Affaire DSK : l’éléphant qui cache le diplodocus

Publié le 03 février 2015 par H16

À nouveau, Dominique Strauss-Kahn fait la une des journaux et des gazettes en ligne. L’ex-patron du FMI, le Fonds monétaire international, serait le principal bénéficiaire de soirées libertines à Paris et Washington comptant de nombreuses prostituées, pour lesquelles l’ex-ministre socialiste prétend n’avoir jamais su qu’elles étaient rémunérées et qui lui valent d’être mis en examen pour proxénétisme aggravé avec treize autres prévenus.

On peut regretter de la place prise par cette affaire, mais en réalité, ce n’est pas étonnant.

D’une part, le reste de l’actualité ne fait pas vraiment rêver ou n’intéresse guère. Les élections dans le Doubs sont d’une banalité consternante. Comme prévu, le FN est arrivé en tête, comme prévu, le second en lice (ici, le PS) réclame l’assistance du troisième (l’UMP) dans des jérémiades grotesques, et comme prévu, l’UMP se retrouve coincé par une presse manichéenne qui assimilera toute position neutre à un soutien explicite au FN, histoire de ne laisser personne indemne. En face, cette affaire DSK fait figure de divertissement où au moins l’issue (condamnera-t-on DSK, ou pas ?) est incertaine et qui ne risque pas d’éclabousser le pouvoir en place, le mis-en-examen ayant pour ainsi dire été répudié par son parti.

D’autre part, cette affaire a tout pour plaire à l’œil salace du lecteur moyen. Entre le contexte fait d’hôtels luxueux et de jolies filles, l’aspect graveleux voire pornographique des descriptions nécessaires à l’instruction et que les journalistes s’empressent de relater dans leurs colonnes, et la nature des accusations (proxénétisme) qui pourraient entraîner des peines très lourdes pour un ancien baron de la politique, tout est réuni pour une grande pièce de théâtre médiatique. Ce serait dommage de s’en priver.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que cela mouille une célébrité de la politique avec un milieu interlope. La presse s’est toujours délectée de ces affaires oscillant entre la brigade des mœurs, la brigade des stups ou la brigade financière, et le monde politique qui ne pourrait prospérer sans tremper régulièrement ses petits doigts boudinés dans des mœurs dissolues, des stupéfiants revigorants ou des finances facilement détournées. Bref : du polar à pas cher, là encore, on voit mal comment une presse qui a bien du mal à intéresser des lecteurs passerait à côté d’un si facile gibier.

On parlera donc amplement de Dodo la Saumure, de son vrai nom Dominique Alderweireld, propriétaire de plusieurs établissements de prostitution en Belgique le long de la frontière française. On abordera, par de sympathiques petites infographies, le rôle de chacun des protagonistes histoire de permettre aux lecteurs, avides d’informations essentielles et pertinentes, de bien situer qui faisait quoi, comment et pour combien, dans cette sombre affaire. On évoquera David Roquet, cet ex-directeur de la société Matériaux enrobés du Nord, une filiale du groupe de BTP Eiffage dans le Pas-de-Calais, ou encore Fabrice Pazskowski, ce responsable de société de matériel médical dans le Pas-de-Calais, et dans la foulée, Virginie Dufour, ancienne compagne de Fabrice Paszkowski, dirigeante d’une société d’événementiels.

On étudiera les interactions des uns et des autres, et d’un article de presse à l’autre, on essaiera de savoir vraiment si l’ex-patron du FMI était au courant que les demoiselles convoquées pour ses bons plaisirs étaient rémunérées. On tentera même (comme cet article du Monde) de savoir si tout ceci ne tournerait pas autour d’une spécification un peu trop large du proxénétisme, dont la définition au sens pénal aurait fort mal vieilli sur les vingt-cinq dernières années.

Tout ceci est bien bon, pas très intéressant, mais cela permet tout de même de couvrir des portions assez considérables de papier (qui sera rapidement recyclé, je rassure l’écolo qui sommeille en vous) et de mobiliser un nombre conséquent d’octets sur le web (qui seront aussi réutilisés, magie du numérique). Et si l’on factorise le fait que cette affaire, en remettant une bonne couche de DSK, de stupre et de luxure au devant des journaux, permettra sans aucun doute d’occuper la population loin du chômage, de la crise grecque et des patouillages artistiques du Président, on comprend que la presse a tout intérêt à s’y attarder.

En revanche, on ne peut que constater, encore une fois, le peu de cas qui est fait sur les motivations réelles, probables et logiques des protagonistes à mettre en place ce genre de parties fines à l’avantage d’un patron du FMI et (à l’époque) d’un très probable futur Président de la République. Pourtant, tenter de trouver ces motivations et expliquer ce contexte-là me semble assez indispensable.

En effet, on doit comprendre que nos loustics faisaient tout ce qu’ils ont fait pour s’attirer les bonnes grâces de DSK. On pourrait jouer le niais et imaginer que ces gens se contentaient de faire des petits cadeaux sympathiques à un ami cher, sans rien en attendre en retour (sachons vivre, bisous, tout ça), mais la réalité est probablement bien plus pragmatique : le potentat était connu pour un appétit libidineux quasiment inextinguible. Il était aussi connu pour avoir le bras long, des appuis dans tous le PS, des réseaux au niveau national puis international grâce à son poste américain, et était de surcroît pressenti pour occuper la plus haute distinction républicaine. Pour ceux qui le pouvaient, être son « ami » et dans ses petits papiers à ce moment-là signifiait à l’évidence obtenir en retour de juteuses prébendes, de beaux marchés publics, de gros avantages ou d’immenses bénéfices pas forcément financiers, un peu plus tard, lorsque la belle position serait débloquée.

De ce aspect, de l’évidente corruption dont DSK faisait l’objet, il n’est pas question. Pourtant, difficile de passer à côté des sociétés que ces personnes dirigeaient : une filiale d’un groupe de BTP, qui vit de la commande publique, une société de matériel médical pour laquelle des hôpitaux publics constituent des clients potentiels juteux et évidents, une société d’événementiels comme le fut, par exemple et totalement au hasard, une société comme Bygmalion qui défraya la chronique pour un autre parti.

Cette énième affaire DSK, aussi glauque que la précédente, n’éclaire pas franchement plus son personnage central dont les mœurs sexuelles débridées sont maintenant connues de tous mais sur lesquelles la presse va revenir avec délectation. Elle éclaire en revanche très bien les petits arrangements, les renvois d’ascenseurs, les jeux de pouvoir et d’amitié qu’il y a entre les politiciens et certaines entreprises. Cette affaire est en réalité d’une banalité assez morne pour qui connaît la politique dans ce pays en voie de décomposition avancée, et montre parfaitement la collusion des politiciens avec un certain milieu.

Mais voilà : pour la plupart des journalistes, cet aspect sera oublié. Trop pornographique, sans doute.

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