Enlèvement international d'enfant: la décision de retour doit respecter les dispositions de l'article 8 de la CEDH

Publié le 08 février 2015 par Elisa Viganotti @Elisa_Viganotti
 

CEDH, 1èreSection -Affaire PHOSTIRA EFTHYMIOU et RIBEIRO FERNANDES c. Portugal (Requête no 66775/11) – 5 février 2015


Dans son arrêt non définitif rendu dans une affaire d’enlèvement international d’enfant de Chypre au Portugal, la CEDH a dit pour droit que :
…. Aucun élément du dossier ne permettait de déterminer quelle était la situation antérieure de l’enfant à Chypre avant son déplacement, comme l’avait d’ailleurs regretté le parquet en cassation... Les juridictions portugaises n’ont en outre pas jugé nécessaire de demander à l’autorité centrale chypriote des renseignements concernant la situation du père et son éventuelle incapacité à prendre soin de l’enfant, telle qu’alléguée par la mère.Or, l’article 8 de la Convention imposait aux autorités portugaises une obligation procédurale, en exigeant que toute allégation défendable de « risque grave » pour l’enfant en cas de retour fasse l’objet de la part des juges d’un examen effectif, ce dernier devant ressortir d’une motivation circonstanciée.Il appartenait donc aux juges portugais de procéder à des vérifications sérieuses permettant soit de confirmer soit d’écarter l’existence d’un « risque grave » (B. c. Belgique, 10 juillet 2012 ; X. c. Lettonie, 26 novembre 2013), le cas échéant en sollicitant des observations sur la situation de l’enfant à Chypre, comme le recommande l’article 13 de la Convention de La Haye.La Cour observe aussi qu’à l’appui de son recours devant la cour d’appel de Coimbra, la requérante avait produit un rapport d’un psychologue établi le 2 février 2010 concluant à l’existence d’un risque de traumatisme pour l’enfant en cas de séparation d’avec sa mère. Le 22 mars 2010, elle avait également remis une copie d’un mandat d’arrêt émis le 11 mars 2010 par les autorités mozambicaines à l’encontre du père de l’enfant. Or, dans son arrêt du 17 juin 2010, la cour d’appel de Coimbra a implicitement écarté toute considération à ce sujet, en énonçant que l’existence de poursuites judiciaires contre le père n’était pas au nombre des faits qu’elle tenait pour établis. En outre, l’arrêt de la Cour suprême du 14 avril 2011 ne fait référence à aucun des éléments présentés par la requérante l’appui de son recours.Enfin, comme indiqué dans l’affaire Neulinger et Shuruk, le facteur « temps » est décisif pour apprécier le respect de l’article 8. Certes, selon l’article 12, alinéa 2, de la Convention de La Haye « l’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an (...), doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu » (sur ce dernier point, voir Koons c. Italie, 30 septembre 2008).À cet égard, la Cour note que la demande de retour a été adressée le 23 septembre 2009 par l’autorité centrale chypriote à son homologue portugaise, que le jugement du tribunal aux affaires familiales de Coimbra a été rendu le 14 janvier 2010, l’arrêt de la cour d’appel de Coimbra le 15 juin 2010, et l’arrêt de la Cour suprême le 14 avril 2011. La procédure a ainsi duré 1 an, 6 mois et 20 jours pour trois degrés de juridiction, ce qui apparaît excessif au vu de l’urgence inhérente à la matière et le délai de six semaines imparti par l’article 11 de la Convention de La Haye. Contrairement au Gouvernement, la Cour estime que la deuxième requérante a fait un usage normal des voies de recours que lui ouvrait le droit interne et ne peut être tenue responsable de la durée de la procédure.Ainsi, compte tenu de l’absence d’informations concernant la situation à Chypre et aux risques pour l’enfant en cas de séparation d’avec sa mère, exposés par cette dernière et mentionnés dans le rapport du psychologue du 2 février 2010, force est de conclure que le processus décisionnel n’a pas satisfait aux exigences procédurales inhérentes à l’article 8 de la Convention. Partant, la Cour estime qu’il y aurait violation du droit des requérantes au respect de leur vie familiale si la décision ordonnant le retour de la première à Chypre était exécutée. Pour aller plus loin: Arrêt PHOSTIRA EFTHYMIOU et RIBEIRO FERNANDES c. Portugal +Viganotti Elisa Avocat de la famille internationale