Rousseau est Charlie

Publié le 23 janvier 2015 par Joseleroy

Rousseau nous parle ici de la religion naturelle qui se distingue et s'oppose aux religions historiques ou révélées (Judaisme, Christianisme, Islam...). La religion naturelle ou déisme consiste à ne s'appuyer que sur la raison individuelle et sur le sentiment de la conscience morale. Ici pas de texte sacré, pas de culte, pas de clergé, pas de communauté religieuse.

Le seul culte que Dieu demande est celui du coeur, c'est-à-dire l'amour du prochain, dit Rousseau. Il montre ici que les religions révélées sont non seulement inutiles mais même néfastes : elles rendent l'homme intolérant (il croit détenir l'unique vérité) et cruel (il impose sa vérité aux autres).

Alors certes, il ne s'agit pas encore d'éveil et de spiritualité mais c'est déjà un progrès dans l'autonomie et la liberté.

"Les plus grandes idées de la Divinité nous viennent par la raison seule. Voyez le spectacle de la nature, écoutez la voix intérieure. Dieu n'a-t-il pas tout dit à nos yeux, à notre conscience, à notre jugement ? Qu'est-ce que les hommes nous diront de plus ? Leurs révélations ne font que dégrader Dieu, en lui donnant les passions humaines. Loin d'éclaircir les notions du grand Etre, je vois que les dogmes particuliers les embrouillent; que loin de les ennoblir, ils les avilissent; qu'aux mystères inconcevables qui l'environnent ils ajoutent des contradictions absurdes; qu'ils rendent l'homme orgueilleux, intolérant, cruel; qu'au lieu d'établir la paix sur la terre, ils y portent le fer et le feu. Je me demande à quoi bon tout cela sans savoir me répondre. Je n'y vois que les crimes des hommes et les misères du genre humain.

On me dit qu'il fallait une révélation pour apprendre aux hommes la manière dont Dieu voulait être servi; on assigne en preuve la diversité des cultes bizarres qu'ils ont institués, et l'on ne voit pas que cette diversité même vient de la fantaisie des révélations. Dès que les peuples se sont avisés de faire parler Dieu, chacun l'a fait parler à sa mode et lui a fait dire ce qu'il a voulu. Si l'on n'eût écouté que ce que Dieu dit au coeur de l'homme, il n'y aurait jamais eu qu'une religion sur la terre.

(...) Le culte que Dieu demande est celui du coeur; et celui-là, quand il est sincère, est toujours uniforme. C'est avoir une vanité bien folle de s'imaginer que Dieu prenne un si grand intérêt à la forme de l'habit du prêtre, à l'ordre des mots qu'il prononce, aux gestes qu'il fait à l'autel, et à toutes ses génuflexions. Eh! mon ami, reste de toute ta hauteur, tu seras toujours assez près de terre. Dieu veut être adoré en esprit et en vérité: ce devoir est de toutes les religions, de tous les pays, de tous les hommes. " Rousseau, Emile

Ce livre pour ses critiques de la religion fut censuré en France et en Europe :

" L'histoire de la longue série de sentences et de censures contre l'Émile de Rousseau est bien connue : le 9 juin 1762, le Parlement de Paris condamne l'"imprimé" en question " à être lacéré et brûlé " ; le 11 juin, date de l'exécution de ce jugement, l'auteur lui-même échappe de peu à l'arrestation en se réfugiant vers la Suisse ; le 19 juin, ce sont les autorités calvinistes de Genève qui prononcent leur verdict contre l'ouvrage ; le 1 er juillet, l'assemblée générale de la Faculté de Théologie de Paris décide de faire rédiger la censure du livre " le plus tôt qu'il serait possible "; le 30 juillet. L'Emile est interdit en Hollande ; le 20 août, Christophe de Beaumont, archevêque de Paris émet un mandement contre les propositions "fausses, scandaleuses, [...] erronées, impies, blasphématoires et hérétiques" du livre et ordonne que son mandement soit " lu au prône des messes paroissiales des églises de la [...] diocèse de Paris, publié et affiché partout où besoin sera " ; le 9 septembre, l'Emile e st officiellement mis à l'Index ; et enfin, au mois de novembre, on publie la Censure de la Faculté de Théologie de Paris contre le livre qui a pour titre Emile ou de l'Éducation, petit volume in-12 de 352 pages, dont le contenu sera bientôt approuvé par un bref du pape Clément XIII. "

On lit dans le résumé de la censure que "cet auteur sacrilège vomit d'une bouche impie contre Dieu,contre la loi naturelle, contre la possibilité, la nécessité, les caractères de la révélation,contre les moyens infaillibles de la connaître, contre les miracles et les prophéties, contre la doctrine révélée et l'intolérantisme que la vraie religion professe. " Revue d'Études Françaises 1/1996

Au fait Rousseau est-il traduit en arabe?

"Rousseau a été l'un des premiers grands penseurs français à être traduit en arabe, et ce dès l'époque de la Nahda, vers le milieu du XIXe siècle. En effet, Du Contrat social figurait, à côté du Dictionnaire philosophique de Voltaire, des Lettres persanes et de L'esprit des lois de Montesquieu, dans le premier programme de traduction réalisé par Tahtâwî à son retour, en 1831, de sa mission en France. Malheureusement, contrairement à d'autres pays comme le Japon, le monde arabe n'a pas continué une politique soutenue de traduction. Ainsi, sur plus d'un siècle et demi, il n'y a jamais eu de traduction en arabe des œuvres complètes de Rousseau et quelques-unes parmi ses œuvres politiques les plus importantes n'ont pas été traduites jusqu'à ce jour. D'autre part, les traductions existantes, comme celles du Contrat social ou du Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes souffrent de nombreux défauts et ne sont pas accompagnées d'appareil critique. C'est ce qui nous a poussés, mes collègues et moi, à commencer notre programme de traduction de la pensée politique occidentale par les écrits politiques de Rousseau, que nous espérons pouvoir assez rapidement présenter dans un ensemble de quatre volumes. Le premier volume, dont j'avais la charge, est déjà achevé et va être publié incessamment. Les autres, j'espère, suivront au cours des deux prochaines années." Abdesselam Cheddadi, historien marocain, en 2012.

Donc apparemment il est impossible de lire l'Emile en arabe aujourd'hui, et je doute qu'il se trouve en anglais ou en français dans les bibliothèques municipales de l'Arabie Saoudite ou du Quatar . En tout cas on peut le lire sur web ici