Nouvelle région Aquitaine : le sens de l’histoire

Publié le 24 janvier 2015 par Blanchemanche
#Aquitaine #Alienor

En 2016, l’Aquitaine, le Poitou-Charentes et le Limousin formeront une seule et unique région. Malgré les réticences administratives, le choix semble judicieux si on se place du point de vue historique. Démonstration avec l’historienne Josette Pontet


Carte de la Gaule romaine avec l'immense espace aquitanique, carte réalisée par Jan Jansson en 1657
Publié le 22/01/2015  par Jacky Sanudo
« L'Aquitaine, ça n'existe pas ! » La boutade lancée lors des élections régionales de 1992 par Jean François-Poncet, alors président du Conseil général du Lot-et-Garonne, est un brin provocatrice. Mais il est indéniable que l'ancien diplomate connaissait bien l'histoire. Dans l'introduction à l'« Histoire de l'Aquitaine » (édit. Privat, 1971) qu'il a dirigée, Charles Higounet écrivait : « Il n'existe pas une Aquitaine, mais il y a eu tant d'Aquitaine, d'Auguste à la Ve République, qu'il était impensable de pouvoir enserrer une histoire dans une notion territoriale aussi fluctuante. »
Un nom pour ne pas être APOIL !Du 26 novembre au 1er décembre, sudouest.fr lançait une consultation auprès des internautes afin qu’ils proposent un nom pour la nouvelle Région composée des trois entités Aquitaine, Poitou-Charentes et Limousin. 4 732 personnes y ont participé pour un total de 5 626 réponses. 14 % d’entre elles proposent de garder Aquitaine. L’histoire appuie leur choix, même s’il est teinté de chauvinisme. Les choix se portent ensuite (dans l’ordre) sur Grand Sud-Ouest, Sud-Ouest, Sud-Ouest-Atlantique, Sud-Atlantique, Guyenne, CLAP (Charentes-Limousin-Aquitaine-Poitou), Aquitania, Aliénor…À noter le petit succès rencontré sur Internet par la proposition APOIL (Aquitaine-Poitou-Limousin). Un joli coup de pub réussi par la jeune enseigne poitevine DD du Pwatoo. Il faut dire que le montage photographique réalisé pour l’occasion a de quoi faire sourire.
Il ne fait pas beaucoup de doutes que Bordeaux restera dans la nouvelle région la ville phare.
La région Aquitaine telle qu'on la connaît aujourd'hui avec ses cinq départements (Gironde, Dordogne, Lot-et-Garonne, Landes, Pyrénées-Atlantiques) est une réalité récente qui est apparue avec le projet de région-programme en 1956 et finalisée en 1959 avec le rattachement des Basses-Pyrénées qui étaient jusque-là dans la région de Midi-Pyrénées et le choix de Bordeaux comme métropole. Ce sont cependant la réforme Chaban de 1972 et la loi Defferre qui vont porter sur les fonts baptismaux la région Aquitaine. À ce moment-là, c'est une véritable renaissance pour le terme même d'Aquitaine, qui était tombé en désuétude depuis plusieurs siècles au profit de Guyenne et n'était utilisé que par les géologues et les géographes.L'État du Prince Noir©Photo Laureline MattiussiÀ l'heure où vient d'être dessinée la nouvelle carte de la région qui entrera en vigueur début 2016, on comprend mieux les tâtonnements des experts gouvernementaux pour en tracer les contours. Le plus amusant dans l'affaire est dans le constat que le découpage actuel se rapproche d'assez près du duché d'Aquitaine, constitué au XIe siècle par la maison de Poitiers. Il s'étendait des approches de la Loire et de l'Auvergne jusqu'aux Pyrénées. « Quant à son héritier, le duché aquitain des Plantagenêt, il a subi entre 1154 et 1453 de si fréquentes variations, des environs de Bordeaux ou de Bayonne à l'immense État du Prince Noir, qu'on ne saurait le considérer non plus comme le cadre statique d'une histoire régionale », assure Charles Higounet.N'empêche, et n'en déplaise à certains, l'immense région Sud-Ouest qui a pris forme a du sens. Pas toujours en tant que frontières administratives, qui sont contestables par nature, mais à coup sûr d'un point de vue historique. Ce que nous confirme Josette Pontet, professeur émérite d'histoire moderne de l'université de Bordeaux 3 et présidente de la Société des sciences, lettres et arts de Bayonne. Parmi ses nombreux travaux, on note une étude et un colloque sur le thème de l'identité aquitaine. « Ce qui me frappe dans ce découpage, c'est que, en gros, les régions reviennent, que ce soit pour le Midi, le Languedoc ou l'Aquitaine, aux parlements qui ont été créés au XVe siècle (1). Pour l'Aquitaine, nous avons, à peu de chose près, le ressort du parlement de Bordeaux, qui comprenait le Limousin et qui allait de Bayonne à Bellac (Haute-Vienne), le point le plus au nord. »Ce parlement est une institution fondamentale qui a finalement été très peu modifiée au fil du temps. « Pour l'Aquitaine, le problème, c'est que, par exemple, Pau et le Béarn, qui appartenaient au royaume de Navarre, n'ont pas été affiliés au parlement de Bordeaux quand Louis XIII les a rattachés au royaume de France. En revanche, la Saintonge, Poitiers, le Limousin en font partie et La Rochelle et l'Aunis par intermittence. Si on prend ces territoires et on y ajoute les cinq départements actuels (Gironde, Dordogne, Lot-et-Garonne, Landes et Pyrénées-Atlantiques), on obtient étrangement la nouvelle carte qui nous est proposée à ce jour », poursuit Josette Pontet.Déjà sous AugusteLes similitudes troublantes remontent bien plus loin dans l'histoire, très précisément à – 16 avant Jésus-Christ, à l'époque romaine, quand Auguste crée l'Aquitanique, province qui était une vaste région administrative. Elle contenait les Bituriges, les Lémovices, les Pictons, les Santons et Burdigala (Bordeaux) et le sud de la région, même si celui-ci, dénommé la « province des neuf peuples » (NDLR : Novempopulanie allant de la Garonne aux Pyrénées avec Eauze pour capitale), a été le plus souvent relié à Auch. « Cette Aquitaine, dont l'étymologie est contestée (Pays de l'eau ? Pays des eaux ? Pays de rivières ?), a une existence très fluctuante avec l'arrivée des Barbares à l'époque du Haut Moyen Âge. Mais l'important est que cette organisation qui était administrative va se retrouver dans les circonscriptions religieuses. La province ecclésiastique d'Aquitaine, dont l'archevêché, disputé par Bourges, est à Bordeaux depuis le XIVe siècle, comprend le Poitou, les Charentes, la Gironde, la Dordogne et le Lot-et-Garonne. Il faudra attendre 2002 pour que le pape Jean-Paul II mette fin à certains découpages et que les Basses-Pyrénées quittent l'archevêché d'Auch pour rallier celui de Bordeaux », explique Josette Pontet.
 Il ne reste plus qu'à trouver un nom à ce territoire immense qui vient de voir le jour sur la carte.
Dans l'identité commune à la nouvelle région, puisqu'il est question de religion, il convient de ne pas omettre la forte présence protestante dès le XVIe siècle. Celle-ci s'étend d'Orthez à La Rochelle en passant par Cognac, Nérac ou Bergerac et allant jusqu'à Châtellerault. Impossible aussi de ne pas signaler le lien le plus évident qui est la langue d'oc, le gascon au sud, le limousin au nord. La Rochelle et l'Aunis ont, elles, basculé vers la langue d'oïl dès le XIIIe siècle. « La Gascogne seule a traversé le temps, mais comme concept linguistique », écrit Charles Higounet. On n'oublie pas que le premier troubadour identifié est Guillaume IX de Poitiers. C'était le temps où le cœur de l'Aquitaine battait au Nord avec la cour d'Aliénor à Poitiers et le couronnement du duc Richard Cœur de Lion, lui-même trouvère, à Limoges.Josette Pontet : « Le duché de l'Aquitaine anglaise est une histoire qui dure trois siècles. En 1154, quand Aliénor l'apporte en héritage, le duché inclut La Rochelle, Poitiers, Limoges mais pas le Béarn et l'Armagnac. Après 1259, le territoire perd le Poitou, les Charentes et Limoges, qui y reviendront. En 1328, avec la guerre, le duché se réduit comme peau de chagrin et n'a plus que la façade atlantique, du sud de La Rochelle à Bayonne. La période la plus euphorique pour l'Aquitaine, quoique courte, correspond à la principauté du Prince Noir, de 1362 à 1372. Il s'agit là du vaste ensemble comprenant l'Aunis, le Poitou, le Limousin, l'enclave de la Marche, jusqu'à Cahors et Montauban. Bordeaux est la capitale et c'est un des moments les plus prospères de son histoire. »Bordeaux, ville phareIl ne fait pas beaucoup de doutes que Bordeaux restera dans la nouvelle région la ville phare. La polarisation de l'Aquitaine passera par cette ville aux ambitions de grande métropole qui est la zone d'influence depuis le XVIIIe siècle pour le Périgord, l'Agenais, l'Angoumois, la Saintonge et le haut et bas Limousin. L'attirance vers Bordeaux équivaut naturellement à la pente des fleuves que sont la Dordogne et la Garonne. Il ne reste plus qu'à trouver un nom à ce territoire immense qui vient de voir le jour sur la carte. Il conviendra de ménager les susceptibilités. Mais Nouvelle Aquitaine ou Sud-Ouest Atlantique auraient du sens. Garder Aquitaine ne serait pas non plus une hérésie. Il désigne les trois régions concernées depuis l'empereur romain Auguste. (1) Les parlements étaient des institutions judiciaires qui ont été créées entre 1437 et 1440, après la guerre de Cent Ans. Celui de Bordeaux marque le retour du duché d'Aquitaine dans le royaume de France. Tout ce qui concerne l'administration est du ressort des parlementaires, qui sont des officiers, propriétaires de leurs charges, qui constituent le relais du roi et, en même temps, d'une certaine façon, un contre-pouvoir. On le verra avec la révolte des parlements, avant la Révolution, en 1788.Infographie Sud OuestEt maintenant…

Selon un sondage Ifop paru dans les colonnes de « Sud Ouest », 57 % des habitants d’Aquitaine, du Limousin et Poitou-Charentes sont favorables à l’union des trois régions. De quoi réjouir les trois présidents de Région actuels, Alain Rousset (Aquitaine), Gérard Vandenbroucke (Limousin) et Jean-François Macaire (Poitou-Charentes), qui, dans un communiqué commun, disent compter sur cette nouvelle entité « pour mettre en œuvre des politiques plus puissantes ». La réforme d’une France à 13 régions entrera en vigueur début 2016.

http://www.sudouest.fr/2015/01/22/nouvelle-region-le-sens-de-l-histoire-1805927-6067.php