer ou de faire évoluer les choses ? F : Stéphane et moi jouons ensemble, à côté de Oiseaux-Tempête, dans FareWell Poetry et Le Réveil des Tropiques. Stéphane a aussi un projet au long cours, Object, et de mon côté je joue également dans The Rustle of the Stars. Pour moi, ces lignes/groupes parallèles sont ultra importants quant à mon fragile équilibre. J’aime bien flirter avec les limites, physiques, temporelles, créatrices, endosser différentes redingotes. Ça évite une forme de routine, les projets se nourrissent les uns les autres, dans l’expérimentation, les rencontres, et tant qu’on peut mener tout ça de front sans trop de casse, je signe ! C’est à la fois un processus solitaire, évidemment, de comment tu te connectes à toi-même, mais c’est aussi collectif, l’envie un peu enfantine d’aller jouer à la mort avec tes potes, ces climax que tu n’attends pas, ces parties de fêtes… Après, le rôle de l’artiste, ou du saltimbanque devrait être de toujours bousculer l’ordre et l’ambiance établie. Ça peut sonner comme une évidence mais ça ne l’est pas assez. Marre de l’insipide, du formaté, du temps de cerveau disponible. Comme disait Tony Montana, le monde est à nous. S : C’est comme l’histoire des influences. Tu peux être marqué inconsciemment par Yves Duteil ou Carlos, mais quels disques te donnent vraiment envie d’empoigner ton instrument et de composer un truc ? Un écrivain, un dessinateur… Eux, ils sont vraiment seuls dans leurs projections, c’est un vrai travail solitaire. Un musicien ? Pour moi c’est obligatoirement tourné vers les autres. La musique est un langage. Tu peux jouer à Warcraft sur ton Protools si ça te chante ; mais ça restera une putain de démo comparé à ce que tu pourrais en faire avec les bonnes personnes. Par rapport a d’autres groupes qui choisissent la puissance sonique pour marquer les ruptures, vous optez pour la durée et la graduation. Est-ce une façon de garder un certain langage poétique dans vos compositions ? F : Ouh là. Je crois qu’on joue simplement ce qu’on sait faire, et qu’on a de la chance de s’être trouvés pour profiter de ça ensemble. Notre musique est très empirique à la base, bien plus que cérébrale. S : Le premier disque était composé à 25%, disons, le prochain n’est que pure improvisation. A 100%.  Autant dire que nous sommes très loin de la conception cérébrale d’un objet. Re-Works est le parfait contrepoint de votre disque, à la fois nuancé et contrasté. Quelle en est l’origine et quel est votre regard rétrospectif quant à cette expérience ? Est-ce vous qui avez choisi les participants ? F : Merci pour le compliment ! Re-Works est un disque dont on est fier, d’autant plus que ces morceaux nous ont complètement échappé, de part la nature du processus – un disque de remixes. Comme sur le reste, on a évidemment été entièrement maîtres de nos choix. On a envoyé des bouteilles à la mer, à des potes (Saaad, Witxes, Colin Johnco, Leopard of Honour, Cyril Secq & Richard Knox), à des musiciens croisés sur la route (May Roosevelt, Dag Rosenqvist, Machinefabriek), ou à des gens dont on admirait juste le travail sans pour autant les connaître personnellement (Scanner, Do Make Say Think, Aun). On donnait la possibilité aux remixeurs d’écouter l’intégralité de l’album, ils choisissaient deux morceaux potentiels, et on leur donnait le feu vert sur l’un des deux. Avec carte blanche totale à la clef sur l’utilisation des pistes originales… On s’est donc mis dans le flou le plus total, avec le “secret goal” que ce soit assez bon pour en faire un album. Pari un peu fou, mais vu l’investissement et la qualité du travail de tous, ça a été une vraie joie de redécouvrir notre album revisité ce cette belle manière. Sub Rosa nous a proposé de nous accompagner pour la sortie du vinyle, les copains des Balades Sonores nous ont épaulés, là aussi tout s’est fait très simplement. Le pied, quoi. S : La seule contrainte résidait dans les 6 minutes maximum du remix. Sinon, ils étaient entièrement libres. Et on voulait qu’ils le soient autant que nous l’avions été à sa conception. Quelle est la place de la scène et de l’expérience live pour un groupe comme Oiseaux-Tempête ? Est-ce l’occasion d’une prise de risques supplémentaire ?  F : A fond – le live, c’est l’expérience ultime. Vu qu’on enregistre nos disques aussi dans des conditions live, en limitant au maximum les overdubs, je dirais même que cette quête de cette synergie-là est un peu notre base. La chance avec Oiseaux-Tempête, c’est qu’on a appris très vite à s’adapter, aux conditions, aux lieux, à l’ambiance. On peut faire des concerts arrachés, toute électricité dehors, comme des concerts assis, plus recueillis, ou des performances devant des photos ou des films. On peut jouer dans des salles rock, mais aussi dans des églises, des festivals en plein air, des caves, des galeries, un planétarium, une station RER… On varie les plaisirs, quoi.  On aime bien étirer ou condenser nos morceaux, les prendre à contrepied, ou parfois carrément complètement improviser un set. Tout est permis. S : Il y a toujours des galères en live, toujours. Un jack se débranche, un ampli prend feu ou un boomer explose. On joue avec maintenant, ça fait partie de la musique. Ça ne nous fruste plus. Mais c’est le même processus qu’en studio. Notre seule exigence en live est de créer cette bulle de son dans laquelle nous pouvons évoluer. Ça demande pas mal de détente, en fait. Il faut être comme Hint : FLEXIBLE !!!! Quel est le futur proche d’Oiseaux-Tempête ? Doit-on s’attendre à un changement d’orientation ou a une permanence dans l’exploration ?  F : Dans l’immédiat, installés à Catane, Sicile, sur une terrasse en plein vent avec l’Etna en ligne de mire, on est en train d’éditer et de prémixer notre nouvel album, qu’on a enregistré il y a quelques mois à Mikrokosm. La dimension du voyage y sera toujours importante : des field recordings d’Istanbul et du Bosphore, des photographies, du mellotron, Gareth Davis à la clarinette basse et sans doute des petites surprises. On espère que ça verra le jour au printemps 2015, par là. S : On a fait en septembre dernier un concert/création avec le cinéaste expérimental Karel Doing pour le festival Crak, à Saint-Merry. Devils’ Kitchen et Palindrome Series. Et la tournée devrait continuer dans les mois à venir. Audio