Interview de Neil Jomunsi, auteur du Projet Bradbury

Publié le 29 janvier 2015 par Thibaultdelavaud @t_delavaud

Neil Jomunsi est un écrivain indépendant qui s’est lancé en août 2013 un défi, intitulé le Projet Bradbury : écrire une nouvelle par semaine pendant une année entière. J’ai lu ces 52 nouvelles, teintées de fantastique et de science-fiction, avec beaucoup de plaisir. J’ai l’honneur de recevoir aujourd’hui sur mon blog Neil Jomunsi qui a accepté de répondre à mes questions. 

Écrire une nouvelle par semaine est un travail considérable. Qu’est-ce qui a été le plus dur ? La discipline qu’un tel engagement requiert ou trouver l’inspiration ?

Trouver l’inspiration n’a jamais été un problème pour moi : des thèmes, des idées, il suffit de regarder autour de soi ou de lire quelques livre pour les trouver. La discipline est en revanche beaucoup plus difficile à puiser en soi-même, surtout celle qui consiste à s’asseoir à sa table quelle que soit l’humeur et coucher 20.000 signes par jour. C’est un peu comme un marathon (enfin, de ce qu’on m’en a dit et de ce que j’ai lu chez Murakami) : au début, c’est l’euphorie, mais ce sont les derniers kilomètres qui manquent de vous tuer. L’écriture peut vous avoir à l’usure. Mais après l’épuisement, on découvre un nouveau stade : l’énergie renouvelée. Et celle-ci est infinie.

Les nouvelles du Projet Bradbury sont très variées : tu as abordé des genres très différents (épistolaire et poésie par exemple) et tu as jonglé aussi avec différents types de narration. Était-ce une contrainte que tu t’es imposée ou une envie de diversifier l’écriture ?

Disons que passés les dix premiers textes (où, pour résumer, j’ai ressorti des placards les vieilles idées dont je ne savais pas quoi faire), j’ai ressenti le besoin d’expérimenter, de me mettre en danger, pas tant pour frimer que pour simplement contrecarrer l’ennui. L’ennui menace quand on écrit régulièrement, parce qu’on remarque ses tics, ses automatismes. Se surprendre en permanence, écrire ce qu’on n’a pas l’habitude d’écrire, chercher les thèmes qui font mal, qui dérangent, c’est aussi une manière de garder le fil, de s’ouvrir aussi. On s’enrichit en proposant des alternatives. Donc c’est à la fois une contrainte imposée et une envie. Et plus ça allait, plus j’avais envie d’essayer d’autres choses. Heureusement qu’il n’y en avait que 52, parce que j’y serais encore.

Couverture du projet Bradbury

Quelles sont tes nouvelles préférées ? Pourquoi ? 

Difficile de faire un tri : j’en aime beaucoup. J’ai récemment compilé un recueil de douze nouvelles tirées du Projet Bradbury pour pouvoir disposer d’un support papier pour mes séances de lecture publique (« Douze », disponible chez Amazon). Et bien ça a été une vraie torture. J’ai donc choisi à l’instinct. On a beau avoir du recul, on n’est jamais totalement objectif avec ses textes. On ne l’est même sans doute pas juste un peu. Après, j’en aime certaines pour les sentiments qui ont traversé leur écriture, comme « Là-bas », « Onkalo », « Kindergarten », « le Jour du grand orage », « Hacker »… j’arrête ici parce que je vais en citer 45.

À l’inverse y en a-t-il que tu considères « ratées » ou dont tu n’es pas pleinement satisfait ?

Oui, clairement. « Lettre morte » est raté, j’étais fatigué et j’ai bâclé la chute. Certaines sont plus faibles que d’autres, mais celle-ci est vraiment ratée. Après, ça fait partie du jeu. Le marathon du projet Bradbury était aussi un exercice d’honnêteté, et je ne cache pas que quelquefois, j’ai eu des ratés.

Quel bilan tires-tu de cette expérience ? 

Que c’est un métier sacrément passionnant, et même qu’il s’agit d’un métier tout court qui, à l’instar de tout métier, s’apprend en grande partie par la pratique régulière et prolongée. En somme, c’est un entraînement. Après le Projet Bradbury, je ne crois plus au génie spontané. Déjà que je n’y croyais pas beaucoup…

Le projet Bradbury est un hommage au grand écrivain américain Ray Bradbury  dont tu es un très grand fan. Comment as-tu découvert cet auteur et quelle est l’œuvre que tu préfères ?

Bonne question. Je ne me souviens pas de la première fois que j’ai lu Bradbury. C’était il y a sans doute très longtemps, dès l’adolescence, parce qu’il me semble que je l’ai toujours lu. Evidemment, l’amoureux des livres que je suis porte une affection toute particulière à Fahrenheit 451. Mais les Chroniques martiennes sont aussi un beau morceau de poésie. C’est ça que j’aime chez Bradbury. Ce n’est pas un auteur de science-fiction comme les autres. C’est un poète, il sculptait dans la matière brute des sentiments et des souvenirs. Son matériau de base n’est pas la science, mais l’être humain. En cela, il occupe une place à part dans le panthéon. Pour moi, c’est un écrivain de l’enfance. La Foire des Ténèbres est aussi un superbe texte.

Quel regard portes-tu sur l’autoédition en France ? Quel avenir lui prédis-tu ? 

Difficile de se prononcer, même si à titre personnel je pense que l’autoédition numérique est appelée à connaître de beaux jours dans les prochaines années. Je ne suis pas un ayatollah de l’autoédition. Je trouve le procédé pratique, notamment pour des projets comme le Projet Bradbury qui nécessitaient de la réactivité, voire de l’immédiateté en passant par de la publication numérique. Pour le reste, on verra. Si des auteurs établis décident d’utiliser ce procédé pour toucher plus directement leur public, ou si la précarisation des auteurs midlist ne cesse d’augmenter et qu’ils se voient contraints de passer par ce biais pour obtenir de meilleures conditions financières, alors les choses iront encore davantage dans ce sens. Mais je ne vois pas ces différents procédés comme des voies en concurrence. Il s’agit d’alternatives offertes. L’une et l’autre ont leurs qualités comme leurs défauts. Il s’agit pour moi d’une corde supplémentaire à l’arc des auteurs.

Quels sont tes projets à plus ou moins long terme ?

En plus des 52 nouvelles, j’ai terminé deux romans cette année et je veux leur trouver un éditeur. Et j’ai également deux autres romans sur le feu, en phase d’écriture. 

Vous pouvez suivre Neil Jomunsi sur Twitter (@NeilJomunsi) ou sur son site Page42.org

Les nouvelles du Projet Bradbury sont disponibles sur Amazon.

Neil Jomunsi