469_ La petite mosquée des Inuits: Extrait n° 07

Publié le 16 janvier 2015 par Ahmed Hanifi


(Suite)  À Fort-Nelson ils sont accueillis par un ciel très chargé et une température bien basse pour la saison : dix degrés. La pluie fine qui tombe tiendra plusieurs heures. Fort Nelson n’est pas ce qu’on appelle une ville ou un village des Premières nations, autrement dit, ce n’est pas une ville autochtone, indienne. La majorité de la population est blanche et les habitations individuelles, mais aussi les immeubles de deux, trois, voire quatre étages comme l’hôtel de la chaîne Super 8, sont nombreux. Les deux compagnons apprécient les grilled chicken sandwiches et les cafés du bien nommé Fort-Nelson café, mais ils ne s’attardent pas. Ils reprennent la route après avoir fait le plein de Diésel. Dans cette région, bien qu’on soit loin des forêts denses du sud tempéré, la végétation est plus abondante que dans les TNO et la cime des arbres plus haute. On trouve beaucoup de trembles et de sapins aux couleurs vives. Au bout d’une centaine de kilomètres, sur l’Alaska Highway dorénavant, les paysages se font encore plus beaux. Omar et Véro ont le sentiment d’être plongés dans des décors de cinéma avec cette différence que dans le Grand Nord on les respire – les décors, les paysages – à pleins poumons, sans artifice et en pleine lumière. La température est plus douce. Ils ont l’impression que la chaîne des Rocheuses est posée là, le long de la Highway. Ce n’est évidemment qu’une illusion. Dommage que le ciel se couvre. Ils n’aperçoivent pas les sommets des montagnes et la circulation est toujours faible. La vitesse maximum autorisée, lorsque la route est bonne comme sur cette Alaska Highway, est de cent kilomètres à l’heure et tous les automobilistes respectent scrupuleusement les panneaux d’indication routiers, plus encore dans les villes et villages. Les Marseillais, qui sont habitués à d’autres vitesses, à d’autres types de conduites, eurent quelques difficultés à s’adapter. Lors des nombreux échanges qu’ils eurent à Yellowknife, on leur avait recommandé fortement de s’arrêter à Liard River Hots Springs. Ils se souviennent des paroles de Jean-Pierre, « surtout ne manquez pas les bains. » Ils y arrivent alors que la nuit envoie ses premiers signes, même s’ils sont insignifiants. 
 Liard River Hots Springs est un endroit qui comprend un terrain de camping, mais surtout des thermes aménagés en pleine forêt. Les bains sont plus ou moins chauds selon qu’on choisit l’un ou l’autre des trois bassins. Leurs sens sont exaltés par cet environnement vert, par tant de beauté naturelle, généreuse et éclatante. C’est magnifique et le corps trempé dans de l'eau à quarante degrés en sort revigoré et prêt à toutes les extravagances si tant est que les Marseillais en aient les moyens. Dans le lounge qui fait face aux thermes, ils s’offrent deux succulents fishs and ships. Ils décident de passer la nuit au sein même du camping. Le matin du dimanche, ils prennent de nouveau un bain très chaud avant de continuer, toujours vers l’ouest. Peu avant d’arriver à Watson Lake, ils assistent en contrebas de la route, à la lisière de la forêt, à un combat initiatique et fraternel de plusieurs minutes entre deux oursons. Ils virent aussi un caribou, des chèvres de montagnes, des bisons et des chevaux sauvages ou semi-sauvages. Watson Lake est village qui se caractérise par des centaines de poteaux (ou totems) sur lesquels sont accrochées d’innombrables objets comme des chaussures, des chapeaux, des colliers, mais surtout par sa Sign Post Forest, une forêt de plaques de toutes sortes, plus de soixante-dix mille dit-on, sur lesquelles on peut lire des noms de villes, des numéros de plaques minéralogiques, des mots doux… Ils s’y arrêtent pour prendre un café dans la station et inscrire leur nom sur un bout de carton d’emballage qu’ils prennent soin de protéger avec un plastique transparent avant de le pendre à un poteau. Ils écrivent au feutre indélébile bleu « Véro H. & Omar Ch. from Marseille ». Ils ajoutent en rouge leur adresse électronique et la date. L’après-midi est largement entamé. Ils font le plein d’essence et reprennent la direction des États-Unis. À Rancheria Falls, ils font une halte pour admirer ses cascades. Une plateforme en bois est suspendue sur Rancheria river. 
Pour la traverser la il n’y a pas d’autre possibilité que celle d’emprunter le pont. Sur un grand panneau, on peut lire : « The boardwalk takes you through a dense stand of black and white spruce. This forest is a good example of the boreal or northern forest that extends cross Canada… » Véro prend des photos des deux côtés de la rivière. Le crépuscule les rattrape à Teslin. Ils poussent jusqu’à Carcross, au nord du soixantième parallèle donc. Tout autour d’eux ils aperçoivent les formes de nombreuses dunes. A l’époque glaciaire, de grands lacs recouvraient les lieux. Aujourd’hui seul le sable témoigne de cette période lointaine. Il forme sur trois kilomètres carrés « le plus petit désert du monde ».C’est à proximité des dunes qu’ils campent pour le reste de la nuit. Le lendemain, ils entreprennent une marche d’une bonne heure derrière les montagnes de sable jusqu’au pied des monts. Lorsqu’ils reprennent la route pour Skagway, le soleil est haut et les touristes de plus en plus nombreux. On leur a tellement vanté cette ville, « la perle du doigt de l’Alaska » pour sa beauté qu’ils décident de s’y rendre. Le passage à la frontière n’est pas difficile. Il y a peu de monde, l’accueil est sympathique et les formalités sont simplifiées, mais pas assez. Il y a ces formulaires et les questions – qui n’ont rien à envier à celles des fonctionnaires canadiens – aussi fantasques, absolument ridicules ou inacceptables : « avez-vous eu un refus de visa », « avez-vous été un criminel », « êtes-vous atteint d’une maladie psychologique ? », « Do you seek to engage in terrorist activities while in the United States or have you ever engaged in terrorist activities ?… » Skagway est un très joli village qui fourmille de touristes en été. Il ressemble beaucoup aux villes du Far West telles qu’on les a gravées dans sa mémoire, telles qu’on les voit dans les films de cowboys, avec ses cabarets, ses saloons, sa banque d’Alaska. Plusieurs bâtiments très anciens, dont la date d’édification, « built 1897 » par exemple, figure sur leur pignon. Skagway fut longtemps la principale porte d’entrée de la région aurifère de Dawson. Elle est protégée par de majestueuses montagnes enneigées toute l’année, son fjord donnant sur Juneau et l’Océan pacifique. Il fait frais et le vent accentue le froid ressenti. On dit ici « wind chill factor. » La ville héberge moins de neuf cents habitants. Dans la minuscule gare maritime, d’immenses photos bicolores couvrent une grande partie des murs. On y voit des traîneaux de chiens, des chercheurs d’or et Mrs Harriet Pullen, une pionnière de Skagway. Dans son édition du samedi 11 juillet 1897 le Seattle Post Intelligencer, titre : « Latest news from the Klondike ». Quelques personnes attendent, ou n’attendent pas le ferry annoncé provenant de Juneau, le Sylver Shadow. Les deux complices font le tour du village qu’ils bouclent en vingt minutes. Ils prennent deux « Delas Frères Merlot » au Red Onion Saloon et plus tard des verres et des fishs and ships au Skagway brewing. Les deux établissements se situent sur la principale artère, la Broadway Street, riche en commerces de toutes sortes. Les routes sont bitumées et les trottoirs recouverts de lattes de bois. Le pub est bondé. La plupart des clients sont des Américains venus d’autres régions, essentiellement par paquebots. Les serveurs, bien que débordés, trouvent toujours le bon moment pour échanger avec les consommateurs. Notamment Laurent le francophone, un Québécois de Montréal. La question sur la mosquée d’Inuvik lui paraît tellement incroyable qu’il rit bruyamment pour manifester son grand étonnement. Il dit « tsais cette histoire me semble strange tu m’écoutes-tu et c’peut faire jaser non ? » et il rit de nouveau, en posant le contenu de son plateau. Il réussit à agacer les Marseillais qui préfèrent changer de sujet. Ils quittent Skagway brewing pour se rendre directement au camping Garden City où ils avaient, dès leur arrivée dans le village, installé le Westfalia. Ce lieu n’a de camping que le nom, avec le strict minimum. Du gazon, deux fontaines, quelques douches plutôt insalubres.
(à suivre)