Une journée particulière [Atelier d’écriture #12]

Par Vudemeslunettes @Vudemeslunettes

Après quelques jours de silence, me voilà de retour.

Après les événements de ce début d’année, écrire m’était impossible la semaine dernière ! Mais je reviens, avec positivisme et bonne humeur cette semaine !

Il me tarde de lire les contributions de tous les participants de cet atelier d’écriture !
Merci Leiloona pour cette jolie photo, qui, il est vrai, change de l’esprit habituel … mais c’est aussi ça qui fait du bien !

Bonne lecture !


© Romaric Cazaux 

UNE JOURNEE PARTICULIERE

Le mercredi midi, c’était leur jour. Leur moment à eux. Depuis la naissance de Lucie, leur fille, ils avaient pris l’habitude de déjeuner une fois par semaine ensemble, en amoureux. Pour ne pas s’éloigner. Pour ne pas être que des parents. Pour rester des amants.

Pourtant, lorsqu’il était arrivé au restaurant, Mickaël n’était pas seul. Alison ne connaissait pas la femme qui l’accompagnait. Elle devait avoir dans les 65 ans.

Alors qu’ils s’approchaient, Mickaël demanda au serveur qu’on ajoute un couvert et entrepris les présentations.

- Anita, j’ai le plaisir de te présenter Alison, ma femme. Alison, voici Anita.

Anita souriait. Alison restait bouche bée. Quand elle retrouva la parole, les mots sortirent à toute vitesse, et avec une excitation folle, de sa bouche.

- Anita ?? LA Anita ? Celle dont tu m’as tant parlé ? Celle des merveilleux cookies, des promenades dans la forêt, des après-midi coloriage ?? LA Anita avec ses centaines de livres et les 2 chats que tu rendais fous ? Cette Anita ? LA Anita ?

Mickaël riait de l’engouement et du naturel de sa femme.

- Celle là même, acquiesça-t-il, non sans fierté.

Alison avait presque envie d’en pleurer. Elle s’adressa à Anita, comme intimidée.

- Mais ! Oooh ! Mais je suis tellement ravie de vous rencontrer !
- C’est un plaisir partagé chère Alison. Et quelle fierté de revoir ce beau jeune homme. Je ne l’aurais jamais reconnu. Tellement d’années ont passées.

Ils s’étaient installés à table et avaient célébré ses retrouvailles avec une bonne bouteille de vin.

S’adressant à sa femme, Mickaël s’expliqua.

- Je suis sortie en avance de ma réunion, et je me suis souvenu que tu voulais que j’aille chercher ta commande à la boutique Petit Bateau. Je me suis donc dit que j’allais y aller avant de venir te retrouver. Quand je suis ressortie de la boutique, je l’ai aperçue devant la vitrine. J’ai immédiatement senti que je la connaissais. En l’observant quelques secondes de plus, je l’ai reconnue.

Ils avaient passé plus de 2 heures à discuter, rire, parler de leurs vies, échanger les souvenirs, évoquer les anecdotes. Mickaël avait montré avec fierté les photos de Lucie. Anita en avait eu les larmes aux yeux.

Quand ils s’étaient quittés, aux alentours de 14h30, ils s’étaient promis de se donner des nouvelles, de se revoir, de lui présenter Lucie. Ils s’étaient pris dans les bras, s’étaient embrassés et étaient repartis chacun de leur côté.

Quelques minutes plus tard, Anita s’était assise sur un banc, dans un parc et avait laissé ses larmes couler.

Elle se souvenait de la femme qu’elle avait été. De l’homme qu’elle avait tant aimé. Qu’elle avait épousé. Qui était décédé quelques mois après dans un accident. La fausse couche qui avait suivi l’annonce de la mort de Pascal. Sa douleur. Sa solitude. L’amour qu’elle lui avait toujours porté sans jamais refaire sa vie.

Très vite après le drame, elle avait quitté son emploi de secrétaire et avait entreprise une formation d’assistante maternelle. Puis elle était devenue « Nounou ». Pendant plus de 35 années, elle avait ainsi pu remplir ses journées de bonheur et de rires d’enfants. Ça n’avait pas vraiment apaisé sa douleur, ni allégé sa peine mais ça avait donné un sens à sa vie.

Et il y avait eu Mickaël. Le petit Mickaël. Il était arrivé chez elle à 4 mois. Sa mère avait succombé lors de son accouchement. C’était le premier enfant qu’elle accueillait. Inconsciemment elle avait l’impression de devenir mère auprès d’un enfant qui n’en aurait jamais. Il était si doux, si beau et avait une joie et une furieuse envie de vivre dans le regard.

Elle s’était occupée de lui jusqu’à ses 11 ans. La journée avant qu’il ne soit scolarisé, puis le soir après l’école, le mercredi.

Un jour son père avait déménagé. De toute toute façon il était trop grand pour encore avoir une nounou. Ils avaient gardé contact quelques temps, mais ils avaient fini par s’éloigner. La séparation avait laissé une trace dans sa vie et dans son cœur. Jamais elle ne l’avait oublié.

Elle n’avait d’ailleurs jamais oublié aucun des enfants qu’elle avait gardé, mais il y avait eu un lien si particulier avec Mickaël.

Alors quand ce grand gaillard, cet inconnu, l’avait approché alors qu’elle broyait du noir devant cette vitrine colorée de la boutique Petit Bateau, elle ne l’avait pas reconnu.

- Anita ? Anita ? C’est vraiment toi ?
- Euh … oui. Bonjour. Mais … Qui … On se connaît ? Oh je suis désolée, je n’arrive pas à remettre de nom sur votre visage…
- C’est moi, Mickaël.

Elle avait alors reconnu son regard, toujours rempli de cette furieuse envie de vivre, avait souri et avait laissé échapper quelques larmes.

Il l’avait invité à déjeuner, elle l’avait suivi, oubliant ses idées noires.

Elle y avait vu un signe de Pascal. Souvent quand elle n’allait pas bien, un événement positif arrivait et lui redonnait le sourire. Elle aimait attribuer ce signe à la présence de Pascal à ses côtés.

Et le signe qu’il lui envoyait aujourd’hui était particulièrement fort et troublant. Car cette journée était particulière.

Si pendant des mois elle s’était demandée comment elle allait fêter cette nouvelle liberté, en prenant connaissance de la date, l’angoisse l’avait gagnée.

Car ce matin, pas de petit à accueillir, à changer, à éveiller. Non, depuis aujourd’hui elle était à la retraite. Une liberté bien méritée, qu’elle espérait remplie de rencontres, de projets et de nouveaux horizons. Pourtant aujourd’hui était aussi le jour anniversaire de la mort de Pascal. Et elle redoutait la vie qui l’attendait : dans la solitude, sans mari, ni enfant.

Mais Pascal avait placé Mickaël sur son chemin, car il savait qu’ainsi, elle ne serait jamais seule.

Elle se leva, sortit du parc, le sourire aux lèvres. Elle était enfin prête à entreprendre une nouvelle vie.