[anthologie permanente] Philippe Jaffeux

Par Florence Trocmé

Philippe Jaffeux vient de publier une nouvelle série de ses « Courants blancs », aux éditions Atelier de l’Agneau, Autres courants.  
 
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Nos mains sont les outils d’un alphabet préhistorique si nous jouons de la musique avec nos doigts. 
Le destin d’une page renaît dans un nombre qui est prêt à disparaitre dans un calcul de l’infini. 
Le devenir numérique d’un alphabet en perpétuel mouvement sape l’inertie d’un progrès mensonger.  
Il était semblable à ceux qu’il ignorait s’il parlait du silence des autres pour apprendre à se connaître.  
Les jeux du hasart contraignaient chacune de ses pages à s’amuser avec la règle d’un nombre libre.  
La transparence de l’air s’allie à celle de l’eau pour combattre la parole sur une terre suffoquée. 
Sa nature était d’autant plus monstrueuse que l’alphabet fleurissait en toutes saisons sur sa page végétale.  
Des interlignes tendent des phrases entre les bords d’une page qui tient en équilibre sur un chiffre.  
Il eut peur de mourir à l’instant où il oublia que l’alphabet était le seul à se souvenir de l’éternité.  
Ses phrases tournaient autour de sa tête parce que l’absurdité d’un cercle définissait son visage.  
L’alphabet d’un nombre célèbre la joie d’un interlignage grâce à une image instinctive du cosmos.  
Ses limites se rapprochèrent d’une image lorsque des octets encadrèrent une peinture de sa page vide.  
Il fêta la victoire de l’infini sur ses interlignes et il perdit son temps à comparer ses phrases à des vagues.  
Une limite de l’écriture se dépasse dans un alphabet qui immobilise l’image d’un sens insondable.  
La valeur de son mérite rendait justice au droit de sa probité car sa loyauté était dévouée à l’équité de sa foi.  
Chaque interligne était d’autant plus naturel qu’il feignait d’être aveuglé par l’écran d’un ordinateur vide.  
Ses morts étaient identiques à ses renaissances parce qu’il avait toujours le temps d’exister à propos.  
Vingt-six branches soulèvent une page lorsqu’un vent souffle dans le sens d’une matière végétale.  
Sa parole disparut dans des images à l’instant où les mots furent découverts par un alphabet immédiat.  
Un interlignage suit un sens contraire à des courants de mots qui délimitent les rivages d’un manque.  
Les côtés d’un cercle mesurent le diamètre d’un rectangle et le monde disparaît entre les bords d’une page.  
Sa mort prenait vie lorsque ses instants de bonheur s’assortissaient avec l’unité de ses malheurs.  
L’alphabet est imperceptible car c’est le seul phénomène qui explique l’existence d’une parole magique.  
Il faisait le geste d’être entendu par son silence depuis qu’il parlait avec l’esprit d’un corps miséricordieux.  
Sa page blanche veillait sur son insomnie s’il rêvait de savoir écrire debout avec des lettres angoissantes.  
Un interlignage stratifié sonde la profondeur d’une page qui sédimente le tremblement d’un vide tellurique.  
 
Philippe Jaffeux, Autres courants, Atelier de l’Agneau, 201(, p. 38. 
 
Philippe Jaffeux dans Poezibao :  
bio-bibliographie, "Courants blancs", par Denis Hamel, ext. 1