d'après Guy de Maupassant

Publié le 31 janvier 2015 par Dubruel

Dans sa chambre mansardée,

Rose s'était étendue sur la banquette,

Les jambes allongées,

Les bras sous la tête.

Soudain deux mains libertines

Lui saisirent la poitrine.

Elle se redressa.

C'était Nicolas,

Le valet de maître Lambert.(*)

Nicolas et Rose se fréquentaient

Depuis le début de l'hiver.

Nicolas tenta de l'embrasser

Mais elle l'a repoussé.

De nouveau il s'approcha

Et chercha à la caresser.

Elle le frappa

Et confuse en apparence,

Le questionna :

-" T'as mal, Nicolas? "

-" Y a pas d'offense !

Ce n'est rien.

...Cré coquin, Rose, viens ! "

Il portait à Rose une réelle affection,

Un commencement d'amour vrai.

Il la regardait avec admiration.

Puis il lui prit la taille comme ferait

Un promis après un bon repas :

(*) En Normandie, on appelle maître, un fermier propriétaire

-" C'est pas bien, Nicolas

De me mépriser comme ça. "

-" Je ne te méprise pas.

Je suis amoureux, voilà tout. "

-" Alors, tu me veux en mariage ? "

Dit-elle d'un coup.

Il hésita, regarda son corsage.

Des gouttes de sueur perlaient

Sur sa large poitrine à peine dissimulée

Sous l'indienne de son caraco

Nicolas se sentit aussitôt

Repris d'envie.

Collé à son oreille, il lui dit :

-" Oui, j' veux ben être ton époux. "

Elle lui jeta ses bras au cou

Et les deux amants

S'étreignirent longuement.

L'éternelle histoire d'amour

Commença de ce jour.

Ils se lutinaient,

Se donnaient,

Et, ce que les filles redoutent

En pareil cas

Arriva.

Rose devint grosse, sans aucun doute.

Alors un soir, elle pénétra

Dans la chambre de Nicolas :

-" Je veux que tu me marries

Puisque tu me l'as promis. "

Il répondit avec fatuité :

-" Eh bien ! si on épousait

Toutes les filles avec qui on a fauté !... "

Alors la gaillarde l'a renversé,

Lui serra le cou et hurla :

-" Je suis grosse,

Entends-tu ? Je suis grosse. "

Nicolas

A balbutié :

-" Bon. Je vais t'épouser. "

Mais dans la nuit,

Il s'est enfui.

Les mois passèrent.

L'enfant est né.

Rose le porta chez sa mère.

Puis elle se mit si dur à travailler

Que Lambert ne put se passer d'elle.

Il lui confia la direction du personnel.

La métairie a vite prospéré.

On en parlait à cinq lieues à la ronde.

Lambert lui-même racontait

À qui mieux-mieux :

-" Cette fille-là, ça vaut mieux

Que toutes les fortunes du monde ! "

Un jour, il lui dit:

-" Assieds-toi ici. "

Mal à l'aise, Il s'approcha d'elle :

-" Tu es une fille active, économe, belle.

Vois-tu, une ferme sans maîtresse,

Ça fait pas florès,

Même avec une servante. "

Rose était toute tremblante.

-" Hé bien ! ça te va-t-il ? Cause ! "

-" Quoi not' maître ? " Demanda Rose.

-" Mais de m'épouser, pardine ! "

-" Je n' peux pas. "

Avoua t'elle, chagrine.

Vers minuit,

Deux mains palpèrent son lit.

Rose sursauta de frayeur

Mais reconnut la voix du métayer.

-" C'est moi, je viens te causer.

N'aies pas peur. "

Le fermier, un peu maladroit,

Se glissa sous les draps.

Puis grisé par un désir bestial,

Devint assez brutal.

Il avait même des gestes obscènes.

Rose chercha à éviter les caresses.

Mais avec ivresse,

La bouche du fermier poursuivait la sienne.

Puis d'un mouvement brusque, il la découvrit.

Alors elle sentit

Qu'elle ne pouvait plus changer son destin.

Elle cacha sa figure dans ses mains

Et cessa de résister.

Toute la nuit,

Lambert est resté

Dans son lit

Et il y revint les soirs suivants.

Il lui dit un matin :

-" J'ai fait publier les bans.

Nous nous marierons le mois prochain. "

Elle ne répondit pas.

Il l'épousa.

Mais Rose pensait sans cesse à son petit.

Bientôt l'humeur de Lambert s'assombrit.

Un jour, il se mit à crier en jurant :

-" J'ai pas d'éfants,

Nom de Dieu !

Quand on prend une femme, vingt dieux,

C'est point pour rester seuls, mâtin,

Tous les deux seuls jusqu'à la fin.

Quand une vache n'a point d' viaux,

C'est que c'te bestiau

Ne vaut rin.

Quand une femme n'a pas d' gamin

C'est tout comme. " -" C'est pas ma faute !

C'est pas d' ma faute !

Avec Nicolas, j'en ai eu un, d'éfant.

Il est en nourrice chez maman. "

Alors le fermier s'est exclamé :

-" Eh ben, allons l' chercher ! "